Ils sont une centaine : agricultrices et agriculteurs à exprimer leur opposition au projet d'autoroute Toulouse-Castres dans une lettre ouverte, alors que l'enquête publique environnementale vient de se terminer avec plus de 6.000 avis émis. L'un d'eux a accepté de nous faire part de ses arguments.
Michel Costadau est agriculteur bio à Algans dans le Tarn. Il fait partie de la centaine d'agriculteurs signataires d'une lettre ouverte au commissaire enquêteur concernant le projet d'autoroute Toulouse -Castres. Avec ses pairs, il estime que cette "spirale d’artificialisation" est "contraire aux engagements de l’Etat clamant protéger les terres agricoles et favoriser leur transmission aux jeunes agriculteurs".
France 3 : pourquoi vous regrouper et manifester ensemble par cette lettre votre refus de ce projet d'autoroute ?
Michel Costadau : A l'origine, c’est la position d’un certain nombre d’élus, en particulier un courrier de messieurs Terlier, Bonnecarrère et Folliot qui ont mentionné que la profession agricole était pour l’autoroute et que personne ne s’opposait à ça. Heureusement, nous on a pas mal de contacts et on s’est rendu compte que beaucoup d'agriculteurs ou de porteurs de projets agricoles n'étaient pas du tout contents. Au contraire.
Une collègue a accepté de faire le tour et de recueillir les signatures. L'initiative a fait boule de neige. Au final, on a recueilli une centaine de signatures sur un texte qui dit en substance : la terre est là pour nourrir les gens plutôt qu'être bétonnée. Pour nous, la profession n'est pas du tout unanime. Il y a des tas d'agriculteurs qui sont contre ce projet.
France 3 : Pourquoi êtes-vous hostiles à ce projet ?
Michel Costadau : la première raison, c'est qu'il existe un itinéraire existant qui n'a pas été aménagé ni amélioré alors que le plan prévoyait de le faire. Vous vous souvenez, c’est un projet de 1994 dans lequel il fallait relier Toulouse et Mazamet avec une multitude de portions à 2×2 voies. Ce projet a été adopté par le département en 94 mais pour des raisons politiques, Castres ne sachant pas très bien où faire passer la pénétrante ou comment éviter la ville, ça a pris du temps.
Finalement, en tout et pour tout, seul le contournement de Puylaurens s'est fait. Il n'y a pas eu réellement d'amélioration de l'itinéraire et ça, ça nous est resté sur la patate parce que c'est LA solution !
En plus il faut aller jusqu’à Mazamet... Les Mazametains ne se rendent pas forcément compte que si il y a l’autoroute jusqu’à Castres, ils seront oubliés. Les gens, plutôt que d’aller à Mazamet, qui est 40 km plus loin, iraient probablement à Castres.
France 3 : Au-delà de cet argument, vous dites dans cette lettre "trop d’actions et d’annonces de décideurs publics concourent à toujours plus d’accaparements et d’artificialisation de terres fertiles ou de refuges de biodiversité, et de désorganisation des exploitations agricoles. C’est dire l’ignorance et l’absence totale de considération pour les fondements de l’agriculture"...
Michel Costadau : Très honnêtement le projet autoroutier aurait été fait dans les années 2000-2005, ça passait. La question environnementale n’était pas à ce moment-là à ce point exacerbée... On n'avait pas connu les épisodes de confinement et la crise climatique ne paraissait pas à ce point critique.
C’est trop tard aujourd’hui : on a plus le droit de sacrifier le climat au confort de l’économie ! Donc il faut réfléchir à ce projet différemment. Comme le disent les autorités elles-mêmes, il est anachronique. Il ne correspond pas aux engagements de la France dans la crise climatique. Il est à côté de la plaque. D'ailleurs, on a un épisode judiciaire qui va commencer dans un mois, au cours duquel le tribunal se rangera sûrement à nos arguments.
Aujourd'hui, on a des textes de loi qui sont contre ce genre de projet et les élus se trompent : la France ne s’engage pas à continuer ses réseaux d’autoroute, au contraire.
France 3 : Sur le plan agricole, vous en voyez les nuisances ?
Michel Costadau : l’aménagement de la route mettrait pas mal d’endroits à 2×2 voies, ce qui représente quelques dizaines d’hectares puisqu’il s’agit de coller des routes à des routes existantes. Alors qu'avec ce projet d'autoroute, on est sur 400 à 500 hectares artificialisés.
