En avril 2018, des plongeurs de Frontignan dans l'Hérault, découvrent, à quelques encablures de la plage des Aresquiers, une épave. Puis deux. La Justine et l'Olympia transportaient du soufre pour lutter contre l'oïdium et sauver la vigne languedocienne. Un pan de l'histoire viticole redécouvert.
C'est un pan décisif de l'histoire économique et sociale de la région que renferme les épaves de l'Olympia et de la Justine. Des navires du 19ème siècle et des blocs de soufre. Voici donc le butin de cette enquête au long court. Un trésor pour les historiens car il recèle tous les éléments permettant d'illustrer une véritable révolution.
La vigne dévastée par un champignon, l'oïdium
En 1850, un champignon fait son apparition en Europe : l'oïdium. Il s'attaque aux jeunes pousses de la vigne et empêche la fructification. Les récoltes s'effondrent et l'économie locale, en pleine expansion, vacille. Michel Sala, adjoint au maire de Frontignan chargé du Patrimoine, détaille la situation à l'époque.
Du jour au lendemain, la vigne a totalement périclité. Le muscat ne se consomme pas tout de suite. Il se consomme, surtout à l'époque au bout de 3, 4, 5 ans donc les négociants avaient du stock et n'ont pas vu le problème tout de suite. Mais ce qui s'est passé, c'est que tous les salariés se sont retrouvés sans emploi du jour au lendemain.
Le soufre comme antidote : une découverte majeure pour la vigne
Face à ce fléau, les vignerons ont cherché la parade. C'est à quelques encablures de Frontignan et des épaves, que va surgir la solution. L'ancêtre de ce viticulteur de Pignan est un héros.
Henri Marès, diplômé de Centrale, exploitait le domaine familial de l'époque. En observant les pieds de vignes attenant au chemin de l'exploitation, le scientifique a imaginé une solution. Son descendant, Alexandre de Mortillet, raconte sa découverte :
Il s'est rendu compte que les vignes qui étaient proches du chemin étaient moins affectés par l'oïdium que le reste du vignoble. Il s'est dit que la poussière du chemin lutte contre ce fléau. Ensuite, il a essayé le souffre qui est plus agressif que la poussière.
Henri Marès n'était pas le seul à travailler sur la solution du soufre à l'époque. Mais en 1854, c'est lui qui a écrit le protocole du soufrage à sec qui sauva le vignoble européen. C'est une partie de cette prouesse que renferme la Justine et l'Olympia. Au delà de la personnalité de Marès, c'est toute une économie qui émerge.
Pour satisfaire la demande des viticulteurs, les usines de soufre poussent comme des champignons. Comme à Frontignan où elle fonctionnera jusque dans les années 1990.
Avant l'oïdium, la vigne est une plante rustique que l'on cultive en complément. En 1850, le vignoble va faire sa révolution. Pour Jean-Louis Escudier, directeur de recherches au CNRS et docteur d'une thèse sur l'histoire du soufre, la vigne doit son essor au chemin de fer et paradoxalement à l'oïdium.
À partir du moment où arrive d'une part, le chemin de fer qui va donner des déboucher et d'autre part, l'oïdium qui va entraîner des coûts de production beaucoup plus élevés, se met en place cette viticulture industrielle qui va constituer cette mer de vignes qu'on va appeler du Bas Languedoc.
La Justine et l'Olympia conservent encore quelques secrets
Henri Marès, les usines de soufre, la révolution industrielle de la viticulture, c'est donc cela le véritable trésor de la Justine et de l'Olympia. Une vraie mine d'informations pour les chercheurs qui travaillent sur ces sujets. Mais la récolte n'est peut-être pas terminée car il reste une question qui n'a pas encore de réponse :
Pourquoi ce bateau a pris la mer à 23 heures en plein ouragan ? Soit il n'avait plus d'argent pour payer les droits de stationnement dans le port de Sète. Cette hypothèse nous semble un peu farfelue parce que le soufre est très rentable à l'époque. Soit il transporte de la marchandise de contrebande, ce qui se fait beaucoup. Donc on est très avides de fouiller pour savoir ce qu'il y a dans ce bateau parce qu'à mon avis, il n'y a pas que des blocs de soufre.
Fin du suspense peut-être l'été prochain. La société d'archéologie de Frontignan attend le feu vert du Ministère de la Culture pour lancer une nouvelle campagne de fouille.