Des enseignants de la région Occitanie nous ont confié les moments délicats où ils se sont retrouvés confrontés, selon eux, à des atteintes à la laïcité. Ils nous racontent.
Tué parce qu’il enseignait
Il a été tué pour ce qu’il enseignait. Vendredi 16 octobre, Samuel Paty, professeur au collège Le Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines a été décapité près de son établissement alors qu’il rentrait à son domicile.Sa mort intervient une dizaine de jours après que l’enseignant a donné un cours dans lequel il a montré des caricatures de Mahomet. Les motivations pédagogiques du professeur ont été incomprises par certains parents. Des internautes, dont des parents d'élèves, ont alors fait part de leur indignation sur la toile.Des situations comme celle-ci, elles sont finalement beaucoup plus courantes qu’on ne le pense. En Occitanie, des dizaines d’enseignants se sont retrouvés confrontés à des contestations de parents ou d'élèves quant à l’enseignement de la laïcité.
Nous avons rencontré deux professeurs, l’une dans l’Hérault, l’autre dans le Gard, toutes deux nous livrent leur témoignage. Aujourd’hui, elles déplorent un manque de soutien mais surtout d’accompagnement dans l’enseignement de la laïcité, un principe pourtant fondamental de l’école en France.
Atteinte à la laïcité
C’est le cas de Florence, elle est professeure, dans le premier degré dans l’Hérault depuis près de 25 ans, elle a été directement confrontée à ce problème d’atteinte à la laïcité alors qu’elle effectuait un remplacement. Elle nous raconte : "Des petits déjeuners étaient organisés à l’école dans le cadre de la semaine du goût, et cela nécessitait en classe de décliner le projet avec des ateliers de découverte du goût et une initiation à l’hygiène alimentaire. Donc je fais mon atelier, je propose de la compote, de la soupe, et aussi un abécédaire où sur chaque lettre on peut déguster un aliment.Un jour je vois arriver à la porte de ma classe un père très véhément qui m’explique que son fils est malade parce que je lui ai fait manger n’importe quoi. Je lui demande de préciser, et il me dit "vous comprenez chez nous on ne met pas les enfants à la cantine ce n’est pas pour qu’il mange n’importe quoi en classe".
Je comprends assez vite que l’exigence était au niveau du halal. Je lui répond en légitimant mon travail à travers des textes, à travers le projet d’école, à travers des lois et le père tourne en boucle : "mon fils va être malade, il a mangé quelque chose", il ne prononce pas le mot halal mais je comprends bien où est le problème et il finit par me dire, mais vous comprenez la dame que vous remplacez, elle lui donne autre chose. Et là, je comprends que c’est un échec car je m’inscris avec mon application des textes en opposition à la pratique locale."
"Allah s'occupe de l'éducation de mon fils"
Sarah, enseignante en Lettres Modernes aujourd'hui dans un collège gardois, elle a aussi vécu cette pression du religieux sur l'école de la République : "On organisait une sortie à l’opéra de Montpellier et au musée Fabre, il y a une maman qui a refusé que son fils vienne et elle nous a dit "Allah s’occupe de l’éducation de mon fils." J'ai alors expliqué l'intérêt culturel de la sortie, mais ça n'était pas compris."Pour elle, exercer son métier tout en respectant la laïcité nécessite une certaine forme de courage :
Aujourd’hui j’ai peur de m’exprimer, car je sens bien que le métier de professeur n’est plus sacré du tout, mais j’ai surtout envie d’un changement pour mes élèves. Les enfants ont besoin de nous, de ce que l’on leur rapporte. Je le vois bien quand je les emmène au théâtre par exemple, ça leur apprend quelque chose.
Manque de formation
Démunis face à de telles situations, les enseignants n'ont d'autres choix que de se référer aux textes pour enseigner. Le vadémécum de la laïcité est connu par les professeurs depuis 2018, il s’agit d’un document publié par le gouvernement qui constitue un référentiel de situations concrètes d'application du principe de laïcité pour les équipes académiques, les écoles et les établissements.Des entretiens réalisés par Delphine Aldebert, Eric Félix, Valérie Banabera et Pascale Barbès.De nombreux professeurs regrettent le manque de formations et d’enseignements : seuls 6 % des enseignants en poste ont reçu une formation à la laïcité. Florence, elle, réclame d'être mieux préparées à ces questions sensibles : "Je trouve qu’il serait fondamental de prendre le temps d’écouter les enseignants et de recueillir les diversités de points de vue sur la laïcité et de les prendre en compte lorsqu’on les forme. Et il serait très important d’utiliser un outil pour nous accompagner qui ne fluctue pas sans cesse comme le vadémécum de la laïcité."
Un avis que partage également Sarah, l’enseignante du Gard : "Ca fait des années que l’on dit qu’il faut nous écouter, nous avons proposé énormément de choses, nous sommes en contact avec les enfants, donc nous le savons mais on tient rarement compte de ce que l’on propose. C’est ça qui est dommage car il y a un réel savoir-faire chez nous, une réelle expérience."
Aujourd’hui, la question de comment enseigner la laïcité est au cœur des débats. L’éducation nationale n’a pris aucune mesure concrète pour l’instant, seules des propositions d’améliorations de l’enseignement de la laïcité sont en train d’émerger.