Gilets jaunes : répression, "image de casseurs", pourquoi le mouvement ne repart pas quatre ans après les premières manifestations

Il y a quatre ans naissait le mouvement des gilets jaunes. A Montpellier, un premier rassemblement a eu lieu jeudi 17 novembre pour fêter la date symbolique du 1er rassemblement. Un second est prévu ce samedi 19 novembre pour espérer rassembler davantage de personnes. L’occasion de faire le point sur ce qu’il reste du mouvement social, entre les fidèles et ceux qui ont lâché.

Le 17 novembre 2018, 282 000 gilets jaunes se mobilisaient partout en France. A Montpellier, le rond-point de Prés-d’Arènes s’est vite transformé en « village jaune ». Aujourd’hui encore, il reste un lieu de rendez-vous pour ceux qui n’ont pas lâché leur gilet. Les plus fidèles se sont rassemblés une nouvelle fois ce jeudi 17 novembre et devaient le faire également ce samedi 19, pour fêter ensemble les quatre ans du mouvement. Bien moins nombreux qu'il y a quatre ans, ils bénéficient encore du soutien de quelques automobilistes.

« Sincèrement, je n’aurais pas imaginé qu’on serait encore là quatre ans après, on pensait que ça s’améliorerait » regrette Daniel. « Si je suis encore là aujourd’hui c’est pour fêter la victoire d’avoir résisté pendant quatre ans. On sait qu’on a affaibli Macron et que la colère est encore là dans la population. Même si on est moins nombreux, on est encore là et on sait que tout le monde nous regarde » ajoute Richard. 

Pour la sociologue Emmanuelle Reungoat, spécialiste des mouvements sociaux et plus particulièrement de celui des gilets jaunes, la longévité de ce mouvement est à souligner, « d’autant que de nombreux militants sont des ‘primo-contestataires’» [c‘est-à-dire qu’il s’agit d’une première participation à un mouvement social].

« Dans un mouvement, la mobilisation ne sert pas uniquement à procéder à des transformations mais aussi à avoir un moment où on se sent actifs de sa situation et moins écrasés. Ceux qui restent sur les ronds-points savent que ce n'est pas ça qui va faire tomber le gouvernement mais ils représentent le fait qu’il y ait encore des résistants » explique la chercheuse en sciences politiques de l’Université de Montpellier.

Des revendications inchangées

En 2018, la hausse du prix du gasoil avait été l’élément déclencheur du mouvement. Quatre ans après, son prix est encore plus haut. Les motivations de ces derniers gilets jaunes restent inchangées.

Lorsque ça a commencé en 2018, le prix était de 1,5 euro le litre de gasoil, aujourd’hui c’est presque 2 euros.

Richard

Gilet jaune des Près d'Arènes

Ce sont toujours les plus démunis les plus impactés.

Daniel

Gilet jaune de Près d'Arènes

Je me rends qu’il y a quatre ans, c’était encore potable par rapport à maintenant. J’ai peur qu’il y ait de la famine.

Josie, retraitée

Gilet jaune de Près d'Arènes

Malgré l’inflation et la baisse générale du pouvoir d’achat, le mouvement ne connaît pas le même essor qu’en 2018. « Quand on voit la dégradation de la situation actuelle, on peut se poser des questions pourquoi les gens ne réagissent plus » s’interroge Daniel.

L'impact de la répression du mouvement

L’usure du temps mais surtout la répression du mouvement semblent expliquer pourquoi celui-ci a perdu de l’ampleur : « J’ai arrêté de manifester, ça ne sert plus à rien à part se mettre en danger. Même si cela m’a apporté plein de choses positives, ça m’a aussi apporté du négatif comme des menaces de mort » nous a confié Ricou, qui a fini par quitter le mouvement un an après ses débuts. Il s’agit pourtant d’un gilet jaune de la première heure, connu dans toute la France pour sa marche vers Paris. Clothilde a aussi arrêté pour cette raison : « j’étais enceinte donc je n’ai pas voulu me prendre de gaz. Je n’étais pas la seule car on s’est tous posé la question de continuer ou pas face à la réponse extrêmement violente du gouvernement ».

