Montpellier possède un capital culturel important. Les 3 candidats aux municipales en sont conscients. Mais après la course aux équipements, la tendance va vers les nouvelles idées. Décryptage des programmes et rencontres avec ceux qui feront la culture de demain dans la 7e ville de France.
Retour vers le futur : Georges Frêche le visionnaire
En décembre 1976, le journal Le Monde titrait : "A Montpellier la culture bat son plein : toute la ville joue au loto".
D’accord, la vision est parisienne : elle frise la caricature d’une ville de province endormie, mais le tableau est réaliste. A l’époque, le candidat Georges Frèche l’a bien compris: la culture est très présente dans son programme. Elu en 1977, le maire socialiste va jalonner la ville de repères culturels toujours vivants aujourd’hui :
- En 78, création du festival méditerranéen.
- En 81, premiers pas pour le festival Montpellier-Danse initié par G. Frèche et le chorégraphe Dominique Bagouet.
- En 83, Georges Frèche installe un centre dramatique national dans le parc de Grammont: le Théâtre des 13 vents.
- Dès 83, L’Orchestre et l’Opéra de Montpellier s’étoffent, mais il faudra attendre 2001pour que l’ensemble obtienne le label « national ».
- En 85, création du festival Radio-France avecRené Koering
- En 87, naissance de salle Victoire II, dédiée aux musiques actuelles
- 2003, le musée Fabre se transforme, c’est le 2e plus grand chantier muséal en France. Il renait en 2007, sous la direction de Michel Hilaire avec en guest star, Pierre Soulages.
Les grands noms et le prestige : l’héritage de Frêche
Pour exposer Montpellier, lui donner un retentissement national, Georges Frèche avait fait appel à des architectes et des créateurs de renom: Bofill, Buren, Jean Nouvel, Chemetov, Vasconi.
Les maires qui lui ont succédé ont manifesté autant d’appétence pour les célébrités. Pendant la mandature Hélène Mandroux, on se rappellera la venue de Paul Mc Cartney, pour le vernissage d’une expo photo consacrée à sa femme Linda. Pêle-mêle, Montpellier a attiré comme un aimant Jérôme Savary, Jean-Claude Carrière, Aurélie Filippetti au festival Cinémed, et plus récemment Nicolas Bourriaud (ancien directeur du palais de Tokyo), appelé par Philippe Saurel à la tête du M.O.C.O.
Culture : demandez les programmes...
Aujourd’hui, les montpelliérains, et plus généralement, les habitants de la métropole, sont plutôt bien lotis: ils bénéficient de nombreux lieux culturels, d’associations, et de festivals . Montpellier pourrait s’endormir sur ses lauriers, mais les propositions faites par les candidats aux municipales démontrent le contraire :
Philippe Saurel et Michaël Delafosse ont au moins un point en commun. Sous le mandat d’ Hélène Mandroux, ils ont occupé le poste d’adjoint à la culture. Cependant, leurs sites internet n'exposent pas l’action culturelle à la même place :
Montpellier unie (M. Delafosse) donne une page entière à la culture, et détaille un certain nombre de mesures. Le ton est donné: il faut un nouveau souffle pour la culture.
Montpellier la citoyenne (Ph. Saurel) partage une page de son site entre sport et culture. les propositions annoncent la continuité de la politique actuelle. Peu de détails sur des actions concrètes.
L’audace en commun (M. Altrad) n’a pas de page consacrée à la culture. On retrouve les propositions sur un édito du candidat. idée-force à retenir : développer les équipements culturels dans les zones démunies.
Michaël Delafosse : un nouveau souffle
Le candidat à la mairie de Montpellier me reçoit dans ce qu’il appelle un tiers-lieu culturel. Murum, situé dans le quartier des beaux-arts, accueille des artistes en résidence et les expose. L’ancien garage est en travaux, ambiance industrielle et créative à la fois. " j’apprécie cet endroit" nous dit M.Delafosse. " il met en valeur des artistes émergents . Il faut multiplier les résidences comme celle-ci, c’est le nouveau souffle qui doit animer Montpellier ".
