Plus d'un an après la mort du mythique Louis Nicollin, le Club Central et la Butte Paillade 91, les deux principaux groupes de supporters du club ont accepté de revenir sur Loulou au détour de séquences et anecdotes savoureuses.
"C'était un truc de fou. Je préparais la campagne des abonnements pour la saison prochaine. Une amie à moi me dit de ne pas oublier de souhaiter le bon anniversaire au président. J'étais débordé et je lui envoie un message à 15h. Il décède à 15h30."
La voix embuée par l'émotion, Bernard Soccoro, président du club central des supporters, plus vieille association créée en 1976 et qui compte près de 300 membres revient difficilement sur le décès inattendu de son ami l'an passé.
Le vieil ami de "Loulou" depuis 1974 nous reçoit dans son petit local, à quelques encablures des coursives de la Mosson, en face de la porte 16, qui donne accès à la tribune Larzac.
Les deux hommes se sont rencontrés alors que l'équipe de l'entreprise Nicollin jouait des matchs pour le plaisir, à Lattes, bien avant la Mosson et toute sa mythologie.
Accompagné de son comparse de toujours "le diable", il accepte un mercredi 12 septembre ensoleillé et doux de nous accorder une heure sans filtres ni détours, à l'image de son regretté compagnon.
Louis Nicollin a rendu l'âme le 29 juin 2017, l'après-midi de son 74e anniversaire, après un dernier repas dégusté dans un restaurant à Garons dans le Gard, en compagnie des siens. Il sera inhumé le 4 juillet à la cathédrale Saint Pierre devant des milliers de personnes.
Bernard se console en se remémorant la réception organisée chez Loulou en 2016, pour les 40 ans de l'association, un an avant le drame.
⚫️ Le Père de la Paillade s'en est allé... https://t.co/cHMeRuBATn #MerciPrésident pic.twitter.com/6oHwDrTgFI
— MHSC (@MontpellierHSC) 29 juin 2017
Depuis son décès, c'est une partie de moi-même qui est partie.
Pour la Butte Paillade, deuxième groupe majeur crée en 1991, le coup a été rude. Attablé à l'Indian Cafe du quartier Antigone, QG de la BP91, Cyril Morgavi revient sur ce douloureux moment avec la même émotion.
"On a pris un gros coup derrière la tête, c'était l'image de la Paillade. C'est le Monsieur de Montpellier qui est parti" souffle celui qui a été président du groupe entre 2003 et 2018, griffé d'un tatouage à l'avant bras et d'un bob de la butte paillade.
Le Club Central, la BP 91 et l'Armata, avaient initié une marche devant le stade de la Mosson le jour de sa disparition.
Loulou, dur mais généreux
Apprécié pour son franc-parler ou parfois même fustigé pour ses sorties médiatiques, Louis Nicollin était un personnage clivant, qui ne laissait personne indiffèrent. "Il prenait tellement de place, au propre comme au figuré" sourit Soccoro.
Il était parfois même très dur avec ses interlocuteurs et les supporters.
"Si on voyait Louis, c'est que c'était grave. On allait pas le déranger pour rien sinon il nous envoyait bouler" avoue Cyril, boulanger dans la vie civile.
Le personnage était très impulsif avec des débordements parfois incontrôlés. "Des fois ca pouvait être dur. Si j'allais le voir dans un mauvais jour, ca pouvait être violent" renchérit Bernard.
Comme lors de la saison 1979-1980 où Montpellier- alors en deuxième division- recevait le grand Saint-Étienne de Platini et consorts en quart de finale de la coupe de France.
Pour cette grande affiche qui attire le grand public, Bernard ne reçoit que 500 billets au lieu des 1000 qui lui sont habituellement attribués.
Soccoro et ses amis du quartier envahissent le stade à 14h, alors que le club doit disputer ce jour là un match de championnat contre Cannes à 20h.