Les autres causes de la démobilisation des gilets jaunes sont multiples et complexes. La sociologue Emmanuelle Reungoat tente d’en dresser une liste.

« En plus de la répression policière, il y a aussi les sanctions judiciaires contre les gilets jaunes qui ont joué. Elles ont été plus sévères que pour d’autres mouvements sociaux, avec plus de comparution immédiate par exemple ».

L’ampleur remarquable du mouvement explique aussi logiquement pourquoi celui-ci n’a pas pu tenir ainsi sur la durée : « le mouvement a été investi très vite et très fort, nuit et jour pour certains gilets jaunes et ce pendant plusieurs semaines » rappelle Emmanuelle Reungoat. « Economiquement et personnellement ce n’est pas possible de tenir longtemps en étant sur-mobilisés ».

"Une image de cas soc' et de casseurs" 

Les élections de 2019 ont ensuite été un facteur de division au sein des gilets jaunes, « sur les questions identitaires et migratoires » puis la pandémie de Covid-19 a stoppé tous les regroupements.

L’un des gilets jaunes croisé au rond-point de Près d’Arènes, Julien, estime quant à lui qu’il y a certainement eu un transfert de militants vers « d’autres luttes en cours, que ce soit féministes, écologistes ou les grève pour un meilleur pouvoir d’achat ». Une raison qui doit être nuancée selon la chercheuse montpelliéraine : « il est vrai qu’il y a eu une convergence des luttes par rapport aux grèves pour le pouvoir d’achat ou contre la réforme des retraites mais globalement il y a encore un fossé entre les syndicats et certains gilets jaunes ». Selon elle, les gilets jaunes exercent principalement dans des professions où les syndicats sont peu présents (métiers du « care », intérim…) et la réaction des syndicats au début du mouvement a beaucoup déçu, ce qui explique que leurs luttes ne soient pas unifiées.

L’image dégradée du mouvement semble aussi avoir joué en défaveur du mouvement. Ricou l’assume, il a en partie quitté le mouvement car « les gilets jaunes c’est l’image des cas soc’ et des casseurs. Comme moi, beaucoup de gens était d’accord avec les idées mais ne voulaient pas s’associer à l’image que les politiques en ont fait ». Il semblerait toutefois qu’il s’agisse d’une idée reçue. Pour Emmanuelle Reungoat, l’image du mouvement et des profils socio-politiques représentés a énormément changé selon les périodes, au point qu’il est difficile d’affirmer que cela ait été un facteur majeur de désertion.  

Bientôt le retour du mouvement ? 

Même si de nombreux militants ont cessé d’enfiler leur gilet fluo, ceux que nous avons contactés assurent continuer de partager les revendications des gilets jaunes. « Je dirais même que c’est encore plus d’actualité » affirme Clothilde, « nos conditions de vie ont empiré alors que j’ai 900 euros en plus sur mon compte bancaire. Par exemple, nous n’avons plus de voiture car nous n’avons pas les moyens de la faire réparer et on ne part plus en vacances ». Même si elle ne va plus sur les ronds-points, cette mère au foyer continue de prendre des nouvelles des gilets jaunes qu’elle a côtoyés, preuve que cette période n’est pas complètement derrière elle.

Alors face à la situation actuelle, est-ce que le mouvement pourrait repartir ? Impossible de prédire. La sociologue Emmanuelle Reungoat explique que malgré tout, les réseaux pourraient être réactivés un jour puisqu’aucune réponse politique suffisante n’a permis d’éteindre complètement le mouvement. « Quoi qu’il en soit, il est fort probable que les années à venir soient marqués de forts conflits sociaux. Les gouvernements en place ont une culture hostile aux mouvements protestataires depuis plusieurs années, alors même que beaucoup de citoyens ne sont pas satisfaits par le système actuel de vote. Cela alimentera les conflits sociaux à venir » analyse la chercheuse.

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