En 2023, la santé mentale des jeunes reste dégradée. Alexandra Carré, psychiatre et responsable de l'unité jeunes adultes et adolescents au CHU de Montpellier répond à nos questions. Elle interviendra également dans le cadre de Futurapolis santé, samedi 14 octobre.
Les jeunes de 18-24 ans se préoccupent en moyenne moins de leur santé mentale ou de leur bien-être que leurs aînés (64%). Dans cette tranche d'âge, les principaux freins à la consultation d'un "psy" sont le prix de la consultation, la difficulté à se confier ou la crainte de ce qu'ils pourraient découvrir sur eux, et la peur que l'entourage l'apprenne, a décrypté Santé publique France, dans une étude publiée en début de semaine.
Plus d’un tiers des 18-24 ans estime ne pas prendre soin de sa santé mentale
Ils sont moins nombreux à penser pouvoir agir sur celle-ci, moins enclins à en parler avec leur médecin, et croient moins fréquemment en l’existence de solutions efficaces pour soigner l’anxiété ou la dépression. Parmi ces jeunes, 32% déclaraient ne pas savoir comment faire, 29% indiquaient ne pas avoir le temps et 25% ne s’en sentaient pas capable.
Dans le cadre de Futurapolis santé, forum dédié à la santé, organisé en fin de semaine à l'Opéra Comédie à Montpellier, Alexandra Carré, psychiatre et responsable de l'Unité jeunes adultes et adolescents, service d'intervention précoce, au CHU de Montpellier propose samedi à 15h une conférence : "Santé mentale : mais qu'arrive-t-il à nos jeunes ?"
Elle fait le point sur ce phénomène de société inquiétant.
Suicide : 1ère cause de mortalité chez les 15-30 ans
"Depuis la levée du confinement lié au covid, la population adulte a eu tendance à reprendre un peu d’espoir alors que les jeunes, non. Ce sont essentiellement des symptômes anxieux dépressifs. Les chiffres de tentatives de suicide voire de suicides réussis restent choquants. Cela devrait être une priorité. Chez les 15-30 ans c’est la 1ère cause de mortalité.
Dans les années 70, il y avait 30000 morts par an sur les routes. Il y a eu énormément de moyens qui ont été mis sur la prévention routière et maintenant on est à 3500 morts. Pour la prévention du suicide (9000 morts par an), il y a 100 fois moins de moyens.
Cela change un peu avec notamment la constitution d’un numéro national 3114. A Montpellier, il y a une équipe de répondants 7 jours sur 7. 24 heures sur 24, avec des personnes qui évaluent le risque suicidaire des personnes qui appellent et qui les orientent.
Un tabou
Il y a aussi tout ce qui peut lever ce tabou du suicide. Le chanteur Stromae lors d’un journal télévisé (ndlr: janvier 2022) a parlé de ses propres idées suicidaires. Il s’en est suivi une augmentation des appels au 3114. Cela a pu sauver des dizaines de personnes.
Détresse psychique en hausse
Le taux de suicide réussi chez les jeunes n’augmente pas mais la détresse psychique oui. C’est quelque chose de plurifactoriel. Les personnes à faible niveau socio-économique ont été plus confrontées à la perte d’emploi, de salaires, à des formes de covid sévère aussi. L'anxiété liée au changement climatique impacte aussi beaucoup les jeunes.
En France, nous ne sommes pas les champions de la psychologie positive. Les jeunes sont inquiets par rapport à leur devenir. Ça participe à l’augmentation de leur détresse. Moi, j’accueille des jeunes de 15 à 25 ans, ils se sont pris de plein fouet la réforme du bac, la mise en place de parcours sup, on l’a beaucoup entendu chez les jeunes que l’on a accompagnés.
La période de 15-25 ans, c’est une période de vulnérabilité ou le cerveau est en plein développement.
Alexandra Carré, psychiatre
Et la période de 15-25 ans, c’est une période de vulnérabilité ou le cerveau est en plein développement. Il y a un désir d’autonomie, la rencontre avec les produits aussi, il y a un niveau de consommation de cannabis qui reste très élevé en France et avec des concentrations de THC qui sont plus élevées.
