La semaine prochaine, les 18 auteurs des plaintes contre la direction de l'association "Le Refuge" seront auditionnés par le parquet de Montpellier. Ils dénoncent des chantages, des harcèlements et même des viols. France 3 Occitanie a recueilli leurs témoignages.
“J’ai intégré Le Refuge en 2020 suite à un viol. Je leur ai tout raconté et j’ai reçu de l’aide. Mais dans le même temps, Nicolas Noguier m’a contacté directement par téléphone. A partir de là, ses appels se sont faits de plus en plus nombreux, de plus en plus pressants, parfois en visio. Il ne me parlait que de sexe et insistait pour qu’on se voit. Ça a duré un an.”.
Ce témoignage est celui de Julien* l’une des 18 victimes à porter plainte contre la direction du Refuge. Une plainte pour harcèlement sexuel à l’encontre de Nicolas Noguier, le président de l’association de Montpellier qui vient en aide aux jeunes LGBT+ en situation de rupture familiale.
Un système de chantage, de harcèlement et de viol ?
Harcèlement, harcèlement sexuel, abus de faiblesse, viols... les motifs des plaintes sont multiples, les témoignages eux, racontent tous la même histoire : celle d’un couple à la direction d'une fondation, pour qui le “non” n’est pas une réponse acceptable et où le sexe est omniprésent.
Il y avait deux catégories de jeunes, les bons toutous qui ne disent jamais non et les moutons noirs qui dès qu’ils disaient non, devenaient la risée du Refuge.
“On m’a imposé de faire le trajet Nîmes-Montpellier, seul en voiture avec lui. On partait de Montpellier pour retrouver des députés à Nîmes, et dès que nous sommes arrivés sur l’autoroute, il a posé sa main sur mon genou, puis a commencé à me caresser la cuisse puis les parties intimes”, le jeune homme alors âgé de 17 ans reste pétrifié sur le coup mais se confie le soir même à l’assistante sociale de l’association, qui ne donnera pas suite.
Quelques jours plus tôt, il avait demandé à Nicolas Noguier de le laisser seul alors que ce dernier s’attardait de nuit dans son appartement. Le président du Refuge l’aurait alors menacé de le mettre à la rue et aurait supprimé certains de ses avantages, selon le jeune homme.
Un système de chantage que relate également Ludivine* qui a résidé au Refuge de 2017 à 2018. “Le responsable de l’antenne me harcelait, il se montrait très avenant, m’imposait des câlins. Il était très tactile avec moi et dès que je prenais du recul il se mettait à me dénigrer, puis redevenait pressant” raconte la jeune femme qui précise ne pas avoir été la seule à subir ces pressions. Elle décrit un climat anxiogène qui l’a détruite au point de la pousser à s’auto-mutiler violemment.
Des films pornographiques diffusés lors de déplacements
John Fortes fait également partie des plaignants. Lui qui était la tête d’affiche du Refuge entre 2013 et 2015 (présenté dans les soirées ou témoignant dans un documentaire avec Sonia Rolland), a ensuite été contraint de quitter Montpellier sous les menaces de mort lorsqu’il a décidé de prendre ses distances avec l’association.
John Fortes se dit aussi victime des deux dirigeants du Refuge. “Frédéric Gal était très tactile avec nous”, se souvient-il. “Il nous imposait des câlins, qu’on soit seul ou en public. Une fois, il m’a fait venir dans son bureau et sans me prévenir, m’a fait voir un film pornographique. Mais je n’étais pas le seul, lui et Nicolas en montraintt aux jeunes et des photos pornographiques aussi pendant nos déplacements”.
Harcèlement moral et violation de contrat des bénévoles
A l’atmosphère anxiogène dénoncée par ces jeunes s’ajoutent les accusations d’anciens bénévoles. Ceux que nous avons interrogé décrivent tous un règne de la terreur où la contestation n’était pas permise.
“Ce n’est pas pour rien qu’on les appelait le roi et la reine”, se souvient Jean-Claude Manenc, un ancien bénévole du Vaucluse qui a obtenu gain de cause devant le tribunal correctionnel le 2 novembre dernier après avoir été exclu sans justification avec l’ensemble des membres de son antenne.
