La Légion d'Honneur ne sera pas retirée au Général Franco, dictateur de l'Espagne pendant 40 ans

La Légion d'Honneur ne sera pour l'instant pas retirée à Franco. Malgré la demande d'un fils de républicain espagnol installé dans l'Hérault, un décret présidentiel permet à l'ancien dictateur de garder cette distinction honorifique.

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Le combat de Jean Ocana, fils d'un réfugié républicain espagnol, restera-t-il dans les oubliettes de l'Histoire ?  Cet habitant de Marseillargues (34), près de Lunel, se bat depuis plusieurs années pour que la Légion d'Honneur épinglée sur le torse du Général Franco lui soit officiellement retirée. Dictateur de l'Espagne pendant 40 ans, le "Généralissime Francisco Franco", auteur d'exactions et responsables de milliers de morts lors de son règne, de la Guerre civile de 1936-1939 à sa mort en 1975, avait reçu cette illustre distinction française à la fin des années 1920.

En avril 2016, Jean Ocana, 80 ans aujourd'hui,  avait écrit à la grande chancellerie de l'ordre de la Légion d'Honneur pour demander à ce que cette haute distinction - dont la devise est "Honneur et Patrie" - soit retirée à celui qui a provoqué la mort de milliers de républicains espagnols durant la guerre civile qui a fracturé le pays de 1936 à 1939.

Pas de destitution pour les personnes décédées

Dans un article publié par le quotidien "Le Monde", publié ce mardi 30 mars 2021, on apprend qu'un décret signé (en toute discrétion) le 21 novembre 2018 par le Président de la République Emmanuel Macron, et contresigné par Edouard Philippe - Premier ministre de l'époque - et Benoît Puga, le grand chancelier de l'ordre de la Légion d'Honneur modifie le code de l'Ordre de la Légion d'Honneur, et exclut "toute action disciplinaire contre une personne décédée".

Une décision qui scandalise Jean Ocana : "Au travers de Franco, d'autres dictateurs qui ont obtenu la Légion d'Honneur et qui sont coupables de crimes contre l’humanité, Mussolini, Ceausescu, Bokassa et j’en passe vont devenir en quelque sorte des « immortels » dans l’Ordre de l’une des plus prestigieuses institutions de notre République."

Le recours d'un fils de réfugié, rescapé du camp de Mauthausen

 José Ocana, le père de Jean, avait dû fuir l'Espagne pour la France en 1939, contraint d'abandonner femme et enfants. Condamné à mort par les tribunaux fascistes de son pays, cet officier républicain s'engage cette année-là dans le 22ème régiment de marche des volontaires étrangers du Barcarès (66). Arrêté en 1940, il est déporté au camp de Mauthausen (Autriche). 7000 républicains espagnols connaîtront le même sort. José Ocana en sortira vivant, et viendra s'installer avec sa famille à Mazamet (Tarn) après la guerre. Mais des milliers de prisonniers laisseront la vie dans cet enfer concentrationnaire.

Une distinction obtenue par le Maréchal Pétain

C'est le Maréchal Pétain en personne qui avait demandé et obtenu que la légion d'honneur soit décernée à Franco. Les deux hommes se sont connus lors de la guerre coloniale du Rif (1921-1926), une région du Maroc que se partagent alors l'Espagne et la France. Les armées espagnoles qui tentent de contenir la révolte marocaine ont à leur tête celui qui n'est encore que le "colonel Fransisco Franco", un chef de guerre qui n'hésite pas à utiliser des armes chimiques contre des civils. Pétain dirige de son côté les soldats qui défendent cette zone du protectorat français. C'est lors de cette campagne que des liens se nouent entre les deux militaires. Plusieurs opérations sont menées conjointement entre la France et l'Espagne pour réprimer dans le sang la révolte des troupes marocaines emmenées par Abdelkrim. En 1926, à l’Alcazar de Tolède, Alfonso XIII, alors roi d'Espagne, honore Pétain de la Grande Croix du Mérite Militaire, en présence de Franco. Deux ans plus tard, sur recommandation de Pétain, le futur "Caudillo" entre dans l'ordre de la Légion d'Honneur, avec le grade d'officier. En 1930, il est promu commandeur.

L'alliance des dictateurs

En 1939, Franco prend le pouvoir à Madrid à l'issue d'une sanglante guerre civile (qui a fait des centaines de milliers de morts, dont de véritables charniers ont été découverts encore récemment). Il se rapproche des deux autres dictateurs européens : le "fasciste" italien Benito Mussolini (le "Duce") et le National-Socialiste allemand Adolf Hitler (le "Führer") qui vont tous deux mettre l'Europe à feu et à sang.

Pour étayer sa demande de destitution de la Légion d'Honneur, Jean Ocana, qui fut un temps consul honoraire d'Espagne à Rodez (Aveyron), pouvait s'appuyer sur deux illustres précédents :

  • Maurice Papon - ancien haut fonctionnaire, préfet puis ministre - déchu de cette distinction après avoir été condamné à 10 ans de réclusion en 1998 pour complicité de crime contre l'humanité pour son rôle dans la déportation de juifs
  • et Harvey Weinstein, le producteur de cinéma américain dont le comportement de prédateur sexuel à l'égard des femmes avait enclenché le mouvement "metoo" en 2017.

Ce combat Jean Ocana l'a mené durant de longues années à Aussillon dans le Tarn là où il vivait encore lorsque nous l'avions rencontré en 2018. 

La grande chancellerie de l'ordre napoléonien a répondu par la négative aux deux lettres que Jean Ocana lui a adressées en 2016 puis 2017. En 2018, c'est le Tribunal Administratif de Paris qui a confirmé le rejet de cette demande, arguant "qu'une telle procédure ne peut être engagée contre une personnalité étrangère décédée", car contraire au principe du "débat contradictoire" à la base de l'exercice de la justice en France.

Une procédure en appel

Me Sophia Toloudi, avocate de Jean Ocana, a cependant déposé un recours, en 2018, contre cette décision auprès de la Cour Administrative d'Appel de Paris. Une procédure qui traîne en longueur. "Le scandale dans ce dossier", explique-t-elle, "c'est qu'on nous a coupé l'herbe sous le pied pendant la procédure. On a changé les règles de destitution de la Légion d'Honneur en cours de route. La cour administrative va réexaminer le dossier, et prendra en compte la nouvelle législation concernant ces règles de destitution, qui ne s'appliquent donc plus aux personnes décédées... Mais on garde espoir, on voit qu'on a reconnu la responsabilité de la France dans certains moments sombres de son histoire, notre action pour remettre en cause l'attribution de cette légion d'honneur, à Franco et à d'autres dictateurs, s'inscrit dans ce courant".

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