Des arbres fruitiers frappés par le gel, des rendements en baisse à cause du manque d'eau, le changement climatique est déjà une cruelle réalité dans les exploitations. Pour s'adapter, les agriculteurs ont commencé à se diversifier, les chercheurs travaillent de leur côté sur des plantes adaptées au manque d'eau.
Comment les agriculteurs vont-ils s'adapter au manque d'eau devenu chronique ou au gel qui menace désormais chaque printemps les vergers et les vignobles ? Le changement climatique est en marche et l'urgence est déclarée pour l'agriculture.
A Pomérols, dans l'Hérault, le viticulteur Pierre Colin se souvient encore du coup de gel tardif qui a touché le département les 7 et 8 avril 2021. Plus de la moitié des vignes ont été concernées avec une perte de 50 % pour les plantes touchées. "Ce qu'on redoute le plus, c'est le début de la pousse qui est de plus en plus tôt, explique Pierre Colin. Une fois que la vigne a commencé à pousser, elle est vraiment en danger".
En 2021, ça a été une perte énorme pour les viticulteurs.
Pierre Colin, viticulteur et arboriculteur.
Le gel qui avait frappé la vigne ces deux jours-là avait aussi touché 90 % des arbres fruitiers dans le département, causant là encore de lourds dégâts.
Avec le gel tardif qui brûle les bourgeons, les températures extrêmes et la sécheresse chronique sont deux autres des conséquences déjà visibles du dérèglement climatique. Et cela devrait s'amplifier s'inquiètent les scientifiques. 2022 a été l'année la plus chaude jamais enregistré "mais cette année sera une année tout à fait classique d’ici 2050, 2055", alerte l'agro-météorologue Serge Zaka qui précise : de récentes études ont montré que la moyenne des températures d’ici 2050 à 2055 sera équivalente à celle de 2022".
Si le réchauffement se confirme, les conséquences pourraient être très importantes pour l'agriculture en Occitanie, selon Serge Zaka : "Pour le fourrage par exemple, on aura un déficit qui sera marqué en été, comme en 2022, et au contraire des excès au printemps et à l’automne. Pour le blé et pour le maïs, on aura des rendements qui vont être impactés par ces fortes chaleurs et ces fortes sécheresses".
La viticulture aussi pourrait être impactée. Les qualités "organoleptiques des vins sont déjà en train d’être modifiées, explique l'agro-météorologue, et vont subir d’autres modifications avec le changement climatique, notamment le taux d’alcool dans le vin qui augmente, qui a gagné entre 1 et 2 degrés et qui devrait continuer à gagner 1 à 2 degrés d’ici 2040-2050".
C’est le goût du vin, le goût de notre terroir qui va être modifié par le changement climatique.
Serge Zaka, agro-météorologue.
Le manque d'eau inquiète aussi les agriculteurs. 2022 a été l'année la plus chaude mais aussi la deuxième la plus sèche jamais enregistrée. Et pourtant les quantités globales n'auraient pas changé significativement sur ces 60 ans dernières années, explique le viticulteur Pierre Colin : "Les quantités n'ont pas tellement changé, mais ce n'est pas au bon moment. En hiver notamment, les recharges hivernales ne se font pas car il y a peu de précipitations avec en plus des températures élevées."
Christophe Auvergne, de la chambre d'agriculture de l'Hérault ne dit pas autre chose : "le changement climatique, il crée des excès, et ça c'est problématique. On a des périodes de froid là où il ne faudrait pas, des périodes de chaud où normalement il fait froid, on a des périodes de fortes pluies et après des périodes où on a plus du tout de pluie. C'est très dur pour n'importe quelle culture de résister".
L'été dernier, de nombreux records de températures ont été relevés un peu partout en France, et notamment en Occitanie. Retrouvez, dans l'infographie CI-DESSOUS, les températures moyennes relevées dans l'ensemble des stations météo de la région ainsi que les cumuls de précipitations.
Capter l'eau
Alors que l'eau se fait rare, l'un des enjeux sera de la capter pour mieux la restituer. "Ce sont des milliards de m3 qui partent à la mer, ça peut faire partie des outils de résilience", exlique Pierre Colin.
