Pas facile d'assurer l'approvisionnement alimentaire en pleine crise sanitaire. Entre confinement et réactions imprévisibles du consommateur, la filière s'organise.
Ravière, l’Espagnol, témoigne du quotidien difficile des chauffeurs routiers. Parti d’Almeria, il doit livrer sa cargaison alimentaire à un supermarché héraultais. Il parle de la solitude que le confinement dans son camion lui impose, de sa peur du virus toujours présente chez ceux qui traversent régulièrement la France, l’Espagne ou l’Italie.
750 semi-remorques par jour pour nourrir l'Occitanie
« Chaque jour, je m‘arrête pour désinfecter ma cabine, j’évite le contact avec les autres chauffeurs. La semaine dernière, c’était pire : les stations-services étaient fermées, c’était invivable. Nous avions tous l’impression d’être des oubliés.»
Et pourtant le rôle du routier est prépondérant dans cette crise sanitaire : l’Occitanie consomme quotidiennement quelque 15 000 tonnes d’aliments et de boissons, soit l’équivalent du chargement de 750 semi-remorques par jours !
Un casse-tête pour les centrales d'achats
Ces chiffres, Thierry Désouche les connaît bien : porte-parole de la coopérative Système U, il est en contact direct avec les acheteurs chargés de faire correspondre l’offre à la demande. Pas facile depuis le début de la crise sanitaire : de l’assaut des premiers jours au confinement.
« Nous avions très tôt anticipé cette première vague d'achats frénétiques. En temps normal, nous avons 4 semaines de stocks sur les pâtes. Avant la crise, nous étions montés à un mois et demi de stocks. Mais nous n'avions même pas le temps de regarnir les rayons qu'ils étaient vidés. Quelqu'un nous a même demandé de lui livrer une palette d'eau minérale ! »
Une fois cette première vague passée, il a fallu faire face aux changements de comportements liés au confinement. Désormais, le consommateur prend ses repas chez lui avec ses enfants. Il achète donc plus de produits à transformer : il boude les plats cuisinés aux profits des produits de base. Une tendance qui va se confirmer avec la fermeture des marchés de plein air.
« Sur notre plateforme de Vendargues (Hérault) qui approvisionne 120 magasins, nos commandes de produits frais sont généralement stables et nos fournisseurs connaissaient les quantités de salades ou de tomates à cultiver pour répondre à la demande. Mais aujourd’hui, la chaîne est totalement désorganisée et nos achats de produits frais ont plus que doublé.»
Thierry Désouche, le téléphone soudé à l’oreille, tente de mettre un peu d’ordre, rassure ses magasins sur les stocks disponibles (plus de 30 jours en moyenne) et sur la capacité des centrales à rattraper les effets du pic d’affluence des dernières semaines.
Restent les inconnues liées à un éventuel renforcement du confinement et aux risques de faillite de certains fournisseurs. Pour soulager ces derniers, certaines enseignes ont décidé d'abandonner le paiement à trente jours au profit d'un paiement comptant.
"On évite l'achat plaisir, au profit de l'achat utile"
En bout de chaîne, Charles Lebrec est gérant d’un hypermarché de Montpellier. Il constate également ces changements d’attitude du consommateur qui impactent toute la filière. Depuis trois semaines, dès les premiers signes de Covid 19 en Italie, ses clients ont anticipé un risque de pénurie. Le rayon frais fut le premier boudé.
"Plus que faire des réserves, beaucoup de nos clients reconnaissent avoir changé leur mode de consommation. Ainsi quand on les interroge sur leur surconsommation de farine, beaucoup avouent s'être lancés dans la cuisson de leur propre pain ! »
Dans le même temps, Charles constate l’arrivée d’une nouvelle clientèle dans le « Drive » qu’il gère également. Habituellement prisés des couples avec jeunes enfants, celui-ci attirent désormais les personnes plus âgées qui jusqu’ici aimaient choisir leurs produits en rayons.
« Clairement, on évite l'achat plaisir pour l'achat utile. On boude même le poisson de la criée du Grau du Roi, pourtant protégé d’un film plastique.»
Et de conclure :
« Normalement, nous devrions installer le rayon des chocolats de Pâques. Nous les avons déjà en stock. Mais qui s’y intéresse aujourd’hui ? »