Information, détection précoce : l'affaire de tous
Toutes les actions de prévention en santé mentale doivent aussi porter sur l’information. C’est l’affaire de tous. Les parents, les enseignants aussi sont très démunis, tout le personnel de l’éducation nationale. C’est difficile de repérer un jeune en difficulté. Une jeune qui fait la tête, un adolescent qui a tendance à se replier. Un ado qui a du mal à communiquer avec les parents, c’est normal, il n’y a pas de problème mais il y a des voyants rouges qui doivent alerter.
Il y a cinq voyants rouge pour nous de ce qui peut représenter la dépression:
- Une tristesse toute la journée, vraiment tout le temps et sans amélioration. Au bout de deux semaines, on est dans la dépression
- Des difficultés à trouver du plaisir dans les choses, dans ce qui pouvait apporter du plaisir habituellement comme les jeux vidéo, la musique
- Des difficultés de concentration, de mémoire : impact direct sur les résultats scolaires
- Une fatigue pendant deux semaines
- Des idées noires voire des idées de suicide
Ces 5 voyants-là, si ça dure plus de deux semaines, il faut alerter, en parler au médecin généraliste, à ses professeurs. L’important c’est d’en parler. Le médecin traitant est souvent en première ligne. A Montpellier, il y a une maison des adolescents, un accueil inconditionnel qui est déstigmatisant, où il n’y a pas forcément de soins. L’important c’est d’en parler. Et les professionnels pourront décoder précisément ce qu’il se passe. Les psychiatres sont en 2ème ligne.
Quelle guérison ?
Oui, on guérit de la dépression, de l’anxiété. Le message c'est la prévention, la détection précoce même pour des troubles sévères comme le début de schizophrénie, de troubles bipolaires. Plus on intervient tôt, plus on va mettre en œuvre des moyens individualisés. On est maintenant dans de la psychiatrie de précision. On n’a plus un modèle standard. Intervenir très tôt, c’est éviter que la personne se désocialise, qu’elle s’enferme dans des consommations.
Entre 15 et 25 ans, les rémissions ont lieu très tôt. C’est pour cela que c’est important de déstigmatiser
Alexandra Carré, psychiatre
Il y a différentes méthodes: psychothérapiques, aller vers de la relaxation, des méthodes médicamenteuses, le sport, le sommeil, le maintien d’une bonne hygiène de vie et ça permet d’infléchir la trajectoire de la personne, d’éviter qu’elle ne rentre dans des troubles chroniques et là de prendre des antidépresseurs à vie. Mais il faut intervenir tôt. Entre 15 et 25 ans, les rémissions ont lieu très tôt. C’est pour cela que c’est important de déstigmatiser.
Formation Premiers secours en santé mentale
Il y a maintenant une formation en Premiers secours en santé mentale comme les gestes de Premiers secours, les défibrillateurs, etc, qui est proposé en santé physique. L’idée est qu’il y ait des secouristes en santé mentale parmi les jeunes qui soient un peu sentinelles dans les lycées et qui puisse se dire "lui, lui, lui, je repère qu’il n’a pas l’air d’aller très bien. Je vais essayer de protéger cette personne". L'idée est d'intervenir très tôt en allant vers la personne, ne pas attendre qu'elle demande de l’aide. C’est ce qui permet d’obtenir des taux de guérison très importants. On n’a pas besoin de sortir l’artillerie lourde après.
Équipe ambulatoire
Nous avons quelques lits d’hospitalisation car il y a parfois un état de crise aiguë. Avec l’idée que l’hospitalisation doit rester brève. Elle doit être là pour protéger la personne du passage à l’acte qui pourrait aboutir à des conséquences graves pour sa santé. Ou de permettre à la famille de souffler un petit peu quand il y a des situations d’agressivité. Elle doit rester brève car sinon ça désocialise la personne, ça lui enlève tous ses leviers de changements qu’elle peut trouver à l’extérieur : la scolarité, les relations amicales...