“Il ne fallait pas qu’on puisse s’attaquer à eux. Donc, si on s’entendait trop bien dans une antenne ou si on émettait des objections, on était viré”.
Une situation qui se serait reproduite à Lille, en Isère, en Guyane, à La Réunion et à Marseille, où des délégations entières étaient soudain remplacées. “Virer toute une équipe sans préavis, sans nous laisser dire au revoir à nos jeunes, l’effet était dévastateur sur eux comme sur nous.”, déplore un ancien responsable d’antenne qui souhaite rester anonyme. “Dès qu’on commençait à ouvrir les yeux, dès qu’on interrogeait leur fonctionnement ou leur gestion financière, on était viré. On exigeait de nous qu’on soit à leur merci, de jour comme de nuit… et la collaboration s’arrêtait dès qu’on cessait de les idolâtrer." .
L’association ADAR créée pour accompagner les anciens du Refuge
Si la parole se libère aujourd’hui, c’est notamment grâce à un ancien du Refuge. Yohann Allemand y était hébergé en 2006 et quelques années plus tard, il décide de devenir bénévole pour l’association. Le jeune homme monte alors une antenne à Poitiers mais s’oppose à deux reprises à Nicolas Noguier… qui exige alors sa démission.
Extrêmement fier d’annoncer ma démission de correspondant Relais pour #lerefuge . Je m’expliquerais plus longuement sur le pourquoi mais j’ai des choses à dire. #homophobie #lgbt #transphobie pic.twitter.com/VBAFHBlS8A
— Allemand Yohann (@YohannAllemand) September 14, 2020
Et c’est ce tweet, posté par Yohann Allemand pour annoncer sa démission qui déclenche tout : “Ca a été le buzz, je ne m’y attendais pas. Mon post a été retweeté en masse et je me suis mis à recevoir des témoignages en masse : mauvaises prises en charge, jeunes renvoyés à la rue, harcèlement sexuel et même une agression sexuelle”.
Une centaine de témoignages de jeunes passés par le Refuge mais aussi de bénévoles. Yohann crée alors un collectif puis une association : l’ADAR (l’Association de Défense des Anciens du Refuge) dont le but est l’accompagnement aussi bien psychologique que judiciaire des victimes du Refuge.
“Je n’aurais jamais pu faire ça sans l’association”, se confie Pierre* qui a porté plainte pour viol, abus de confiance et abus de faiblesse contre Nicolas Noguié. “C’est très douloureux d’en parler encore aujourd’hui. Mais à l’ADAR, ils m’ont accompagné sans me mettre la pression pour aller en justice. Ça m'a beaucoup aidé de recevoir du soutien et de me rendre compte que je n’étais pas seul.”
Grâce à une cagnotte en ligne, l’association prend aussi en charge les frais engendrés par la procédure judiciaire. “A l’époque, je pensais que c’était moi le problème, que c’était comme ça le monde des adultes. Aujourd’hui, je me suis rendu compte que ce que j’avais vécu n’était pas normal”, raconte Julien*. “Avec l'ADAR, j’ai pu comprendre, assumer et maintenant combattre ce que j’ai vécu.”.
La parole se libère encore davantage avec la publication de l’enquête de Mediapart fin 2020, puis avec l'audit qui conclut en février 2018 à “des dysfonctionnements structurels pouvant exposer salarié-e-s, bénévoles et jeunes à des situations qui semblent incompatibles avec la mission du Refuge”. Nicolas Noguier et Frédéric Gal annoncent alors leur démission.
Un nouveau conseil d’administration est nommé et des victimes de l’ancienne direction se voient proposer un poste au comité de suivi… l’espoir d’un nouveau départ.
Nous, on croit en la Fondation. Elle doit continuer d’exister car encore en 2021, ces jeunes ont besoin d’aide.
Le parquet de Montpellier a ouvert une enquête en février dernier. 18 victimes portent plainte accompagnées par l’ADAR. Leurs auditions débuteront mardi.
*Les prénoms des témoins ont été changés.