Selon un rapport commandé par Emmaüs International, une douzaine de femmes accusent l'Abbé Pierre d’agressions sexuelles ou de tentatives d’agressions sexuelles, commises entre 1970 à 2005. Ces révélations bouleversent les responsables de la communauté Emmaüs de Saint Aunès, près de Montpellier, qui n'étaient pas au courant de cette enquête interne.
Ce rapport, publié le 17 juillet 2024 par le mouvement Emmaüs lui-même, identifie au moins 12 victimes de faits présumés qui auraient été commis par l’Abbé Pierre sur une période de 30 ans, de la fin des années 1970 à 2005, soit deux ans avant la mort de l’Abbé Pierre, décédé à 94 ans.
Sept femmes, qui ont pu être identifiées, racontent sensiblement la même chose. Salariées ou volontaires au sein d’Emmaüs, elles étaient souvent en contact avec le célèbre prêtre. Toutes dénoncent des propositions indécentes, des contacts non sollicités sur des zones sexuelles et en particulier sur les seins : des actes qui pourraient de nos jours être qualifiés d’agressions sexuelles et de harcèlement sexuel.
Un premier témoignage en 2023
Tout a commencé en juin 2023, quand le mouvement Emmaüs a reçu le témoignage d’une personne se présentant comme victime de faits pouvant être qualifiés d’agressions sexuelles de la part de l'Abbé Pierre.
Cette femme a expliqué avoir subi des attouchements au début des années 1980, alors qu'elle elle était encore adolescente : elle avait 16 ou 17 ans, et l'Abbé Pierre, 68 ans. Ce dernier l'aurait même embrassé de force en introduisant sa langue dans sa bouche. Des faits jugés assez graves pour déclencher une enquête interne et rechercher d'autres éventuelles victimes.
Contacté en février 2024, Egaé, un cabinet indépendant a donc été chargé par les instances d'Emmaüs de mener l'enquête de mars à fin juin dernier.
Selon Adrien Chaboche, délégué général d’Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé-Pierre souhaitaient "avoir le regard indépendant d’une structure ayant la compétence spécifique d’écoute de personnes victimes de violences sexuelles", affirme dans une interview à La Vie le responsable de l'association légataire universel du prêtre.
A ces témoignages recueillis, s'ajoutent cinq témoins indirects, pris au sérieux par les enquêteurs. "Comme souvent dans ce type de violences, elles ont lieu lorsque la victime est isolée, en l’absence de témoins directs», affirme à La Vie Caroline De Haas, qui codirige cette agence de conseil en égalité professionnelle, spécialisée dans les formations contre les violences sexuelles.
La communauté de Saint-Aunès sous le choc
Martine Marragou, présidente d'Emmaüs Saint-Aunès près de Montpellier n'en revient pas.
Je n’étais absolument pas au courant de l'existence de cette enquête interne ! L’Abbé Pierre, c’est un guide pour tellement de gens et de compagnons. Je suis sous le choc, effondrée mais mon combat pour les compagnons continue.
Martine Marragou, présidente d'Emmaüs Saint -Aunès
"Les compagnons, ce sont des gens fragiles. Comment vont-ils prendre cette nouvelle ? Je suis très inquiète pour les dons... Est-ce que les entreprises et les particuliers vont encore venir nous donner leurs invendus, leurs vêtements de seconde main et leurs meubles", s'inquiète la responsable de l’une des plus importantes communautés de France qui compte une centaine de compagnons.
Quelles preuves ?
Chez Dominique Boisseau, c'est plutôt l'incrédulité et la colère qui dominent. Le directeur de la communauté de Montpellier a connu personnellement l’Abbé Pierre de 1998 et 2005 et se dit très étonné que ces révélations sortent maintenant, 17 ans après la mort du prêtre.
Je suis en colère et perplexe. En 2005, l'Abbé Pierre était très fatigué, il tenait à peine debout. Je ne le vois absolument pas commettre ce genre de geste. Où sont les preuves de ces accusations ? Je ne remets pas en doute la parole de ces femmes, mais maintenant c’est devenu un sport de s’en prendre à toute figure connue ou à toute personne qui a de l’argent.
Dominique Boisseau, Directeur de la communauté de Montpellier
Pour beaucoup, ce rapport explosif d'à peine huit pages exigerait un travail plus long et plus approfondi.
Néanmoins, Emmaüs International estime que ces témoignages sont suffisamment concordants pour être pris au sérieux et lance d’ailleurs un appel pour vérifier si d’autres victimes et d’autres faits pourraient être révélés à l'avenir.