C’est la pire semaine de froid de cet hiver : il fait -6° en plaine... et nous, nous sommes là-haut, à galoper du matin au soir par -20°.
Un massif humain
Ce matin là, on s’élance dans leur aventure. Il neige en tourbillons et en rafales. Vont-ils vraiment mettre le nez dehors ?
Oui, et sans hésiter en plus. De toute façon, après le débriefing de la veille, il vaut mieux
s’élancer, pour exorciser la peur….
Au premier mouvement du corps, la tête et le cœur suivent comme un seul homme
La trace est vierge, les muscles se mettent en action…
Quand on a peur, il faut agir…Et le cerveau déclenche…les poumons se dégagent…l’appréhension devient jubilation.
Quand on marche, on expectore les miasmes de la vie d’en bas…Exit le chauffage qui ramollit, adieu la bagnole qui rend fou et paralyse peu à peu notre organisme, loin de nous les ZAC, les ZUP, les kilomètres de centres commerciaux qui ôtent jusqu’à l’envie d’aller marcher…
Je retrouve d’un coup la vraie vie. Car la montagne est un lieu normal. Hors civilisation :
Il suffit de quitter la laideur des rocades, des zones urbaines et des villages gangrénés par les lotissements pour se remettre en jambe, et en vie.
Et s’il suffisait de marcher dans du beau pour être heureux ?
Un sanglier déboule devant nous et s’enfuit avec peine tellement la neige est profonde, lourde à tracer, pour lui comme pour nous…
Il rame de toutes ses forces pour avancer, il pousse de toute sa puissance pour survivre dans cette mer de neige qui l’engloutit…Je peine comme lui à avancer, à pousser ma trace dans ces mètres cube d’éléments mi-solide, mi-liquide. Parfois je m’adosse au talus de neige, brièvement, le temps que l’ouvreur progresse de quelques mètres, que la caravane suive. Je me pose et me repose quelques secondes le mollet ou la cuisse contre la muraille de neige… Imperceptiblement, ce simple soutien me rend des forces.
Une autre dimension
Aujourd’hui, la neige à profusion ralentit considérablement la progression… Ce qui va bien à mon souffle, mais pas au timing de la journée.
Il est déjà 16h30 : arrivera-t-on à l’étape ? soit on tente les derniers 100 mètres et on atteint le refuge ; mais on entend les avalanches qui se déclenchent, pas si loin de nous et le vent sur les crêtes risque de nous paralyser définitivement.
La neige nous engloutit, et la nuit se rapproche plus vite que nous ne progressons. Il faut trancher. Jean-René, le guide, décide : on rebrousse chemin, pour avoir le temps d’aller se refugier dans une cabane aperçue plus bas, il y a quelques heures…Aussitôt dit, aussitôt fait, plutôt heureux de tourner les talons devant les avalanches.
Rustique la cabane. Mais après une journée harassante, même le plus rudimentaire abri devient le summum du confort, du réconfort !
Corvée d’eau dans le ruisseau proche…corvée de bois sur les rares arbres environnants, le tout à ski tellement la neige enfonce…On dort entassés sur des planches. En troupeau. Comme les chevaux vus bien plus bas. Ces gros chevaux de trait fumants dans la neige, robustes, et dont la chaleur nous a fait fantasmer, en passant, car on sait qu’eux ils survivent dans ces froids polaires.
Emboités les uns dans les autres tellement le lieu est exigu, on se cale dos à dos, fesses contres fesses. Ravis cette fois de cette promiscuité qui réchauffe. Ca c’est de la chaleur humaine ! Engloutie dans la plume d’oie, enlacée par le dos et les ventres des autres, je finis à 1000° alors que j’ai rentré dans mon duvet des pieds glacés et des chaussures de ski trempées… Car notre sac de couchage, ce sera notre séchoir naturel chaque nuit en refuge non gardé…si l’on ne veut pas chausser des chaussures congelées au réveil.
Il fait moins 4 dans la chambre..
A plus de 2000 m d’altitude, le bonheur est rude, mais palpable…
Au fait, sur le programme c’était écrit « journée débonnaire »…