Bernadette Pécassou ne quitte pas ses Pyrénées. Le marbre et le métier de carrier sont au cœur de son dernier ouvrage. Un métier oublié, de forçat, du monde d'avant. Dans une société en pleine mutation, celle des années 20, où les classes sociales sont encore bien cloisonnées, l'autrice nous conte une belle histoire d'amour.
"Se retrouver devant le château de Versailles quand on arrive d'un petit village de montagne et qu'on n’a rien vu de plus grand que l'église Saint-Vincent à Bagnères-de-Bigorre est un choc".
Dans son dernier ouvrage, Bernadette Pécassou nous offre une belle histoire d'amour entre Angèle, la jeune fille qui n'est jamais sortie de son village et qui découvre une autre société, celle de la ville et ses classes sociales bien définies et Mathieu, le pire ennemi de son père, fils d'une famille propriétaire d'une grande marbrerie. Tout semble les séparer. Dans un premier temps, Mathieu fait peu de cas d'Angèle. L'amour va-t-il s'affranchir de tous les obstacles ?
Une société en pleine mutation
"Le chant des pierres" est aussi une immersion dans les années 20, après la 1ère guerre mondiale qui a apporté tant de malheurs à toutes les familles. Les années 20, une société en pleine mutation avec l'industrialisation et ses attentes comme ce 30 octobre 1922, lorsque la foule se presse sur les quais de la gare de Tarbes pour assister à l'arrivée de la première locomotive électrique. Mais aussi ses craintes de pertes de valeurs humaines. La machine va-t-elle remplacer l'homme ?
C'est également l'envie féroce de ces femmes, épris de liberté, qui en ont assez de rester à la maison. "On doit quitter le village. J'en ai marre de nos vieilles frusques !"
La grande saga d'un métier oublié
Mais "Le chant des pierres", c'est surtout la grande saga d'un métier oublié, celui de carrier. Ce métier de forçat du monde d'avant. Où l'on découvre, comme l'autrice, la beauté du marbre des Pyrénées. "Pour moi, ça a été une révélation," assure Bernadette Pécassou en s'appuyant toujours sur un travail de recherche très poussé. "Nos marbres sont mille fois plus riches que le diamant ne le sera jamais. Ils ont plus de valeur que tout l'or et tous les diamants du monde," insiste Joseph, le père d'Angèle, carrier, dans les montagnes, là-haut.
Bernadette Pécassou redonne ses lettres de noblesse à ces familles qui ont fait la renommée de ce marbre jusqu'au château de Versailles. Elle attise notre curiosité d'aller découvrir encore plus cette histoire des Pyrénées et de nous arrêter au Musée du marbre de Bagnères-de-Bigorre ou à la Maison des cailloux de Lannemezan.
4 questions à Bernadette Pécassou
Quelle est la genèse de votre livre ?
Je savais que les marbres des Pyrénées étaient assez exceptionnels mais je ne m’y étais jamais penché. Pour moi, ça a été une révélation. Voilà 20 ans que j’écris sur les Pyrénées, le moment était venu. J'’avais envie de parler des hommes et de ces hommes qui disparaissent, de ces métiers très anciens qui n’avaient pour toute connaissance que la force et l’instinct. Des hommes d’avant.
Ils sont dans le sauvage un peu. Il faut les sortir les blocs dans la carrière. Dans les petites carrières des Pyrénées, on ne peut pas faire rentrer les grosses machines. Il faut y aller pas à pas. Ce sont des marbres très haut de gamme dans les Pyrénées, on comprend pourquoi Louis XIV les a pris. C’est comme si vous alliez chez H&M et chez Dior, vous n’avez pas besoin d’avoir fait l’ENA pour faire la différence. Et le marbre Antique, c’est pareil, lorsque vous allez au Musée de Bagnères et que voyez la table, vous dîtes "Ouah, c’est beau !"
J'’avais envie de parler des hommes et de ces hommes qui disparaissent, de ces métiers très anciens qui n’avaient pour toute connaissance que la force et l’instinct. Des hommes d’avant
Bernadette Pécassou
Dans tous mes romans, toutes ces choses-là sont un prétexte. Moi ce qui m’intéressait : pourquoi les marbres des Pyrénées étaient beaux ? C’est une vraie saga romanesque. Et après j’écris une grande histoire d’amour...
Votre héroïne, Angèle, va devoir affronter un nouveau monde ?
Un grand roman populaire, il faut des personnages qui nous parlent à tous. Une petite fille Angèle, qui n’est jamais sortie de son village, qui d’un coup, entre dans une ville, aussi petite que celle de Bagnères, elle change de monde complètement. Finalement dans son village, les catégories sociales étaient beaucoup moins visibles.
En ville, il y a le café qui est fait pour vous et celui qui n’est pas fait pour vous. Personne ne vous interdit d’y rentrer comme dans une boutique à Paris. Mais vous voyez tout de suite que vous n’êtes pas à votre place quand vous n’avez pas les moyens des lieux. Elle vie cette transition comme celle du monde masculin de son père et de ses frères qui sont tout en haut à taper le caillou dans la montagne et elle découvre par le biais du fils d’une grande marbrerie l’homme élégant, l’homme d’affaires.
La différence de classe sociale fait rêver parce qu’on a toujours l’impression que l’herbe est toujours plus verte ailleurs. Mais la culture d’une classe sociale supérieure dans le mode de vie n’est pas obligatoirement meilleure que celle d’une bergère à la montagne qui a d’autres notions de plaisirs. En haut de la montagne ou les orages sont terribles. La solidarité humaine prend le pas.
Les années 20, c'est l'avènement de la machine au détriment de l'humain ?
Dans le monde rural et artisanal, on travaillait ensemble et encore beaucoup à la main. La machine arrivant, elle libère de certaines choses mais elle emprisonne plein d’autres choses. Vous êtes tout seul à travailler en appuyant sur un bouton.
C’était l’époque où il fallait réussir, être directeur, avoir un bureau. On appelait ça un mossu (un monsieur en occitan) à l’époque chez nous. Il avait la puissance pour diriger tout ça mais il allait dans une direction qui était dévastatrice d’un point de vue humain. Aujourd’hui, c’est complètement désuet. La qualité de vie est en train de prendre nettement le dessus.
Ici, depuis mon enfance, j’ai vécu au paradis
Bernadette Pécassou
Pourquoi écrivez-vous beaucoup sur les Pyrénées ?
Ici, depuis mon enfance, j’ai vécu au paradis. Dans une famille simple, papa était professeur, maman à la maison. Un univers comme dans les contes d’enfants ou tout semble aller de soi. Mon père était revenu ici, il n’a pas voulu rester à Paris. Il a eu l’instinct de comprendre où était son bonheur. J’ai hérité sans doute de cette confiance-là. Mon paradis était ici et je ne l’ai pas cherché ailleurs.
Mais j’ai adoré l’ailleurs. J’ai beaucoup bougé. J’ai fréquenté des mondes très différents mais ils ne m’ont jamais ébloui. Je les ai appréciés pour ce qu’ils étaient sans avoir envie de m’y intégrer. J’avais mon paradis. J’ai toujours voulu travailler sur les Pyrénées parce qu’il y avait plein de choses à en dire.
Il y a un truc un peu mystique. Il y a une trace un peu sacrée de la montagne".