En Occitanie, la deuxième vague de l'épidémie de coronavirus met les soigants à rude épreuve. Tristesse, angoisse et colère s'accumulent pour le personnel médical. A Montpellier, une infirmière en réanimation et un médecin anesthésiste témoignent leur désarroi.
Ce sont les héros d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ceux que des millions de Français ont acclamé tous les soirs à 20h pendant de longues semaines, symbole de reconnaissance. Leur costume à eux, une blouse blanche devenue aujourd’hui de plus en plus difficile à endosser.
Quand on est sur un secteur Covid, on passe 12h auprès du patient en tenue complète : blouse, charlotte, lunettes, masque FFP2, sur-chaussures, tablier de protection. Dans un souci d’économie on ne peut pas sortir de la pièce quand on veut. L’état des patients est tellement grave qu’il faut tout le temps qu’on soit avec eux. Sur 12h on doit sortir une fois 1h et une fois 30 minutes.
"Parfois on sent le masque rentrer dans la peau mais on ne peut pas le toucher"
Isolés pendant de longues heures dans des chambres avec des patients atteints du Covid-19, les soignants sont épuisés.Leurs journées de travail deviennent des épreuves, de plus en plus compliquées à surmonter. Les équipements - pourtant barrière indispensable face au virus - un fardeau : "j’ai vu des collègues s’évanouir, vomir à cause de la chaleur et de cette ambiance fermée et de toutes ces machines. J’en ai vu s’arracher les affaires et sortir précipitamment des pièces parce que c’était plus vivable. Parfois on sent le masque rentrer dans la peau mais on ne peut pas le manipuler, le bouger parce qu’on risque de se contaminer".
L’Occitanie a été frappée de plein fouet par la seconde vague de l'épidémie de coronavirus. Une vague à l’origine de nombreux impacts collatéraux dont les soignants en sont l’exemple.
Prioriser les patients
Le docteur Jose Molina est anesthésiste réanimateur dans le service cœur-poumons du CHU de Montpellier. C'est dans son service que les patients Covid-19 les plus graves sont placés sous respirateur mécanique. Un afflux de malade du virus qui n'est pas sans conséquences pour les équipes mais surtout pour les patients habituels du service.Trier, prioriser les patients, c’est devenu son quotidien.
Il poursuit, "perdre la chance de se faire opérer c’est perdre beaucoup de chances de guérir complètement. Dans notre domaine il n'y a que la chirurgie qui est curative, le fait de ne pas avoir de place en réanimation ça fait repousser les gestes de plusieurs semaines. Pour la chirurgie thoracique c’est six semaines le report, ce qui est significatif. Si pendant ces six semaines la maladie commence à se répandre, la chirurgie devient beaucoup moins efficace".On est obligés de repousser des rendez-vous de quelques semaines. On fait de la chirurgie cardiaque, la plupart du temps ce sont des chirurgies majeures avec des patients qui ont des espérances de vie engagées, quelques années au mieux sans traitement.
Une seconde vague intense
En Occitanie, la courbe de l’épidémie de Covid-19 commence tout juste à s’inverser. Selon le dernier bulletin de l’Agence Régionale de Santé, en date du 17 novembre, le nombre d’hospitalisation est en baisse.2 200 malades du Covid-19 sont pris en charge dans les hôpitaux d’Occitanie : c’est 23 de moins que lors du bilan présenté le vendredi 13 novembre 2020.Une baisse visible aussi dans les services de réanimation, puisque 387 personnes sont actuellement prises en charge : 12 de moins.
"Surmortalité extra Covid"
Plus intense, la seconde vague est incomparable à la première dans notre région. Avec 347 décès enregistrés, l'Hérault est le département le plus touché. Face à des hôpitaux surchargés, certains patients font le choix de renoncer à leur soin, par peur parfois d’attraper le virus.Le retard de ces prises en charge représente un réel danger pour les patients. Une étude anglaise publiée le 4 novembre 2020 dans la revue British Medical Journal démontre par exemple qu’un retard des traitements contre le cancer, même d’un mois, augmenterait la mortalité de 6 à 13%.Ce qui a changé par rapport à la deuxième vague, c’est cette surmortalité extra Covid. C’est plus pesant de devoir refaire le tri et le choix entre les chirurgies programmée et les patients Covid. Après, c’est aussi le fait de prendre conscience que derrière il y a des patients qui ne vont pas se faire dépister de leur cancer, leur anévrisme… On sait qu’ils vont perdre leur chance.
Malgré tout, pour l'instant Jose Molina l'affirme, il n'a pas eu à choisir qui soigner, "on n’a pas eu à faire de choix mais on a des instructions pour le faire si jamais c’est nécessaire. Les dernières instructions, c’est que pour mettre une assistance mécanique extra corporelle, on nous demande de cibler les indications, c’est-à-dire ne pas dépasser les 70 ans quand le patient n’a qu’une défaillance respiratoire. S’il a une défaillance multiviscérale, il faut diminuer l’âge à 65 ans. Pour l’instant ça n’a pas été fait mais on a ces instructions", explique-t-il.
Equipement insuffisant
Au CHU de Montpellier, depuis plusieurs semaines, "les équipements arrivent bien souvent au compte-goutte" explique Marie. Par soucis d’économie, les soignants sont désormais contraints à des choix : manger, aller à la toilette… des gestes du quotidien devenus l’objet de toute une organisation.Malgré des conditions de travail compliquées les soignants résignés enchaînent les heures. "On est souvent amenés à modifier nos plannings pour gérer l’absentéisme. Les gens qui sont positifs au Covid il faut les remplacer sauf que c’est nous qui les remplaçons, c’est pioché dans l’équipe même. Psychologiquement on est tellement tout le temps dedans qu’on ne sort plus la tête de l’eau", confie Marie.Si j’ai trois masques dans la journée je sais que mon nombre de sorties de la pièce va être limité. Et puis, selon le matériel que l’on reçoit et d’où on le reçoit, on a l’impression que certains masques ne protègent pas.
Le Président de la République a dit qu'il ne voulait plus utiliser la santé comme variable d’ajustement et lui donner le statut de trésor. C’est contradictoire avec le manque d’agissements dans ce sens. Le manque d’effectifs et de places ça entraîne des conséquences.
"Le salaire n'est pas au rendez-vous"
Un investissement au travail absent des fiches de paie selon Marie. En début de carrière, une infirmière dans le public touche en moyenne de 1500€ net. "Quand on signe dans le domaine de la santé, on sait que c’est des métiers par vocation. Mais je me demande réellement qu’est-ce que je vais faire après. Le salaire n’est pas au rendez-vous dans le domaine du public. Le salaire que j’ai ne me paraît pas suffisant quant à la charge psychologique et la technicité", exprime Marie.Selon le ministre de la Santé, Olivier Véran, le pic de la seconde vague serait maintenant derrière nous, peut-être l'occasion pour les soignants d'entrevoir le bout du tunnel.
* Le prénom a été changé pour respecter l'anonymat.