Les supporters mécontents improvisent une partie de pétanque sur la pelouse.
"J'ai appelé tous les médias pour dire qu'il n'y allait pas avoir match ce soir" se rappelle Bernard. Louis Nicollin convoque Bernard Soccoro vers 17h, soit 3 heures avant le match dans son bureau en furie.
Ce dernier maintient sa position et veut plus de place, ce qui a mis le boss dans une colère noire :
Tu es devenu fou ou quoi ? Arrêtes tes conneries !
Loulou accordera finalement le quota de places exigé. Sanguin mais généreux, un condensé du portrait dressé par les supporters.
Il pouvait vous envoyer chier et venir vous voir le lendemain en disant d'arrêter de lui faire la gueule. Il adorait ça. On pouvait tout se dire mais il le fallait le faire en face, quitte à s'insulter pour mieux s'aimer le lendemain.
En revanche, sa générosité était elle aussi sans limites. Quand Loulou aimait, Loulou ne comptait pas.
Lors du titre de champion de France en 2012, Bernard voulait emmener son Club Central visiter le fameux musée du président qui comporte des centaines de maillots mythiques dans son mas à Marsillargues.
Il a accepté et offert en prime le repas à toute l'équipe des supporters.
"Au moment où je m'approche de lui pour payer, il me dit en rigolant : vas te faire voir, ca te va comme réponse?" rigole le sexagénaire.
Une manière toujours crue pour exprimer sa grande générosité, qu'il mettait souvent au service des autres.
Bernard se souvient : "lorsqu'il avait traité Pedretti de tarlouze, il l'a appelé le lendemain et les deux en rigolaient. Loulou donnait de l'argent chaque année à la Gaypride de Montpellier"
L'un des pionniers du supportérisme montpelliérain se souviendra toute sa vie que c'est Louis Nicollin qui lui a mis a disposition son superbe mas Saint Gabriel pour le mariage de son fils. "Des gestes qui restent à vie et qui vont au delà de la relation au club" souligne-t-il.
Il ne manquait pas une occasion de déballer les jeux de maillots réservés aux joueurs dans le bus pour les donner aux enfants qui attendaient derrière les grillages après les matchs en déplacement.
Il nous aidait toujours pour les déplacements. On nous a même aidé pour nos problèmes judiciaires quand on avait des ennuis après les matchs, notamment pour les frais d'avocat rajoute Cyril Morgavi.
Président d'un autre temps
Pour comprendre le président, il faut d'abord s'intéresser à l'entrepreneur.
Le fils de Marcel, fondateur de l'empire Nicollin en 1945 et qui a pris le marche montpelliérain du ramassage des déchets dans les années 1960, a commencé derrière la benne à ordures pour gagner son argent.
Un choix réfléchi pour le père, qui ne lui a fait aucun traitement de faveur.
Ce n'est qu'au début des années 1970 qu'il a mis son fils sur le devant de la scène, en le nommant directeur du centre de Montpellier. Un moyen de lui faire comprendre le monde de l'entreprise à échelle humaine.
Lorsqu'il devenu chef de l'entreprise, ses salaries se souviennent de lui comme d'un patron profondément humain.
Bernard Soccoro en fait partie. Ami de Nicollin depuis 1974, ce dernier l'a embauché au centre de Castelnau-le-Lez en 1980 lorsque son ancienne entreprise commençait à faire faillite.
Il venait voir les employés tôt le matin pour prendre le café avec eux. Il faisait tous les arbres de Noël de tous les centres. N'importe qui pouvait prendre rendez-vous avec lui pour le rencontrer.
En tant que président de club de football, Nicollin éprouvait le même attachement aux gens et à l'humain.
Durant les dernières années de son mandat, il se reconnaissait moins dans ce football professionnel et ses contraintes médiatiques et sécuritaires qui rendent difficile le contact avec les gens.
