La tour d’Assas à Montpellier, plus grand immeuble d'Occitanie, vit ses derniers mois avant sa destruction prévue à partir de la fin d'année 2024. Entre nostalgie, tristesse et soulagement, d'anciens habitants témoignent. C'est le dernier adieu à la tour. Le documentaire "La tour fantôme", nous emmène auprès d'eux.
La tour d’Assas dans le quartier de la Mosson à Montpellier (ex- La Paillade), vit ses derniers moments. Du haut de ses 76 mètres, elle est la plus haute du Languedoc-Roussillon, voire de l’Occitanie. Laure Pradal, la réalisatrice de ce documentaire, avait déjà filmé le vécu de nombreux habitants de cet immeuble en 2008 dans son film "Le village vertical". Un travail de mémoire précieux. Aujourd’hui, elle y revient 15 ans après et filme à nouveau. Les lieux sont fantomatiques.
Une tour emblématique
Construite en 1969, la tour d’Assas, emblématique et représentative des banlieues françaises, symbole de l’immigration des années 70, comprenait 22 étages et 300 logements. Dans les années 2000, 800 personnes y habitent. Au moment du tournage, il ne reste plus que quatre familles qui attendent un relogement. À partir de la fin de l’année 2024, La tour d’Assas commencera à être détruite, "grignotée" par le haut, pour finir par disparaître complètement du paysage montpelliérain.
Des fresques monumentales
Mais avant d’être désamiantée, elle est fêtée en grande pompe. À cette occasion, les bâtiments vides sont investis par des collectifs d’artistes. Tandis que l'un est destiné à mettre en place des activités où la population est invitée à participer, un autre s’appuie sur le travail de l’artiste Al Sticking, avec son œuvre "souffles", une bâche monumentale évolutive.
Dessus, apparaissent des portraits géants. Un homme de dos avec un imperméable et un attaché-case, symbole du passé. Puis, ce sera celui d’une femme, de face, symbole de l’avenir. Autour des portraits, des témoignages d’habitants s'inscrivent sur la toile.
Laure Pradal revient sur la performance de la funambule Tatiana-Mosio Bongonga avec sa traversée du 14ème étage de la tour à la tour voisine.
Les mémoires d’une vie
Les habitants se souviennent. À ses débuts, la tour d’Assas abritait une population venant de tous horizons. S’adressant à elle, une des anciennes habitantes fait lecture d’un texte qu’elle a écrit spécialement :
Toutes ces familles, tu les as accueillies à bras ouverts, toutes ces cuisines du monde, avec des couleurs, des odeurs, aux goûts qui s’entremêlent tu les as senties. Dans le cœur de tous ceux qui t’ont connue ou aperçue, tu resteras un point de repère.
Témoignage d'une habitante de la tour d'Assas
Des tremblements dans sa voix se font sentir. "Tu étais notre phare" a écrit une autre habitante.
Au premier étage, c’est le médecin qui part à la retraite. Il était là depuis 40 ans. Aujourd’hui, il ferme les portes de son cabinet en même temps que la tour ferme les siennes. Les patients sont émus, en larmes. C’est la dernière consultation.
Ils retournent dans les appartements qu’ils ont habités en famille. Et si les pains farcis, le thé à la menthe reviennent en mémoire, il y a aussi la solidarité au quartier. Les moments de vie en famille, des grands-parents aux petits-enfants, des générations entières ont habité ici. Les souvenirs restent intacts. Une habitante se confie "C’est triste. Si nos parents n’étaient pas à la maison, j’allais chez les voisins. Il y avait cette solidarité, cette entraide que je n’ai pas retrouvée ailleurs".
"Au début, la tour d’Assas, c’était le grand luxe. Ce n’était pas donné à n’importe qui d’entrer dans ces appartements" raconte un autre habitant tout en détachant un carreau de la salle de bains de son ancien appartement en guise de souvenir, tout en s’adressant à son garçon : "Tu vois mon fils, ça, c’est un carreau chargé en histoire".
Un combat venu des femmes
Pourtant, la tour d’Assas, ce n’était pas que du bonheur, loin de là. Ces femmes et ces hommes sont partagés entre attachement, loyauté des moments familiaux, nostalgie des moments d’amour, tristesse et colère.
A partir des années 1990, la tour a commencé à se délabrer. Entre précarité, délinquance et discrimination, les conditions de vie sont devenues difficiles. "L’ascenseur de la tour, je m’en souviens, il a toujours été compliqué et n’a pas toujours fonctionné". Et puis, il y a toutes ces réparations que les habitants du bâtiment insalubre devaient faire, livrés à eux-mêmes.
Tout en affichant les panneaux de témoignages d’habitants dans le quartier, Mouss raconte "Il y a un traumatisme collectif dans cette tour". Ce sont les femmes qui se sont battues. En 2015, elles se sont manifestées pour dénoncer l’impensable, des conditions de vie indignes.
Dans beaucoup de familles, les femmes ne travaillaient pas, elles restaient au foyer et c'est pour elles que ça a été le plus difficile.
Mouss, ancien taggueur et afficheur
Il termine par la lecture d’un témoignage d’une des habitantes "A la fin, j’avais l’impression, d’être laissée à l’abandon. Tout était cassé. Pas d’ascenseur. Pas d’électricité. Avec tous ces dysfonctionnements, on développait un sentiment d’infériorité, un sentiment d’abandon comme si tout le monde s’en foutait de nous".
Des bonheurs, des drames, des combats collectifs, des solidarités, des oeuvres participatives, un travail de mémoire précieux pour mieux fermer les portes d'une vie passée. La disparition de la tour d'Assas va entrainer le renouvellement urbain du quartier, un espoir pour toutes celles et ceux qui sont restés.
"La tour fantôme". Un film de Laure Pradal. Une coproduction Pages & Images et France Télévisions. Retrouvez tous nos documentaires sur france.tv