TEMOIGNAGE. "Ma mère a fait deux tentatives d’auto-euthanasie et je n’ai pas pu l’aider" : le combat d’Ève pour changer la loi sur la fin de vie

Sa mère a tenté de mettre fin à ses jours à deux reprises, pour en finir avec la souffrance et sa très grande dépendance. D’abord sidérée, Ève a choisi de faire sien le combat pour une fin de vie digne. Cette habitante de Sète est membre de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD).

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La première fois qu’Yvonne a tenté de mettre fin à ses jours, elle avait 89 ans. "Je ne m’en doutais absolument pas, se remémore sa fille, Ève. Je n’y ai pas cru, j’étais dans la sidération." Des tranquillisants avalés un jour de grande lassitude. "Les pompiers sont arrivés, ils m’ont interrogée. Ils ont vu les boites vides, mais moi je n’ai pas voulu y croire."

Le tabou du suicide

Il lui a fallu lire la lettre laissée par sa mère pour comprendre ce geste radical. Malade, dépendante, convaincue qu’il ne pouvait plus y avoir de jours meilleurs, Yvonne avait décidé d’en finir, certaine que "demain ne peut pas être mieux qu’hier". Impossible, pourtant, pour Ève de parler de suicide, elle préfère "auto-euthanasie".

Yvonne est sauvée une première fois par les pompiers. Petit à petit, sa fille prend conscience de la question de la fin de vie, celle très intime et douloureuse de sa maman, mais également celle plus générale qui chaque année en France anime des centaines de personnes. Le sujet la touche d’autant plus que, trois ans plus tard, à 92 ans, Yvonne tente de nouveau d'en finir.

Cancer généralisé

Ève finit par comprendre les tentatives de sa mère, même si, avoue-t-elle, elle a eu "du mal à encaisser". "Ma mère a eu une fin de vie difficile, elle perdait l’ouïe, la vue. Elle avait une telle peur de la grande dépendance. Du côté de la santé, il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas."

L'état de santé de la nonagénaire continue de dégrader jusqu’à une occlusion intestinale diagnostiquée en 2014. "Le médecin lui a conseillé l’opération, sinon elle allait mourir dans d’atroces souffrances, se rappelle Ève. Ma mère ne voulait pas souffrir. Le chirurgien l’a ouverte, il s’est rendu compte que c’était un cancer à un stade avancé, il a refermé aussitôt." Six mois plus tard, à 94 ans, Yvonne rendait son dernier souffle.

Mourir dans la dignité

Au médecin, la vieille dame avait suggéré de la laisser partir pendant l’opération. "Je ne suis pas là pour ça", lui avait-il répondu, coupant court à toute discussion. "Alors elle a laissé tomber, elle n’en a plus parlé", explique sa fille avant de poursuivre : "À l’époque, j’aurais vraiment préféré l’accompagner en Suisse. Mais quand elle m’en a parlé, c’était trop tard."

La Suisse autorise le suicide assisté. Là-bas, les patients s’administrent eux-mêmes une dose létale d’un médicament fourni par un médecin. La Belgique, elle, a légalisé l’euthanasie il y a 20 ans. Comme en Espagne, c’est le médecin qui fait l’injection létale. Ces trois pays frontaliers attirent chaque année des Français qui veulent abréger leurs souffrances. 

Soins palliatifs et directives anticipées

En France, la législation relative à la fin de vie, inscrite dans la loi Claeys-Leonetti de 2016, interdit le suicide assisté et l'euthanasie, nous rappelle Noëlle Messina-Peretti, présidente de l’antenne héraultaise de l’ADMD, l’Association pour le droit à mourir dans la dignité. Le texte français renforce plutôt les directives anticipées et encourage le soulagement de la souffrance par la sédation profonde.

"Pour beaucoup de patients, les soins palliatifs, c'est impossible, regrette Noëlle, infirmière à la retraite, habituée des services de cancérologie et de soins palliatifs justement. Il y a beaucoup de régions où il n'y en a pas." Elle poursuit : "quand vous voyez qu'à Montpellier, il y a six lits, et qu'il y a 12 lits au Mas du Rochet", une clinique au nord de la ville. Restent les équipes mobiles de soins palliatifs. 

"Quand on est jeune, on a une telle force de vie, on n’y pense pas, renchérit Ève. J’ai fait mes directives anticipées. J’ai trois filles adultes, elles sont mes personnes de confiance. J'encourage tout le monde à faire pareil." Pour mener son combat pour changer la loi sur la fin de vie en France, la Sétoise a rejoint l'ADMD et œuvre avec Noëlle. L'association compte 120 délégations à travers la France et 76 000 adhérents.  

Nous sommes des citoyens, notre corps nous appartient, nous sommes dans un État laïc. Chacun doit pouvoir décider ce qu'il veut pour sa fin de vie.

Noëlle Messina-Peretti, présidente de l'ADMD

Vers un changement de la loi ? 

L'antenne de l'Hérault rassemble 1 823 adhérents, c'est l'une des délégations les plus importantes du pays. Chaque année, les bénévoles organisent des débats, des réunions publiques, distribuent des tracts un peu partout dans le département. L'été, les jeunes adhérents sillonnent une vingtaine de villes à bord d'un bus jaune afin d'expliquer les directives anticipées.  

Et les adhérents compte bien redoubler d'efforts depuis que le président de la république a annoncé une convention citoyenne sur la fin de vie. "Il y en a déjà eu plusieurs qui n'ont pas abouti, tempère Noëlle. Là, on espère quand même que ça va aboutir. Il ne faut pas lâcher, il faut manifester en ce sens, mobiliser les adhérents, rencontrer les politiques…"

La convention citoyenne se réunira à partir du 9 décembre et jusqu’à la mi-mars pour débattre d’une éventuelle évolution législative. 150 Français sont tirés au sort en ce moment pour y participer. Même si les chances sont minimes, Ève aimerait faire partie du groupe qui travaillera sur cette question  : 

"Le cadre d'accompagnement de fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ?"

En attendant, aujourd'hui encore, des Français demandent à partir à l'étranger pour mourir dans la dignité. Récemment, "j'ai encore eu six appels de personnes qui demandent à partir en Suisse, affirme la présidente de l'ADMD 34. Seulement, c'est entre 8 000 et 15 000 euros et vous ne partez pas comme ça. Il faut adhérer à une association, monter un dossier." Et il faut parfois plusieurs années pour y parvenir. 

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