Ils sont plus de 17 millions d'insectes à transiter chaque automne par le même goulot d'étranglement dans les Pyrénées. Des scientifiques ont observé ce spectaculaire phénomène à la frontière de la France et de l'Espagne. Ils viennent de publier leurs conclusions.
C'est une migration décrite de manière inédite par un scientifique britannique. "Un blizzard de papillons jaunes et blancs, comme une tempête de pétales" : plus de 17 millions d'insectes franchissent chaque année un col étroit des Pyrénées, selon une étude publiée le 12 juin 2024 par Will Hawkes et son équipe dans les articles de recherche de la Royal Society.
Un phénomène observé chaque année, au même endroit
Chaque automne, de 2018 à 2021, l'équipe de chercheurs de Will Hawkes s'est rendue au col de Bujaruelo, à la frontière entre la France et l'Espagne. Caméras vidéo et pièges y sont installés pour observer et quantifier un phénomène hors norme.
Le scientifique raconte comment il s'est retrouvé enveloppé d'un nuage d'insectes qui bourdonnaient de manière "déterminée". À ses pieds, un "tapis vivant", raconte à l'AFP le chercheur à l'Université d'Exeter au Royaume-Uni.
Mouches domestiques, papillons, libellules... Chaque année, plus de 17 millions d'insectes en moyenne franchissent le col de Bujaruelo, large de seulement 30 mètres, selon les travaux menés par ce spécialiste des migrations d'insectes. "Nous avons identifié 20 familles d'insectes diurnes appartenant à cinq ordres présentant un comportement migratoire jugé par le mouvement directionnel à travers le col de Bujaruelo", rapporte l'équipe scientifique dans sa publication.
Au plus fort de cette vague de migration massive, "3683 individus par mètre par minute", ont été comptabilisés. Et "le pic du nombre d'insectes se produit à 14h45, environ une heure après le midi solaire", selon l'analyse des enregistrements du piège photographique réalisée sur une journée.
Voir autant d’insectes se déplacer délibérément dans la même direction, en même temps, est vraiment l’une des grandes merveilles de la nature.
Dr Karl Wotton, chef d'équipeArticle de l'Université d'Exeter
Autres observations : les papillons ne représentent que 0.4% du total de ces migrateurs. Les plus abondants sont les Syrphidae, une famille de mouches, avec une moyenne de 3,1 millions par saison.
L'effet du vent, du soleil et des températures...
"Au cours des 191 jours observés, le nombre de migrations d’insectes observées quotidiennement variait énormément, de 0 à 3,7 millions d’individus. Nous avons étudié l'influence de la direction du vent, des précipitations quotidiennes, des minutes d'ensoleillement, de la température et de la vitesse du vent sur le nombre d'insectes migrant à travers le col", peut-on lire dans cette publication de recherche.
La température, la direction du vent et la pluviométrie ont joué sur l'importance de ce déplacement d'insectes d'Europe occidentale en direction du sud, en Espagne et pour certaines espèces jusqu'en Afrique.
"La topographie des Pyrénées fait que les jours de vent arrière, les insectes peuvent chevaucher les courants ascendants au-dessus des sommets de plus de 3000m, et nous avons observé des migrations de mouches et de papillons à travers la Brèche de Roland (2804 m) et au-dessus du sommet de Taillon (3144 m) à plusieurs reprises", rapporte Will Hawkes.
Pour le chercheur, certains de ces insectes ont une "migration dirigée", comme s'ils disposaient d'une boussole et un mécanisme d'identification de la direction du vent, comme le suggère une autre étude datant de 2020.
Une migration aux avantages écologiques
La plupart de ces insectes migrateurs (90%) sont des syrphes à ceinture, des mouches aux rayures oranges et noires. Elles se nourrissent de pucerons et sont donc parfaits pour débarrasser les cultures ou les jardins des parasites, explique Will Hawkes.
Parcourant des centaines de kilomètres, ces insectes pourraient s'avérer être de meilleurs pollinisateurs que les abeilles "relativement sédentaires", ajoute-t-il.
Ces migrateurs transportent également des éléments nutritifs, pouvant jouer un rôle pour la santé des sols et la croissance des plantes.
Leur nombre aurait décliné en raison du changement climatique, de l'usage des pesticides et de la perte d'habitat, avance le scientifique, qui s'appuie sur une étude allemande de 2020 pointant un effondrement de la population d'une espèce similaire. Si la migration des syrphes ceinturés devait être encore plus spectaculaire par le passé, le phénomène n'en reste pas moins magique, selon Will Hawkes.
Après avoir marché dans les pas des ornithologues, auteurs des premières documentations sur le sujet, le chercheur suggère "des études à plus long terme sur les goulots d'étranglement migratoires pour étendre la surveillance des populations d'insectes." Et notamment affiner les données sur ces déplacements par vent contraire ou vent arrière.