Une conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) de Tarbes, par ailleurs syndicaliste, est convoquée en commission disciplinaire pour avoir
commenté dans le journal L'Humanité les grilles d'évaluation de la radicalisation des détenus.
Désaccords de fond et malaise grandissant: face à la radicalisation jihadiste en prison, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) dénoncent des outils inadaptés et des objectifs mal définis faisant fi de leur savoir-faire.
"On est d'abord des travailleurs sociaux, pas des agents de renseignement", affirme Sarah Silva Descas, secrétaire nationale CGT-Probation. Attention à la "confusion des objectifs", entre "prise en charge" et "profilage", prévient Oliver Caquineau, du Snepap-FSU Pénitentiaire.
En France, ils sont quelque 3.300 conseillers chargés du suivi des plus de 250.000 personnes sous main de justice, dont 68.500 détenus écroués. Ils ont obtenu cet été la création d'une centaine de postes en 2017, en plus du millier prévu sur trois ans, et une revalorisation de leurs indemnités.
Fer de lance de la prévention de la récidive mais minoritaire au sein de la pénitentiaire, ils peinent à se faire entendre face aux plus de 28.000 surveillants.
Alors quand une syndicaliste est convoquée en commission disciplinaire pour avoir commenté dans le journal L'Humanité les grilles d'évaluation de la radicalisation des détenus, les syndicats de la pénitentiaire, mais aussi le Syndicat de la magistrature et la Ligue des droits de l'Homme sont vent debout.
Convoquée le 13 décembre, Mylène Palisse, CPIP à Tarbes et déléguée CGT, affirme n'avoir fait que relayer la position de son syndicat.
La CGT, qui dénonce "une atteinte au droit syndical et à la liberté d'expression", a été reçue à la chancellerie et réclame l'abandon des poursuites.
Ces grilles d'"aide au repérage d'un risque de radicalisation violente", dont la dernière mouture est sortie en novembre, sont "tellement vagues qu'on pourrait s'y retrouver nous-mêmes", témoigne un agent de Poitiers.
Dans ces grilles, auxquelles l'AFP a eu accès, on retrouve ces questions pour lesquelles il faut cocher la case "oui" ou "non" : "a connu des ruptures familiales dans l'enfance", "se retrouve souvent isolé", "évoque un sentiment d'injustice", "a consulté des sites jihadistes", "est en contact avec des personnes radicalisées ou présumées radicalisées".
Culpabilisation
La chancellerie explique qu'il s'agit de "guider l'observation des personnels afin de faire remonter une observation matérielle et non subjective", avec pourobjectif "de déclencher une évaluation" et "non une prise en charge".
"Le problème, c'est qu'on ne sait pas qui est destinataire de ces informations : la pénitentiaire, les renseignements... alors que notre interlocuteur est normalement un magistrat. Nous devons respecter la relation de confiance qui nous lie au détenu et sans laquelle on ne peut pas travailler", explique Fabienne Titet, secrétaire nationale de la CGT-Probation.
Pour Olivier Caquineau du Snepap-FSU, la politique répressive actuelle accentue la pression sur des agents déjà stressés : "On n'a pas l'habitude de faire sortir n'importe qui, on se pose sans cesse des questions. Mais là, on a l'impression d'une remise en cause de notre savoir-faire, avec une forte culpabilisation".
Pire, pour Fabienne Titet, "on observe un glissement de notre mission, du suivi d'une personne à la gestion du risque et à la détection" : "on nous demande de faire du prédictif, à l'anglo-saxonne. C'est dangereux".
Le ministère de la Justice se défend de faire du CPIP un agent de renseignement et fait valoir qu'une spécialisation accrue des agents, qui seront mieux formés et qui suivront moins de dossiers, permettra une "efficacité plus forte". Un référent "prévention de la radicalisation violente" sera créé dans chaque service de probation.
"La spécialisation, on a déjà essayé avec les Basques et les Corses. C'est usant pour les personnels, dangereux parce que les agents sont ciblés et finalement contre-productif pour la continuité du suivi vu le turn-over", relève Olivier Caquineau, qui se dit en revanche plus favorable à une multiplication des commissions pluridisciplinaires au sein des établissements.
Plusieurs agents mettent en garde contre les "prophéties auto-réalisatrices" : un durcissement des détenus en réaction à des mesures de plus en plus répressives depuis les attentats de 2015.
A Marseille, un CPIP relate ainsi la situation d'un condamné sous contrôle judiciaire qui "a perdu son boulot quand les gens du renseignement ont débarqué chez son employeur parce que son conseiller avait signalé qu'il avait eu des relations avec des radicalisés".