La 20e édition du festival de Rocamadour (Lot) ne se fera sans doute plus dans la basilique Saint-Sauveur de la ville. Les organisateurs justifient cette décision de fait que "les relations avec le Sanctuaire sont particulièrement compliquées depuis 6 ans et ont éprouvé les salariés et bénévoles". De son côté le recteur du Sanctuaire Florent Millet avoue ne pas comprendre : "je souhaite que la paix revienne". Explications.
Une chatte n'y retrouverait pas ses chatons, un ecclésiastique ses fidèles et un musicien ses notes. Les relations entre l'association Cantica Sacra qui gère le festival de Rocamador (mais pas que) et le Sanctuaire de Rocamadour via son recteur sont devenues très compliquées. Au point de rupture avec une 20e édition du festival qui ne se fera plus avec les 2 protagonistes.
Un orgue en pleine tempête
Au cœur des discordes : l'orgue de la basilique installé dans la basilique Saint-Sauveur fin 2013. Il est beau, avec une forme d'un bateau en référence à la vierge noire de Rocamadour qui protège les marins. À l’époque, les relations entre Cantica Sacra Rocamadour et le Sanctuaire (Rocamadour est une ville sanctuaire comme Lourdes) étaient bonnes. Le festival se faisait en bonne entente et cette association qui dirige le festival s'occupait de l'orgue, de son entretien mais aussi selon elle d'autres biens qui se trouvent sur le lieu.
Aujourd'hui, l'orgue est en pleine tempête et le bateau chavire. Il faut déjà savoir qui en est propriétaire ? Appuyons-nous sur des certitudes. L'association Cantica Sacra Rocamadour a vu le jour en 2006, 70 ans après un événement marquant : la venue du compositeur Francis Poulenc à Rocamadour (Lot). Face à la vierge noire, c'est le coup de grâce, il est saisi par le lieu et son côté mystique. C'est le début de ses compositions sacrées et plusieurs de ses œuvres comme le Salve Regina ou le Stabat Mater seront inspirées par Rocamadour.
En 2006 toujours, l'orgue de la basilique est usé et l'idée vient de faire fabriquer un nouvel orgue. Trois structures incarnées par trois hommes portent ce dossier : l'évêché de Cahors (Norbert Turini), le recteur du sanctuaire (Ronan de Gouvello) et l'association Cantica Sacra (Jean Bressac, président jusqu'en 2014). C'est le facteur d'orgue gersois Jean Daldosso qui est choisi.
L'Église lance alors un appel à dons pour financer cet instrument de concert. Elle charge l'association Cantica Sacra Rocamadour de la maîtrise d'ouvrage pour mener à bien ce projet. La campagne de souscription lui a été. Dans le bulletin paroissial de l'époque, l'opération "Offrez à Notre Dame un tuyau d'orgue à votre nom" il est indiqué : "chèque à l'ordre de l'association Cantica Sacra Rocamadour".
L'orgue installé en novembre 2013 aura coûté aux alentours de 400.000€ dont plus de la moitié (200.000€) grâce à un généreux donateur italien que connaissait l'évêque de Cahors de l'époque, Mgr Turini. Il a fait son don directement par virement à l'association Cantica Sacra Rocamadour. Elle a aussi collecté des fonds.
Alors, à qui appartient cet orgue : à l'Eglise ou à l'association Cantica Sacra ? Ou bien à la mairie, propriétaire de la basilique classée aux monuments historiques et au patrimoine de l'UNESCO ? Pour l'avocat de l'association et des salariés Me Thomas Dumont : "l'orgue appartient à Cantica sacra. C'est un bien meuble installé dans la basilique. On a les factures. Tous les règlements sont faits par l'association qui a assuré également son entretien." Et d'ajouter une précision importante : "L’orgue n’a pas vocation à quitter la basilique. Le conseil d’administration de Cantica Sacra ne souhaite aucunement que cet orgue quitte Rocamadour."
Pour le recteur du sanctuaire (Rocamadour n'est pas une paroisse mais un sanctuaire), le Père Florent Millet : "Il y a eu plusieurs appels à dons pour cet orgue mais pas seulement. C'est bien le diocèse de Cahors qui a lancé cet appel. Nous avons eu entre 400 et 500.000€ de nos paroissiens mais pas que. L'orgue a été fait pour cette église et attaché à l'église. Alors à qui appartient-il ? On ne prétend pas que l'orgue est à nous. La mairie avait déclaré ne pas vouloir s'en occuper. Je vais laisser la justice en décider. Il a été offert par ces donateurs pour la liturgie et la culture."
Les relations entre l'association du festival et le sanctuaire de Rocamadour se tendent
L'association Cantica Sacra Rocamdour (CSR) ne s'est pas occupé que de l'orgue. L'année de sa création (2006), elle lance aussi un festival de musique. Une convention est signée en ce sens avec le sanctuaire de Rocamadour qui devient ainsi partenaire. En 2013, à la demande du sanctuaire, CSR développe une compétence musicale dédiée à la liturgie. En 2017, l'association devient prestataire de services pour le sanctuaire en matière de musique liturgique.
Le festival de Rocamadour prend de l'ampleur. Il devient itinérant en 2016 avec des concerts à Rocamadour mais aussi d'autres villes lotoises comme Autoire, Loubressac ou Carennac. Il attire de grands noms comme Renaud Capuçon, Philippe Herreweghe ou Roberto Alagna pour l'édition 2024, mais aussi Whilliam Christie, Jordi Savall les années précédentes. Un succès dû à l'association CSR et à son directeur Emmeran Rollin, ce que ne conteste pas le Père Millet arrivé comme recteur en 2018. "Je trouve cette situation dommageable. C'est un homme de qualité, un très grand organiste."
