Selon une étude du centre Ifremer de Sète, huit lagunes de Méditerranée seraient contaminées par de nombreux pesticides. Malgré leur faible quantité, les chercheurs s’inquiètent de l’effet « cocktail » de ces différentes substances sur l’écosystème fragile des lagunes.
Entre 2017 et 2019, le laboratoire Environnement Ressources Languedoc-Roussillon de l’Ifremer, basé à Sète dans l’Hérault, a traqué 72 pesticides grâce à un piège nouvelle génération : des échantillonneurs ont été immergés dans les lagunes pendant trois semaines à différentes périodes de l’année. Les pesticides accumulés ont donc pu être identifiés.
Selon un rapport publié mercredi par l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et l’Ifremer en partenariat avec l’Université de Bordeaux huit des dix lagunes étudiées présentent un risque préoccupant pour la santé des écosystèmes et leur biodiversité. Il s’agit des étangs de Canet, de Bages-Sigean, de l’Ayrolle, de la Palme, de Thau, de Vic, du Méjean, de l’Or, de Berre, et de Biguglia. Seul deux étangs présentent un risque faible : les étangs de la Palme dans l’Aude et de Biguglia en Corse.« C’est un véritable défi pour la science d’appréhender les effets de ces substances »
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Les risques d’un éventuel effet « cocktail »
Dans ces lagunes contaminées, 15 à 39 pesticides ont étés retrouvés. L’étang de l’or est le plus touché. Là-bas 70 % des pesticides s’avèrent être des herbicides, 23 % des fongicides, et 3% des biocides (produits phytosanitaire et d’hygiène). Deux herbicides inquiètent particulièrement les chercheurs : le s-métolachlor et le glyphosate.« D’ordinaire, dans le cadre des suivi de la qualité des eaux, seul le risque individuel d’une vingtaine de substances jugées prioritaire est évalué. (…) Ici, nous avons évalué pour la première fois le risque lié au cumul de pesticides » explique Dominique Munaron, chercheur en chimie de l’environnement à la station Ifremer de Sète. D’après les prélèvements effectués, les pesticides sont présents en très faibles quantités, ils ne dépassent pas le seuil d’alerte.
Mais c’est leur cumul et l’éventuel effet cocktail produit par ce mélange qui inquiète le chercheur.
Pas de contamination directe pour les coquillages
Les conséquences de ce cocktail sur l’environnement sont encore mal connues. « C’est un véritable défi pour la science d’appréhender les effets de ces substances » insiste Dominique Munaron.Mais les coquillages ne semblent pas touchés. Les grandes nacres de l’étang de Thau ne seraient donc pas directement impactées : « Il n’y a pas d’effet létal direct. La survie de ces organismes vivants n’est pas menacée. »
Le chercheur s’avère aussi rassurant pour les producteurs locaux de coquillages. « Les produits retrouvés sont hydrophiles, ils ont tendance à se dissoudre dans l’eau. Ils ne s’accumulent pas dans les coquillages qui restent donc consommables par l’homme. »
Selon Dominique Munaron, les effets à craindre se produiront sur le long terme. « Il peut y avoir des effets sublétaux » sur les organismes les plus sensibles, comme le phytoplancton ou les larves de coquillages. Cela a déjà été démontré en laboratoire de manière claire. » Les coquillages pourraient donc être privés de nourriture et mourir de faim, ou être privés de descendance …
Minimiser l’emploi de pesticides
Si les lagunes côtières sont essentielles aux activités économiques locales comme la pêche artisanale et la conchyliculture, elles constituent aussi des zones d’étapes importantes pour un grand nombre d’espèces migratrices d’oiseaux, comme le flamant rose, et de poissons. Les lagunes jouent aussi un rôle écologique majeur d’épuration et de filtration des eaux douces en provenance des bassins-versants, améliorant ainsi la qualité des eaux.Sur le territoire de Thau, ce sont près de 165 km de cours d’eau qui se jettent dans la lagune. Des rivières, comme la Vène ou le Pallas sont polluées depuis de nombreuses années par les pesticides des terres agricoles et par des terrains urbanisés situés en amont.
« Les 72 substances suivies ont été sélectionnées parmi les 325 pesticides détectés dans les cours d’eau de la région lors d’une précédente étude, précise Karine Bonacina, directrice régionale de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Nous nous doutions que leur impact écologique devait s’aggraver en aval des cours d’eau mais nous ne pensions pas que le risque dû à leur cumul serait aussi élevé pour les écosystèmes lagunaires ».
Pour stopper cette pollution Dominique Munaron appelle à une prise de conscience : « Il faut travailler en amont pour réduire l’utilisation de ces substances. On sait que ca fonctionne. Dans les années 2000 l’utilisation de l’atrazine a été interdite. Aujourd’hui, c’est une substance qu’on ne retrouve quasiment plus dans l’environnement. »