Depuis le début du confinement les portes des tribunaux sont fermées au public et la machine judiciaire tourne au ralenti. Seules les affaires urgentes sont jugées, la majorité des audiences renvoyées, et dans les couloirs du palais le calme remplace le tumulte habituel.
En temps normal, la grande salle d’audience Simone Veil du Tribunal d’Instance de Béziers grouille de monde. Les audiences du début de la semaine sont souvent les comparutions immédiates issues des gardes à vue du week-end. Prévenus et avocats se succèdent devant le tribunal, prime à ceux qui auront la chance de passer en premier.
Mais depuis trois semaines, le grand spectacle de la Justice se joue désormais à huis clos, et en visioconférence. Seuls les journalistes sont admis pour respecter la publicité des débats.
Priorité est donnée à la justice pénale, les prévenus en détention provisoire apparaissent sur l’écran depuis leur maison d’arrêt. Pour la greffière qui gère la technique, c’est la jungle des horaires : “On commence par Nîmes puis Béziers, à 15h30 Perpignan et ensuite on revient à Béziers”.
"On perd la relation humaine"
Le premier prévenu s’installe : “Vous m’entendez ?” demande le président. Le système est plutôt efficace et la connexion fonctionne, c'est déjà ça... Pour d’autres magistrats, la visioconférence est plus problématique comme les juges d’application des peines qui reçoivent normalement les justiciables en face en face dans un bureau :
On perd quand même la relation humaine avec la visio, nous on a besoin de sentir la personne, de voir le regard des gens, connaître leur réaction. Le côté psychologique est essentiel. assure une juge d'application des peines.
La difficile communication entre clients et avocats
Pour les avocats, la principale difficulté est d’avoir accès aux clients, à Béziers le barreau a pris la décision de ne plus se rendre aux parloirs à la maion d'arrêt, et tout comme les tribunaux, les cabinets sont fermés. Il faut se contenter de rendez-vous téléphonique et de mail mais le problème majeur reste l’accès aux clients qui sont emprisonnés comme l’explique Maître Lisa Valiente, avocate au barreau de Béziers.
Quand la personne est détenue c’est extrêmement difficile de communiquer puisque nous n’avons plus les parloirs à la maison d’arrêt. Aussi la poste étant au ralenti en ce moment, les courriers pour les détenus n’arrivent pas forcément. Maître Lisa Valiente
Autre point essentiel : l’entretien avec les clients avant l’audience lorsqu'ils ne sont pas présents physiquement. À Béziers, un accord a été trouvé : durant quelques minutes avant l’audience, l’avocat peut s’entretenir par par visioconférence avec son client.
Présence minimale
Dans les étages du palais, c’est strict minimum, une quinzaine de fonctionnaires et de magistrats pour faire tourner la boutique. Au Parquet, le confinement a du bon : le bureau des ordres se vide. Ce service est chargé de l’enregistrement et de la distribution des procédures.Les caisses habituellement débordantes de courriers se font de moins en moins nombreuses, de quoi réjouir Raphaël Balland, le procureur de la République de Béziers.
Les magistrats ont embarqué des dizaines de caisses pour avancer sur ces dossiers qui étaient là depuis trop longtemps. Il y avait 7.000 procédures en attente, on doit être à un peu moins de 4.000 actuellement. Raphaël Balland
Salle d'audience transformée en sas de décontamination
Sur le plan sanitaire, une question taraude magistrats et policiers. Combien de temps le virus peut-il tenir sur le carton ou le papier ? Comment respecter les gestes barrières avec ces dossiers qui passent de mains en mains à longueur de journée ? Pour se préserver une salle d’audience a été transformée en salle de décontamination.
La procédure à suivre est stricte : policiers et gendarmes viennent déposer les dossiers papiers devant la porte du tribunal, puis un agent du tribunal récupère le casier avec des gants. Ensuite, la caisse est déposée dans une salle fermée pendant 3 jours, au cas où le covid-19 serait présent sur les documents.
La justice civile à l'arrêt
Même si les audiences les plus urgentes ont lieu, depuis 3 semaines la majorité des dossiers est renvoyée. Des décisions “ terribles” selon le président du tribunal Luc Barbier. La machine judiciaire est à l’arrêt et la relancer devrait prendre beaucoup de temps.
Des centaines, voire des milliers de dossiers n’auront pas été jugés. Il est clair que si la Chancellerie ne nous aide pas en nous fournissant des vacataires ça sera très compliqué. Cela risque de prendre des années pour se remettre de la situation. Luc Barbier.
Dans certaines affaires, le temps du confinement va s'ajouter au temps de la Justice déjà très long en général, comme dans les affaires familiales. Que répondre aux parents qui attendent depuis des mois un droit de visite ou une pension alimentaire ?
Depuis 4 semaines tous les dossiers sont renvoyés.
Les gens vont attendre quinze, seize ou dix-sept mois après avoir déposé une requête, ça devient insupportable aussi bien pour le justiciable que pour nous. Luc Barbier.
Certains justificiables devront donc attendre plusieurs mois avant une audience, d'autres auront eu l'occasion de tester la réactivité du système, comme les contrevenants au confinement. Depuis 3 semaines à Béziers, une dizaine de personnes a été condamnée pour non respect des règles de confinement, dont plusieurs à de la prison ferme.