Saint-Sériès dans l'Hérault inaugure ce dimanche 6 novembre 2022 une stèle dédiée aux victimes de la Grande Guerre. Ce village de 976 habitants était l'un des rares en France à ne pas posséder de monument aux morts. Un oubli réparé par le maire en hommage aux six poilus de la commune.
Il ne cache pas sa fierté. Pierre Griselin, le maire de Saint-Sériès, s'est battu pour installer cette stèle dans le parc du village. Un parc pris d'assaut jusqu'ici par les boulistes et les enfants qui viennent profiter des balançoires. Mais bientôt, il y aura aussi de vraies cérémonies pour honorer la mémoire des enfants de la commune disparus pendant la Première Guerre mondiale.
"Depuis que je suis maire (depuis 2020), je fais des commémorations devant une petite plaque, sur un petit mur, sur le parking de la salle des fêtes, et ça me gênait beaucoup, reconnaît Pierre Griselin. Je suis originaire du nord de la France et là-bas, on vit au milieu des champs de bataille. Tout nous rappelle l'horreur de la guerre. Ici, il faut pouvoir s'accrocher à quelque chose pour se souvenir et c'est le rôle d'un monument aux morts."
Plus personne aujourd'hui ne construit de monument aux morts. L'édile a du faire appel à un marbrier. L'élu ne souhaitait pas non plus un buste de soldat ou une statue. La stèle a donc été taillée dans de la pierre de Beaulieu, village voisin de Saint-Sériès, et sur cette stèle a été apposée une plaque gravée et décorée, portant les noms des "héros" de la commune "morts pour la France" en 14-18.
Deux poilus oubliés
Il n'y avait que quatre noms sur l'ancienne plaque. Avec Sylvie Lacour, sa compagne, qui œuvre de son côté pour le Souvenir français, Pierre Griselin a pu retrouver et faire inscrire deux noms supplémentaires, deux soldats morts pour la France eux aussi mais inconnus jusque-là dans le village : Gaston Crozat et Léopold Villard.
Gaston Crozat avait 20 ans. Il était né à Saint-Sériès mais le tourneur était parti vivre à Oloron dans ce qu'on appelait encore à cette époque les Basses-Pyrénées. Incorporé le 17 avril 1917 au 88e régiment d’infanterie, il était passé au 131e en mars 1918. Disparu le 9 juin 1918 à Riquebourg dans l'Oise, il a d'abord été présumé prisonnier avant d'être déclaré mort en 1920.
Léopold Villard n'avait que 18 ans, il s'était engagé volontairement le 22 août 1918. Né à Saint-Aunès, à quelques kilomètres de là, il s'était installé à Saint-Sériès comme agriculteur. Apprenti marin sans spécialité, il avait été affecté au 5e dépôt des équipages de la flotte. Il est mort à l’hôpital de St Mandrier dans le Var d'une bronchopneumonie, alors qu'il n'était que depuis un mois sous les drapeaux.
Du jamais vu depuis 1936
"Sauf erreur de ma part, aucun monument aux morts n’a été inauguré en France depuis 1936, assure Franck La Barbe. Il y a moins de 5% des communes dans l'Hexagone qui n'ont pas de monument." Professeur d'histoire, il est aussi membre de l'association "Mémoires de poilus" et intervient très souvent auprès des écoliers, collégiens, lycéens et étudiants pour partager sa passion pour la Grande Guerre. A l'aide des objets d'époque qu'il collectionne, il aime raconter le quotidien des soldats dans les tranchées.
Un monument aux morts, ça nous recadre, ça nous permet de nous souvenir que nous appartenons à une histoire qui s'inscrit dans le temps et dans l'espace.
Franck La Barbe, professeur d'histoire, association "Mémoires de poilus".
Franck La Barbe participe également à de nombreuses reconstitutions et pas question pour lui de rater ce rendez-vous. Pour la première cérémonie prévue à Saint-Séries, il se mettra même en uniforme et au garde à vous avec quatre autres "poilus". Il amènera un canon de 75 et un "crapouillot" (NDLR - mortier de tranchée dont la forme fait penser à un crapaud).
C'est en effet Patricia Mirallès, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, qui vient en personne inaugurer le monument aux morts, ce dimanche 6 novembre 2022, une semaine avant la commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918.
Quand le maire de Saint-Séries m'a dit qu'il n'avait pas de monument aux morts, c'est quelque chose qui m'a touchée. Alors je l'ai aidé. L'histoire commence par là, par ces noms de soldats qui sont inscrits sur les monuments aux morts et ne pas les graver dans la pierre, c'est les faire mourir une deuxième fois.
Patricia Mirallès, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire.
35 000 monuments aux morts
La guerre 14-18 a été un véritable traumatisme. En 1918, la France est littéralement en deuil, 1,4 millions de vies ont été fauchées. Aucune région n’a été épargnée. Seules 12 communes françaises sur 36 000 ne déplorent pas de victimes de la Grande Guerre. Et pour la première fois, on éprouve le besoin de "nommer" les soldats tombés au champ d’honneur. Les anciens combattants représentent 90 % des hommes adultes et attendent du gouvernement qu’il reconnaisse ce terrible sacrifice.
Par la loi du 25 octobre 1919, l’Etat propose donc à toutes les municipalités désireuses de se doter d’un monument aux morts, des subventions d’Etat établies en fonction du nombre de morts dans la commune et de ses ressources. De 1918 à 1925, 35 000 monuments sont ainsi érigés. Entre 1919 et 1922, on comptera en moyenne trois inaugurations par jour !
Devoir de mémoire : les commémorations sont-elles dépassées ?
À quelques jours du 11 novembre, jour anniversaire de l’Armistice de 1918, Dimanche en politique s’interroge sur la mémoire et le souvenir. Ces commémorations ont-elles encore du sens aujourd’hui ? Comment entretenir la mémoire quand il n’y a plus de témoins ? Comment faire vivre l’Histoire auprès des jeunes générations ? Ne pas la trahir ?
Anne-Sophie Mandrou ouvre justement le débat depuis Saint-Sériès avec Pierre Griselin, le maire LR de la commune et Franck La Barbe professeur d’histoire et membre de l’association "Mémoire de poilus". Avec la participation également de Richard Vassakos, historien et chercheur à l’université Paul Valéry Montpellier III, auteur de La croisade de Robert Ménard - Une bataille culturelle d'extrême droite paru aux éditions Libertalia en septembre 2021. Il évoquera quant à lui cette mémoire devenue enjeu politique comme on l'a vu lors de la dernière campagne présidentielle.
Enfin, Patricia Mirallès a également accordé un entretien exclusif à France 3 Occitanie. La secrétaire d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire a annoncé dès sa nomination au gouvernement qu'elle souhaitait "dépoussiérer" ce ministère et réfléchir à d'autres moyens de faire vivre ce devoir de mémoire.
Retrouvez Dimanche en politique - "Devoir de mémoire : les commémorations sont-elles dépassées ?" dimanche 6 novembre 2022 à 11h30 sur France 3 Occitanie.