Georges Frêche l'appelait perfidement "Jacou le croquant" en référence à son engagement revendiqué pour les territoires ruraux. Le Lozérien Jacques Blanc, ex-président (de droite) de la Région Languedoc-Roussillon, a été l'un des plus coriaces adversaires du Montpelliérain. Il se souvient. ENTRETIEN
Ils sont de la même génération, nés à un an d'intervalle, Georges Frêche dans le Tarn, Jacques Blanc en Aveyron ("par accident", aime-t-il à dire). C'est à peu près tout ce qui les rapproche. Pour le reste, humainement et politiquement, Frêche l'urbain, professeur d'Histoire et de droit Romain à Montpellier et Blanc, le médecin neuropsychiatre rural de La Canourgue (Lozère) étaient aux antipodes l'un de l'autre.
Et ils ne se sont pas ménagés l'un, l'autre au cours des quelque 30 ans qu'aura duré leur affrontement idéologique. Député de Lozère de 1973 à 2001, puis sénateur (UMP) de 2001 à 2011, le centriste Jacques Blanc débute sa carrière au Parti Républicain. En 1977, l'année où Georges Frêche (alors député PS) accède à la mairie de Montpellier, Jacques Blanc est nommé secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Agriculture.
Passé à l'UDF, il devient président de la Région Languedoc-Roussillon de 1986 à 1998. Cette année-là, il conserve de justesse son poste face à Georges Frêche grâce à un accord conclu avec les élus du Front National. Il est exclu de l'UDF et entre chez les Démocrates Libéraux. En 2004, il est battu par... Georges Frêche. 10 ans après la mort de son vieil adversaire, Jacques Blanc n'a pas changé d'avis sur lui. ENTRETIEN
Vous avez en commun votre longévité politique, avec des trajectoires différentes et un corpus idéologique différent. Est-ce qu’il y a eu un moment précis où votre affrontement a pris naissance ?
Ça s’est fait au fil du temps. En réalité, la divergence était dans la conception qu’on pouvait avoir de l’aménagement du territoire. Pour Georges Frêche, Montpellier devait "tirer" les territoires vers le haut. Ma vision, c'est qu'il y a un tissu de pôles qui irriguent le territoire régional et je considérais qu'il fallait valoriser cette réalité multipolaire. Pour lui, il devait y avoir une verticalité et pour moi, une horizontalité.La presse a parfois comparé votre opposition au combat du "rat des villes contre le rat des champs". Vous aviez besoin l’un de l’autre pour exister politiquement ?
Je ne crois pas : avant de devenir président de la Région Languedoc-Roussillon, j’avais été député et secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Agriculture. Je n’ai pas eu besoin de lui pour exister.[NDLR : voici un extrait du débat des élections régionales de 2004 sur France 3 Languedoc-Roussillon, au cours duquel les deux hommes opposent leur vision du marché de l'emploi :]
Entre lui et vous, vous disiez : "c’est une question de méthode, lui il est brutal"... Surtout envers vous ?
Ça transparaît dans le documentaire d’Yves Jeuland, "Le président" : quand je l’ai vu, je me suis senti triste pour lui. La vérité, c’est qu’il s’est pris lui-même à son propre jeu. C’était devenu un théâtre.Oui, il a été brutal, parfois grossier, disant n’importe quoi. Pour moi, la politique n’a pas besoin de ça. Je n’oublie pas qu’il a été odieux envers moi, mais moins qu’avec certains de ses amis. En réalité, il était plus préoccupé qu’on ne le croit par l’idée qu’il voulait être le premier, le seul. C’était un anxieux triste.
Quand je n'ai plus été élu à la Région, son comportement a complètement changé à mon égard. Un jour, je le croise au stade de la Mosson. Il me dit : "Jacou, depuis que tu n'es plus là, on s'emmerde !"Pour la coupe du monde de football 1998, la Région avait financé une partie des travaux de mise aux normes du stade de la Mosson. Le jour de l'inauguration, il ne pouvait pas faire autrement que de me donner la parole. Donc je monte à la tribune. Et là, il fait couper le micro !
[NDLR : vous pouvez revoir l'élection de Georges Frêche à la présidence de Région dans ce reportage de France 2:]