Michaël Delafosse : le rapport entre le lieu de l'interview et sa vision de la culture.
Pas de circonlocutions, le candidat Delafosse expose ses propositions sans plan établi, comme un tableau impressionniste. Pour lui, la culture ne doit pas être un objet de communication. Un homme politique doit laisser créer les artistes, les écouter, pas les diriger.
ZAT is the question
Michaël Delafosse insiste sur le fait qu’il a été à l’origine des ZAT, les fameuses zones artistiques temporaires. Des week-ends où la culture proteiforme déboule dans les quartiers. Il veut généraliser cette tendance où les arts vont titiller les Montpelliérains près de chez eux. "Il y a déjà la comédie du livre, mais on peut aller plus loin, avec des concerts de l’orchestre de Montpellier dans le parc Montcalm, ou sur la place de l’Europe près d’Antigone". Michaël Delafosse verrait bien une saison de musique ou de théâtre dans l’espace public.
Quelques mesures concrètes :
- le théâtre doit retourner à l’opéra-comédie.
- le pavillon populaire, espace dédié à la photo, doit être un département du musée Fabre. Avec la constitution d’une collection de photos d’art.
- la salle victoire II a vu son budget baisser. ce complexe de musiques actuelles et de salles de répétitions doit être rénové ou peut-être renaitre ailleurs.
"Aux côtés des projets audacieux du passé, Montpellier doit développer une culture plurielle, les habitants en sont demandeurs. La preuve : c’est l’une des rares villes de France où les librairies ouvrent".
Isabelle Marsala: "je suis quelqu’un du peuple. Si Philippe Saurel m’a choisie pour la culture, c’est un symbole"
Isabelle Marsala, adjointe à la culture, repart pour un tour. Décor de son interview : elle nous ouvre son atelier de peintre, situé à Montpellier, dans le vieux Celleneuve. "Etre élue à la ville de Montpellier, c’est une mission, une passion, mais pas un métier; j’ai besoin de mon ancrage d’artiste ici, au milieu des pinceaux".
Isabelle Marsala : la peinture et la vie politique.
A l’orée de l’été, alors que les événements culturels ont été annulés à Montpellier pour cause de Covid, I. Marsala tient à clarifier: "Pour tous les spectacles organisés par la ville qui n’ont pas eu lieu, les artistes seront payés. C’est le cas de la Z.A.T prévue en avril dernier dans le quartier des Aubes".
Le bilan de l’action culturelle
Isabelle Marsala fait parler les chiffres: en 2014, la ville de Montpellier a consacré 12 Millions d’euros à la culture. en 2019, le budget était de 14,1 M€. Une mandature marquée par la naissance de nouveaux lieux: La halle Tropisme, la salle Louis Feuillade dans le quartier Mosson, le théâtre du Hangar (la scène du conservatoire), et l’entité M.O.C.O.
Exemples de mesures, dans l’écusson et les quartiers
- Maintien des subventions pour Montpellier-danse , L’opéra et l’orchestre, considérés comme les fleurons de la culture à Montpellier.
- Au domaine d’Ô, davantage de résidence d’artistes, et notamment de plasticiens. Les sculpteurs pourraient avoir un espace d’expression dans les 20 hectares du domaine.
- Le carré St Anne en travaux: La crise sanitaire a retardé son chantier. Il devrait rouvrir dans 2 ans et pourrait devenir un département art contemporain du musée Fabre .
- Dans les quartiers, les théâtres doivent continuer leurs prix accessibles. A la Mosson, le théâtre Jean Vilard propose des tarifs entre 1 et 5 €.
Isabelle Marsala rappelle qu’avant son mandat, elle a vécu pendant 25 ans de sa peinture. "ça m’a entrainé à être prévoyante et ça me poursuit aujourd’hui dans mon quotidien d’élue ; j’ai besoin de projets, même s’ils se bousculent parfois!". Selon l'adjointe de Philippe Saurel, La municipalité est un facilitateur de projets, et les programmateurs de lieux culturels doivent pouvoir agir en toute liberté. En revanche, l’argent des subventions doit, quelque part, retourner aux montpelliérains. "Par exemple, si une compagnie bénéficie d’une résidence dans un théâtre de la ville, je souhaite qu’elle partage son travail avec le public lors d’une restitution (performance publique), rien d’obligatoire cependant".