En France, le débat sur la création de réserves d'eau, surnommées par leurs détracteurs "les méga-bassines", fait rage. "Certains opposants, de plus en plus nombreux, y voient le symbole d'une agriculture déraisonnée, qui donnerait la priorité aux rendements plutôt qu'à la sauvegarde de l'environnement", écrit Franceinfo sur son site Internet.
Se diversifier
Face à l'inéluctable, alors que le climat semble se dérégler durablement, certains agriculteurs ont déjà entrepris de diversifier leur production. Pierre Colin est de ceux-là. Depuis quelques années, le viticulteur produit aussi des grenades et a d'ailleurs monté la Fédération des producteurs de grenades du sud. "On a tous vu en bord des champs qu'il y avait des grenadiers qui ont une capacité d'adaptation à notre climat, se souvient Pierre Colin. En 2017, la vigne a gelé, pas les grenadiers. En 2018, il n'y a pas eu d'impact sur le vignoble, par contre, il y a eu de la neige et là, ça n'a pas été bon pour les grenadiers".
En 2021, la production de grenades, dont il fait du jus, lui a permis de sauver sa saison.
J'ai eu 60 % de mon exploitation qui a gelé et pour les grenadiers, je n'ai pas eu d'impact.
Pierre Colin, viticulteur et arboriculteur.
Des cépages plus résistants
La technologie vient au secours des agriculteurs d'aujourd'hui qui espèrent survivre au changement climatique. La chambre d'agriculture de l'Hérault travaille avec des outils de modélisation capables de prévoir le nombre de jours de gel, le nombre de jours avec des températures supérieures à 35 degrés ou encore le nombre de nuits où les températures ne vont pas baisser.
"Cela permet d'indiquer aux viticulteurs ou aux arboriculteurs vers quels cépages ou vers quels porte-greffes aller pour éviter au maximum les problèmes, mais on ne va pas tout éviter", explique Christophe Auvergne qui travaille sur les outils technologiques à la chambre d'agriculture.
Ce travail de prévision et d'anticipation est important car "les vignes qu'on plante maintenant sont plantées pour 25 ans. Quand on plante aujourd'hui, il faut se poser la question de quel va être le climat pour les 25 prochaines années", complète Christophe Auvergne.
De nouvelles pratiques
De nouvelles pratiques émergent également dans les exploitations. Pierre Colin a ainsi adopté la taille "en gobelet" pour ses grenadiers. Quatre ou cinq branches partent du pied. Les fruits qui poussent sur une branche sont protégés du soleil par les autres branches.
L'enherbage est aussi de plus en plus souvent pratiqué. Laisser de l'herbe au pied des ceps, cela ne va pas de soi car l'herbe fait concurrence à la vigne mais au final, elle permet de faire baisser la température du sol et évite à l'eau de s'évaporer.
Des plantes sélectionnées en laboratoire
Et si la solution au changement climatique venait de la science ? A Montpellier, le laboratoire Arcad est dédié "à la conservation et à l’étude des ressources génétiques des plantes cultivées méditerranéennes et tropicales". A l'abri de la lumière, conservées dans des chambres froides, environ 50 000 graines et autres échantillons de plantes du monde entier sont stockées, classées, étudiées.
Vigne, maïs, sorgho, blé dur, riz, mil, arachide, cacao, café, arbres forestiers, les chercheurs analysent leurs caractéristiques, leurs qualités pour voir comment ils pourraient éventuellement remplacer les plantes d'aujourd'hui, confrontées demain au manque d'eau ou aux températures extrêmes.
Joëlle Ronfort, responsable de l'unité, et ses équipes s'intéressent aussi aux plantes anciennes : "ces formes anciennes ou les formes sauvages ont été exposées à des variations environnementales plus larges. Ce sont des ressources pour aller chercher des caractères et des comportements mieux adaptés à des stress hydriques ou à d'autres contraintes".
L'agriculture face aux changements climatiques, c'est le thème de l'émission Dimanche en politique, diffusée ce dimanche 5 février à 11h30 sur France 3 Occitanie.