Pas toujours disponible pour les supporters, il n'était pourtant pas le genre de personne à demander à sa garde rapprochée de régler les problèmes majeurs du club.
Il avait le coeur sur la main. Il y a du vide. Le fils est là et perpétue le boulot et la tradition, mais c’est pas le père qui était le paratonnerre. Il réglait tous les problèmes avec la police, la fédération et la ligue regrette Cyril Morgavi.
Un "hyperprésident" qui réglait les soucis financiers des supporters de main à main. Quand il manquait des sous pour un déplacement ou pour du matériel, Louis répondait toujours présent.
"En direct, il ne nous refusait rien" lâche Cyril Morgavi. Il se remémore une savoureuse séquence de sa Butte Paillade 91 qui se déplaçait en voiture à La Corogne en Espagne pour assister au premier tour de coupe d'Europe de Montpellier en octobre 1999.
On n'avait plus d'argent et on va à la rencontre de Mr Nicollin au Sofitel de La Corogne. Il sort en tongs et peignoir et nous donne l'argent pour les billets et le restaurant et nous demande en échange de ne pas le faire chier avec les fumigènes au prochain match détaille-t-il le ton rieur et verre de bière à la main.
Un véritable acteur social pour Montpellier
Avant la Paillade, le club évoluait au quartier Richter, pres de l'hôtel de région.
En choisissant de rénover le stade de la Paillade sans le relocaliser en 1987, Nicollin a beaucoup oeuvré pour un quartier réputé difficile.
En effet, il compte le plus fort taux de chômage de la commune. Rebaptisé quartier de la Mosson, 46% des moins de 26 ans sont en recherche d'emploi et plus de 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté avec un revenu médian de 7 000 par an contre pres de 13 000 pour le restant de la ville.
La zone a fait l'objet d'un vaste plan de renouvellement urbain au début des années 1990.
A chaque match, le club donne plus de 500 invitations aux associations de la Paillade pour venir assister aux matchs gratuitement.
La mosson de Nicollin a tranquillisé le quartier : des gens de tous horizons arrivent tous les 15 jours de la région. Ca fait plaisir aux jeunes. Ils se sentent plus vivants et moins isolés car on parle en bien de leur quartier. Ca apporte un peu de reconnaissance et de respect. Le stade a oeuvré en bonne partie à l'évolution positive du quartier.
Une reconnaissance pour le quartier qui ne relève pas uniquement du symbolique. L'ancien président n'a pas hésité à faire rentrer des membres des associations de supporters dans son entreprise si il y avait un besoin.
"Avec mon aval, car il avait une grande confiance en moi, 5 ou 6 personnes sont rentrées durablement dans la boite. Il marchait à la confiance" confesse Soccoro.
Même son de cloche pour son collègue de la Butte Paillade qui n'a pas manque de rappeler que des membres de son association, parfois sans diplômes, sont actuellement salariés du groupe Nicollin.
"Des gens de toutes origines, tous quartiers et qui parfois n'arrivaient pas à se réinsérer à cause de CV sous qualifiés ou de casiers judiciaires pas toujours vierges"
Il a embauché beaucoup de gens en difficulté. Chez lui il y a de tout : des blancs, des blacks, des chinois ou encore des maghrébins ajoute son homologue du Club Central.
De la butte à la ligue des champions
C'est lorsque le groupe Nicollin s'installe à Montpellier que son histoire commence avec la ville. Louis, lyonnais d'origine, est fraîchement nommé directeur du centre de Montpellier. Il rencontre en 1967 Colette, originaire de la région et qui deviendra 7 ans plus tard sa femme pour toujours.
Une histoire d'amour qui en amène une autre, entre Loulou et tout un club. Avant que le MHSC existe, le club jouait en football d'entreprise et représentait l'entreprise familiale.
Appelé l'AS Nettoiement, il comptait d'anciens pros en reconversion. Et Bernard Soccoro organisait les 3e mi-temps. Le voyant régulièrement venir assister aux matchs, "Loulou" lui a proposé d'organiser les grillades d'après-match, ce qui explique son poste aujourd'hui.