Le paradoxe, c'est que ce ne sont pas les agriculteurs qui se sont mobilisés au début. Mais on voit que la terre est "mangée" par le béton, le photovoltaïque, les projets immobiliers donc il faut arrêter ça. La loi Climat et résilience se positionne contre, pour 0% d'artificialisation des terres. Ça, ça va dans le bon sens. La terre, il faut la garder pour la cultiver.
Je suis en agriculture bio depuis toujours, or je constate que la profession agricole ne sert pas l’agriculture en ce moment. On a des conflits avec la SAFER sur la politique actuelle qui est à l’agrandissement à outrance. Elle fait en gros disparaître les paysans et empêche les jeunes de s'installer. D'ailleurs si on les voit s'installer en tant que maraîcher, ce n'est pas par choix pour beaucoup, c'est parce qu'un hectare suffit pour faire du maraîchage. C'est le seul moyen pour eux de s'installer en acquérant un minimum de foncier.
France 3 : Vous, à titre personnel, vous estimez que cette autoroute sacrifierait des terrains ?
Michel Costadau : Complètement ! Il y a l’aspect environnemental : les zones humides avec des espèces protégées. Ça c'est la question plus écologique mais la fibre agricole, ça consiste à ce que la terre soit un outil de travail. Or elle est malmenée en ce moment, c'est cette terre que je cherche à défendre. On n'a pas de raison de bitumer à tire-larigot, ça n’a pas de sens, ça n’a plus de sens.
Il y a d’autres priorités. On le voit aujourd’hui avec le débat sur l'agrivoltaïsme dans lequel l'argent est là aussi un instrument puissant. On promet aux gens des sommes pharaoniques si ils installent des panneaux photovoltaïques sur leur terrain. On va faire en sorte que ce soit un peu rentable sur le plan agricole, on pourra faucher par exemple, mais c'est cette même question de l'artificialisation des terres.
La méthanisation pose aussi ce type de problèmes... Quand on voit sur des camions "Je roule au colza", c’est une honte ! Il y a des champs entiers qui, au lieu d’aller à l’alimentation, vont dans des méthaniseurs pour faire du gaz ou de l'éthanol. On déraille ! Qu'une usine en fabrique d'accord, mais pas avec de la matière première qui vient de la terre.
Pour revenir à l'autoroute, on est pour l’autosuffisance de la France. Elle n’a pas à exporter à tire-larigot des céréales ou des huiles. Au contraire, elle a à nourrir sa population et si tous les pays du monde ont à peu près cette politique, le problème agricole sera un peu résolu, qu'il n'y ait plus cette notion de marché qui impose des transports en quantité industrielle d’un bout du monde à l’autre.
Ces 500 hectares, on estime qu'ils doivent nourrir les gens. Les élus tarnais sont vraiment en dessous de tout, c’est-à-dire qu'au lieu de défendre la population, ils cherchent leur réélection en votant des projets qui finissent par être mortifères. Mais ça ils s’en fichent complètement.
France 3 : pensez-vous que vous aurez gain de cause ?
Michel Costadau : l’avenir est sombre pour ce projet. Ils essaient de passer en force, de faire croire à l'adhésion de la population. C'est la raison pour laquelle on a fait cette pétition spécifiquement agricole. On rencontre des opposants mais aussi des gens dont le premier sentiment est l'impuissance, mais ça ne veut pas dire qu'ils sont pour.
On est un collectif peu organisé mais qui a des idées, qui a des gens motivés, qui a des gens éduqués même sur le plan scientifique donc on est capable de contrer beaucoup d’arguments. La bataille va être longue mais cette autoroute ne verra jamais le jour. Qu'on parle de ZAD, de procès ou de manifestations... le terrain va être miné.
On peut même être amenés à mobiliser les gens de manière un peu plus efficace. On est prêt à cela pour qu'on en sorte par le haut, c'est-à-dire que les porteurs de projets, les élus aménagent la route existante avec une pénétrante pour Castres. Ce n'est pas encore très net car la solution qu’ils ont choisie est au détriment de Mazamet. Nous, on n'est pas les pouvoirs publics, mais on pense qu’il faut changer d’avis et on fera tout pour ça.