Donc pour que l’hospitalisation soit brève, il faut qu’on ait ensuite un support à l’extérieur qui puisse aller dans les lycées, dans les familles, là où le jeune vit en fait. Et ça, c’est le travail des équipes mobiles.
Ce sont des care managers, des personnes qui sont là pour apporter du soin, avoir accès à tous les soins nécessaires. Ces équipes mobiles vont au plus près de là où est le jeune.
On s’appuie sur le bus de la ville, le Bus de Prévention santé, avec lequel on va aller dans les lycées. Souvent les jeunes n’apprécient pas qu’on aille chez eux. Alors on se rencontre dans les parcs, les cafés là où les jeunes ont envie d’être rencontrés. C’est de l’accompagnement.
Le jeune doit faire l’expérience que sa souffrance psychique peut l’entraver dans la réalisation de ses projets. Lui apporter des soins c’est bien mais il faut que ce soit à son service. Le jeune, si on lui dit qu’il faut qu’il aille faire des soins en hôpital de jour ou en consultation mais qu’il ne voit pas au service de quoi, lui dire juste que c’est pour améliorer sa santé mentale, il n’a pas cette projection-là.
Combattre le harcèlement
Et puis après, il y a toutes les problématiques de harcèlement, de cyberharcèlement, il y a beaucoup de demandes qui émergent de l’éducation nationale qu’il faut accompagner au niveau de la formation. Il faut toujours être en alerte, être sentinelle, repérer, il y a aussi un numéro national pour le cyberharcèlement, le 3018, anonyme, gratuit 7/7 et 24h/24. Cette équipe est en rapport avec toutes les plateformes google, instagram pour alerter aussi. Ce sont des ressources qu’il faut diffuser, connaître.
Promouvoir la psychologie positive
L’espoir de se sentir en bonne santé, d’avoir accès à un sentiment de bien-être, ce qu’on appelle la psychologie positive, ce qui est un petit peu promu au Canada par exemple, on a du mal en France, ça semble un peu nié. Mais il ne faut pas, il y a des études intéressantes sur "qu’est-ce qui fait qu’on se sent mieux ?" Quand par exemple, avoir des fenêtres qui donnent sur des arbres.
Il y a plein de petits détails comme ça qui aident la personne à se sentir mieux et qui ne sont pas du tout à négliger et qu’on a tendance, nous en France, à négliger. C’est un esprit critique, français. On a tendance à être un peu hautain par rapport à ces courants de psychologie positive.
A l’école, par exemple, les jeunes sont confrontés aux exercices de simulation d’attentat, c’est anxiogène. Il faudrait qu’en contrepartie, il y ait des cours de yoga. Là où ils ont essayé de l’implanter, ça donne des résultats. Il faudrait pouvoir promouvoir cela en France. Ou du sport : 30 minutes d’oxygénation 3 fois par semaine, ça augmente la taille des hippocampes, c’est ce qui aide au niveau du cerveau à la régulation des émotions, à la mémorisation. C’est de la prévention. L’activité physique, c’est essentiel, l’hygiène de vie, le sommeil, éteindre les écrans 1 heure avant d’aller se coucher …
Un message : que la santé mentale ne soit plus taboue
Alexandra Carré, psychiatre
Un message
Que la santé mentale ne soit plus taboue. C’est un sujet qui n’est pas forcément grave mais quand on est en difficulté, il faut en parler. Et en parler ne veut pas dire forcément se retrouver dans le bureau d’un médecin psychiatre. Ne pas hésiter à demander de l’aide si en tant que parents ou proche on se sent démuni. Il ne faut pas s’isoler.
Je pense que l’isolement c’est vraiment ce qui entraîne le plus de souffrance. Les semaines d’information à la santé mentale sont là vraiment avec un but de déstigmatiser et de parler. On a des approches aujourd’hui qui sont vraiment efficaces. Il faut en parler".
La ville de Montpellier organise la semaine de la santé mentale jusqu'au 22 octobre.