Haro sur le M.O.C.O
Les 2 listes opposées à celle du maire sortant critiquent volontiers le M.O.C.O. A propos de l’hôtel des collections, situé près de la gare, Michaël Delafosse parle d’un lieu "fait du prince". Autre remarque, selon le candidat, la panacée qui a été englobée dans l’entité M.O.C.O ne trouve plus son identité. Michaël Delafosse voudrait en faire un espace réservé au street art. Egalement décrié, un budget vertigineux de 8,5 M€. Il concerne l’entité M.O.C.O, c’est à dire : l’Hôtel des collections + la Panacée + l'école des beaux-arts.
Isabelle Marsala temporise : "il faut laisser du temps à l’Hôtel des collections. Son but est d’inviter des créateurs contemporains de rayonnement mondial, mais nous n’en sommes qu’à 3 expositions". L’élue explique qu’en dépit des idées reçues sur "l’élitisme" du lieu, on y retrouve un public diversifié. "La Panacée doit aussi trouver sa place comme espace de résidence pour les jeunes artistes Montpelliérains".
Malgré plusieurs sollicitations, l’équipe de Mohed Altrad n’a pas souhaité répondre à notre demande d’interview
Voici quelques points de son programme :
- recentrer l’opéra-comédie autour du théâtre.
- donner naissance au Meetfest: un événement autour de l’electro et des jeux vidéo.
- aménager des équipements culturels dans les zones démunies.
- Mettre en avant le caractère méditerranéen de Montpellier dans la culture.
Mohed Altrad : la culture en commun
Par ailleurs, la liste "l’audace en commun" profite du ralliement de Clothilde Ollier qui apporte avec elle, un projet de palais de la découverte. Il sera en étroite liaison avec le jardin des plantes. Autre nouvelle colistière, Alenka Doulain propose des lieux hybrides, entre production et diffusion artistique.
Programmes culturels : le regard d'un comédien Montpelliérain
Pascal Miralles est un comédien Montpelliérain. Après le conservatoire de Nimes et le cours Florent à Paris, il a beaucoup arpenté les scènes des cafés théâtres d’Occitanie. Aujourd’hui, il tient un rôle récurrent dans la série "un si grand soleil". Il vient également d’ouvrir le Trac, une école-lieu de résidence, à Castelnau le lez.Après lecture des différents programmes, Pascal Miralles parle d'ambitions complémentaires. Pour lui, si les politiques instrumentalisent la culture, elle est en danger. Montpellier a une situation privilégiée: sa diversité culturelle historique. "Elle doit être maintenue à travers les structures existantes: orchestre national de Montpellier, Montpellier-danse ou le MOCO, même si les expos de l’hôtel des collections semblent moins accessibles que celles de la panacée".
"j’attends d’un élu qu’il rende la culture accessible à tous"
Depuis quatre ans, Pascal Miralles donne des cours de théâtre à la maison pour tous Marie Curie, quartier Celleneuve. "Je vois des gamins qui a 18,19 ans, ne sont jamais allés au théâtre". Le comédien pense que la vie culturelle n’est pas assez ancrée dans les quartiers, et ne s’expose pas de manière régulière. Selon lui, il faut que la culture trouve un équilibre territorial. "Les salles du Kiasma à Castelnau-le-lez, et l’Agora au Crès pourtant très proches, ont réparti intelligemment leur programmation. C’est un exemple à suivre pour le reste de la métropole montpelliéraine".
Pascal Miralles conclut: "le monde de la culture accepte difficilement les adjectifs ‘populaire’ et ‘élitiste’, pourtant c’est une réalité. il faut simplement ne pas opposer ces 2 facettes. Elles doivent coexister, à nous de naviguer entre les 2. Il y a tout un monde au milieu!".