Le club corpo fusionne avec le club de quartier de l'AS Paillade en 1974 pour former La Paillade Sport Club Littoral, l'ancêtre du Montpellier Hérault SC actuel et qui a démarré en division d'honneur, quatrième échelon national.
C'était plus une rigolade pour faire des bouffes à midi avant le match. Je ne pensais pas qu'on en arriverait à un tel niveau.
3 années après sa création, le club va forger la légende de la "butte paillade". C'est sur la fameuse butte en terre que tout commence.
Nous sommes en février 1977. Le club, alors en 3e division française accueille Nîmes en coupe de France. Le petit stade aux bords du fleuve de la Mosson de 500 places n'est pas homologué pour la rencontre. Il fallait l'agrandir de toute urgence.
C'est alors que s'est construite en 3 semaines la tribune démontable reposant sur la butte en terre. Faît de tronçons de chemin de fer, ce dispositif démontable a porté la capacité du stade à plus de 15 000 places.
Une configuration qui a perduré jusqu'en 1987, avant les premiers grands travaux de rénovation du stade. Les tribunes actuelles de la Mosson sont encore situées sur la fameuse butte.
Le club, c'était la fille qu'il n'a jamais eue.
Le club a connu durant sa jeune histoire des hauts et des bas, avec des montées et descentes successives dans les années 1980, puis la coupe de France en 1990, l'un des premiers moments forts du club.
Les années 2000 ont été à nouveau celles de l'instabilité et de l'incapacité a maintenir le club durablement dans l'élite avant le retour en ligue 1 en 2009 avec Laurent Courbis aux manettes.
Le club se stabilisera et fera même mieux 3 ans plus tard avec le titre de champion de France en 2012 obtenu au nez et a la barbe du PSG et la ligue des Champions l'année suivante.
Le nouveau stade comme dernière volonté
Profondément attaché à la Paillade, les dernières années de Louis a la tête du MHSC ont été marquées par un certain désenchantement. Il avait conscience des exigences du foot moderne et la nécessité d'avoir un nouveau stade pour pérenniser le club en ligue 1.
Il s'était inspiré ces dernières années de certains clubs, comme l'Olympique Lyonnais de son homologue Jean Michel Aulas qui a fait sortir de terre le stade des Lumières en 2016.
La Mosson était devenu désuet. Le stade a connu des problèmes d'électricité, d'inondations et ne compte qu'un seul écran géant. Il manque également des commerces et boutiques pour créer une vie autour du football, avant pendant et après le match.
Contrairement à beaucoup d'autres stades, personne ne vient deux ou trois heures avant le match car il n'y a rien à faire autour déplore Bernard Soccoro.
Malgré son attachement profond à la Paillade, Loulou voyait en la création d'un nouvel écrin la possibilité de voir émerger de nouvelles perspectives financières. Il comptait notamment y installer son musée de maillots.
Un projet de stade était à l'étude pour 2022, mais les chantiers devraient prendre plus de temps que prévu. Il doit naître dans la même zone que Montpellier Sud de France, la nouvelle gare inaugurée en juillet 2018 située a 6 km du centre et qui fait déjà polémique pour son coût de 135 millions et sa réelle utilité.
Le terrain est une zone inondable et pas sûr qu'un deuxième projet d'envergure passe aussi facilement en si peu de temps. Les écologistes le voient d'un mauvais oeil, à deux ans des municipales.
Il va y avoir des recours il y en a au moins pour 5 ans minimum.
Avant de penser à l'avenir, c'est la nostalgie d'un passé passionné qui habite encore aujourd'hui les plus fervents supporters du MHSC. Avec encore Louis Nicollin dans le rôle principal.
Même parti, Loulou restera à jamais en haut de l'affiche pailladine.