Les relations entre les 2 hommes et les 2 entités qu'ils représentent sont pourtant devenues impossibles. En 2020, l'une des conventions entre le sanctuaire et CSR portant sur le volet liturgique est rompue unilatéralement par l'Eglise. Emmeran Rollin ira même devant les Prud'hommes contre le Sanctuaire de Rocamadour et le Diocèse de Cahors, car il estime être devenu leur salarié. Il perd le procès en première instance juillet 2022 puis condamné en deuxième par la Cour d’appel d’Agen à payer 1 000€ à ses adversaires.
Quand tout allait bien, le recteur du sanctuaire était invité aux réunions importantes de CSR. Le recteur actuel Florent Millet a été invité une fois et puis : "j'apprenais qu'il y avait eu des réunions et je n'y étais plus invité, sans aucune raison." Selon Me Dumont : "jamais dans les statuts le recteur du sanctuaire est mentionné comme membre de droit du conseil d'administration."
Point d'orgue
Février 2021, le recteur envoie un courrier à Emmeran Rollin lui signifiant l'interdiction d'exercer sa mission de maître de chapelle. Ce dernier étant accusé d'avoir mis l'orgue sous clé, se réservant le droit de choisir qui est habilité à jouer ou pas. Le contrat de travail qu'il a avec l'association CSR stipule que : "Il exercera aussi les fonctions d'Organiste et de Responsable de l'orgue Daldosso. Il sera ainsi
responsable de son entretien, devra suivre les consignes données par le facteur d'orgue, avec lequel il sera en lien, et devra s'assurer de l'accueil et de la validation des personnes pouvant en jouer. A ce titre, il sera en charge de sa valorisation culturelle."
Dès 2021, la souffrance des salariés de Cantica Sacra se manifeste par courrier. Les relations se sont tendues également concernant le festival. 7 à 8 concerts par édition se font à la basilique Saint-Sauveur et l'Eglise doit sonner son accord pour que ces événements ne coïncident pas avec l'agenda religieux. Au fil des ans, l'association CSR estime que les réponses traînent et que les relations ne sont plus possibles. L'orgue n'étant plus entretenu, CSR qui a aussi une activité de label et de production discographique n'est plus en mesure de faire ces enregistrements selon son avocat. Un dépoussiérage des voûtes de la basilique sans protection de l'instrument aurait même été fatal : "Nous en aurions pour 16 000 € de nettoyage pour le remettre en état", affirme Me Dumont.
Il faut aussi assurer la révision avec démontage des tuyaux qui se fait tous les 10 ans. Qui doit payer? La semaine dernière, le recteur du sanctuaire et plusieurs fidèles ont fait barrage devant la basilique au cas où CSR vienne démonter l'orgue pour la révision et l'emporter. Personne n'est venu. "Nous les avions prévenus qu'on ne viendrait pas démonter l'orgue. Donc ces barrages c'est un peu du cinéma", déclare Me Dumont..
Devant tant de difficultés, les salariés ont fait valoir leur droit de retrait. L'unique convention ayant survécu et portant sur le festival arrive à expiration au 31 décembre 2024. CSR a fait savoir par un communiqué de presse que la 20e édition du festival se ferait sans le sanctuaire. "Cantica Sacra a dépensé de l'argent pour l'orgue mais a payé également des statues, des bancs, des autels, des calices... déclare Me Dumont. C'est la confusion des genres absolue. La convention expire le 31 décembre. Pour anticiper, on a tenté d’apaiser les relations. Nous avons décidé qu'Emmanuelle Dumoulin serait l'interlocutrice du sanctuaire en lieu et place d'Emmeran Rollin. J'ai également écrit à Mgr Camiade, l'évêque de Cahors pour avoir une convention sereine en lui demandant quelle était sa position et ce qu'il voulait faire. J'attends sa réponse depuis le 4 juin 2024."
L'ancien préfet des Yvelines Jean-Jacques Brot a été missionné pour tenter de renouer le dialogue. Sans succès. Le premier octobre, ite missa est la messe est dite, le conseil d'administration de l'association CSR "a été contraint, à l'unanimité, de décider de ne plus solliciter l'usage du Sanctuaire pour l'ensemble de ses activités."
Rocamadour: A Medieval Gem in France 🇫🇷
— Viral Odyssey-𝕏 (@viral_Odyssey_x) October 14, 2024
Rocamadour, nestled in the heart of Occitanie, is a medieval town overlooking the Dordogne Valley.
Renowned for its Marian sanctuary, this perched village offers a unique experience combining history, spirituality, and breathtaking… pic.twitter.com/pHTZlon0oL
Petit rappel : le site de Rocamador est l'un des plus visités en France avec plus d'un million et demi de touristes tous les ans. Le festival de Rocamadour est également très fréquenté. Les enjeux sont importants et beaucoup de choses restent à clarifier dans cette affaire entre le sacré et l'artistique.
Une petite note pour terminer : Rocamadour vient de l'occitan Ròc (roc en français) Aimador signifiant : celui qui aime ou qui a de l'amour. Autant dire que cette étymologie n'éclaire pas vraiment la cacophonie qui se joue là-bas. Et dire que la musique est censée adoucir les mœurs.