L'ensemble des syndicats appellent à une grève et des manifestations contre la réforme des retraites ce jeudi 19 janvier. A cette occasion, nous avons posé trois questions à Emmanuelle Reungoat, spécialiste des mouvements sociaux. Elle évoque les enjeux de cette "première grosse mobilisation sociale depuis les gilets jaunes".
La grève intersyndicale annoncée pour le 19 janvier contre la réforme des retraites s'annonce très suivie. A l'approche de cette grosse journée, les spéculations vont bon train et la spirale médiatique s'emballe. Mais au fond, à quoi peut-on s'attendre réellement ? La chercheuse en sciences politiques à l'Université de Montpellier, Emmanuelle Reungoat, spécialiste des mouvements sociaux, nous éclaire.
1. En quoi c'est une grève particulière ?
"La grève est singulière car le contexte actuel est particulièrement compliqué. On est sur une période où les inégalités augmentent et sont aggravées par les crises actuelles : économique, sanitaire et internationale. Les conditions de vie se sont durcies et sont ressenties comme plus difficiles.
De plus, on est dans un pays où le champ politique est bouleversé. Les syndicats et les partis se repositionnent. Ce n'est pas la première fois qu'une grève inter-syndicale est organisée mais cela reste assez rare. En plus du sujet des retraites qui concerne un large spectre de la population, il y aura un enjeu de visibilité des syndicats et des partis politiques organisateurs de cette mobilisation".
2. Quels sont les enjeux de cette grève ?
"Ils sont multiples. D'abord, il y a le débat sur le fond : quel modèle de société voulons-nous et quelle redistribution des richesses proposerons-nous alors que les inégalités augmentent. C'est un enjeu politique, aussi bien pour le gouvernement que pour les syndicats et les partis politiques. Le gouvernement voudra se montrer fort, au sens régalien du terme, et ne voudra pas céder.
A l'inverse, c'est la première grosse mobilisation sociale depuis les gilets jaunes. Les syndicats veulent se repositionner et s'affirmer dans l'échiquier politique, peu de luttes victorieuses ont abouti durant la dernière décennie. Mais est-ce qu'ils vont vraiment réussir à mobiliser ?
Cet enjeu de visibilité concernera aussi les grévistes. Beaucoup d'entre eux ne votent pas et ne sont pas représentés dans nos instances politiques. Alors jusqu'où leurs intérêts seront pris en compte ?"
3. A quoi s'attendre ?
"Il est impossible de faire des pronostics concrets. Ce sera très certainement une grosse mobilisation mais impossible de se prononcer davantage, c'est très complexe. On peut seulement faire quelques hypothèses selon ce qu'on observe de l'évolution des conflits sociaux. Ceux-ci ont tendance à se durcir et à être plus longs, ce sera peut-être le cas ici".
"Nous observons aussi que certains outils, comme l'arrestation immédiate préventive, d'abord utilisés par le gouvernement dans le cadre de la lutte anti-terroriste, se sont étendus à l'ensemble des mobilisations sociales.
Toutefois, il n'y aura sûrement pas la même répression du mouvement de la part du gouvernement comme pour les gilets jaunes. Les forces de l'ordre ne réagissent pas pareil face à des syndicats et face à des gilets jaunes. Etant donné que la grève est organisée par des acteurs qui ont l'habitude des mobilisations sociales, les débordements seront certainement mieux gérés et il devrait y avoir moins d'affrontements directs.
En revanche, j'ai remarqué que le gouvernement a déjà commencé à délégitimer le mouvement, avant même qu'il ne commence. Ce n'est pas nouveau, c'est une tendance qui existe depuis 2016 au moment des manifestations contre la loi travail".
"Ici le gouvernement parle "d'irresponsabilité" pour évoquer la grève. C'est une manière d'attaquer la légitimité de la manifestation comme forme d'action politique. Cette réforme joue pourtant l'avenir des populations".