Aujourd’hui, c’est grandiose. Départ dans la nuit noire, à la frontale, sous la lune. Lentement la lumière puis le soleil se lèvent. C’est somptueux.
Me rappelle le Tibet…La pureté de son ciel, de son air, de ses aubes…On met les couteaux , ces crans qui permettent aux skis de tenir sur la glace. Et d’avoir un peu moins peur…Arrivés au col, on skie sur la lune . Descente ample, large, sur un sol de cratère neigeux, dans une lumière divine. Vaste boulevard des dieux. C’est l’endroit que j’aurai le plus aimé, le plus savouré. Grâce à la lumière. Une lumière qui rend heureux. Un peu de bonheur dans ce monde de brutes. D’ailleurs, je souffre moins que les autres jours ; mais ce soir, mes pieds sont couverts de cloques. On ne peut pas tout avoir ! La descente lunaire du petit matin se poursuit par une descente à pied.. skis sur l’épaule. Dans l’euphorie, nous sommes trop descendus…Il faut remonter…1h30 de plus sur la journée, qui en compte déjà 10…et 3 cloques supplémentaires.
Aujourd’hui c’est marche dans les pierriers avec chaussure de ski…Des vallons qui se succèdent, tout doux, à peine difficile. Juste ce qu’il faut tout de même pour rêver d’une arrivée proche. Ne serait ce que pour extraire ses pieds meurtris, réduits en bouillie, à force de chausser, déchausser, de porter les skis en montant, en descendant. Tout ça dans des paysages karstiques étonnants, lunaires, troués…Tout le temps splendide. Cela fait trois jours qu’on progresse dans du beau. Ou je continue à avoir peur, où je continue à appréhender la nouvelle pente, le prochain vertige, la neige trop molle qui s’écroule sous mon ski et pourrait me faire basculer dans la pente raide, la neige trop dure qui me fera dévaler jusque dans une crevasse. Oui, je pense à la mort tous les jours. Oui je suis tendue pour ne pas être de reste, pour que mes orteils tiennent bon, pour ne pas avoir la nausée de trop d’effort, pour ne pas être à la ramasse. Est-ce le souvenir qui va me rassasier ? Le fait d’en avoir été et de ne plus en être ? d’en avoir vraiment bavé et d’avoir survécu ? Ou d’en avoir bavé tout court ?
Le fait d’avoir accédé à toute cette beauté, ce silence, ces lieux inaccessibles, juste pour nous, gagnés, mérités, sués…A chaque fois courir un risque, et le dominer, viser un col, et le franchir, hésiter devant une pente raide, et se lancer…Se sortir de tout ça, ça fait gravir des échelons vers le bonheur. Ou tout bonnement un peu plus de confiance en soi ?
Nous allons entrer au pays basque par le vaste lapiaz des Arres d’Anie. Un relief particulier, très accidenté, avec de nombreuses petites dépressions dont les pentes sont souvent raides. La traversée des lapiaz constitue pour nous un exercice difficile. C’est comme si nous marchions sur le toit d’une cathédrale souterraine de karst pleine de trous, de marmites et de cratères, les dolines, dans lesquelles il vaut mieux éviter de basculer !!…Nous skions sur le gouffre de la Pierre St Martin…
Merveilleux accueil du couple qui tient le refuge de Belagua. Quel bonheur d’être ainsi choyés !
Des cabanes d’Ansabère (1580m) on passe en Espagne par le col de Petragème (2082m). Traversée de plusieurs longs vallons jusqu’au refuge de Belagua (1430m) |