D'ici un an, la France risque de voir s'envoler 700 millions d'euros d'aides européennes censées accompagner le développement économique de nos zones rurales. Tout ça à cause de la lenteur que notre pays met à traiter les demandes des porteurs de projets. Le point sur la situation en Occitanie.
D'ici un an, la France risque de voir s'envoler près de 700 millions d'euros d'aides européennes, censées accompagner le développement économique des zones rurales. Tout ça à cause de la lenteur que notre pays met à traiter les demandes des porteurs de projet. Résultat : si l'argent n'est pas affecté, l'Europe le reprendra une fois terminé ce programme, baptisé "LEADER".
Le risque : un retard économique par rapport aux autres zones rurales d'Europe
La France est aujourd'hui avant-dernière des Etats membres à avoir dépensé son enveloppe. Un comble, quand on sait que nous avons la reçu la plus grosse dotation, et que d'autres Etats comme la Belgique ont déjà tout dépensé et demandent même une rallonge budgétaire pour financer davantage de projets. Au final, ce sont nos territoires ruraux qui pourraient en pâtir et prendre du retard dans leur développement économique par rapport aux autres zones rurales d'Europe. Pour comprendre, nous nous sommes rendus dans l'Aude et l'Hérault.
Une aide à quelques-uns mais des retombées pour tous
Dans les rues de Pouzols-Minervois (Aude), un peu plus de 500 habitants, impossible de rater la fourgonnette de Noémie Gazza. Flambant neuve, elle a été achetée grâce à l'Europe et lui a permis de développer son activité de traiteur et d'enrichir ainsi l'offre de son épicerie multi-service. Le commerce travaille avec des producteurs locaux. C'est pour ça qu'il est éligible aux aides européennes au développement rural.
Plusieurs mois, voire un an pour percevoir l'argent
Fourgon, cuisine, robot, réfrigérateur... Noémie et son associé, Athanaël Milon, ont investi près de 40.000 euros dans du matériel professionnel. Ils ont fait l'avance des fonds une fois leur dossier accepté, et attendent maintenant d'être remboursés, sur la base des justificatifs qu'ils ont envoyés. Mais les lenteurs s'accumulent : les porteurs de projets doivent attendre de nombreux mois avant de percevoir l'argent de l'Europe, ce qui met en danger l'activité de certains.
Sans nouvelle de leurs dossiers
Sur le port de Colombiers (Hérault), Arnaud de Frayssinet a rendez-vous avec l'association GAL, ou Groupe d'Actions Locales, qui l'a aidé à monter son dossier. En 2017, il s'est lancé dans une nouvelle croisière autour du vin et du terroir. Mais seule la moitié des 13.000 euros qu'il a dépensés lui a été remboursée.Pour le reste, il attend toujours et ne sait pas où en est son dossier.
Le mille-feuilles administratif français a tout compliqué
Il n'est pas le seul. Sur les 1300 dossiers reçus par le conseil régional d'Occitanie, qui doit les valider, seuls 300 ont été à ce jour programmés ou payés, alors que le programme a démarré il y a 5 ans et doit bientôt s'achever. En voici les raisons :
- Pes 2 premières années, le logiciel de traitement imposé par l'Etat n'a pas fonctionné.
- Puis il a fallu harmoniser les critères de sélection après la fusion des régions.
- Des régions qui manquent de personnel pour étudier les demandes,
- Et qui doivent gérer des problèmes administratifs avec l'Etat, chargé des paiements.
En Occitanie, la Région reconnaît que le service chargé de traiter les demandes des porteurs de projets est largement sous-doté en personnel : 15 personnes à temps plein mais des recrutements sont en cours. Par ailleurs, avant la fusion, les procédures et les critères de sélection étaient différents en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon : il a fallu passer beaucoup de temps pour les harmoniser.
Plaidoyer pour une simplification des procédures
Par ailleurs, pour valider un dossier, l'Europe exige que le porteur de projet amène un apport de 10% du montant total de l'investissement. La France a rajouté une difficulté en imposant que cet apport soit effectué via d'autres subventions publiques des collectivités, ce qui n'est pas le cas dans d'autres Etats membres. Le conseil régional d'Occitanie plaide donc pour une simplification des procédures afin de fluidifier le traitement des dossiers.
Le découragement des porteurs de projets
François Galabrun, François Galabrun du Groupe d'Actions Locales (GAL) de l'est audois et coordinateur du programme LEADER pour l'association LEADER FRANCE (qui accompagne les porteurs de projets), avoue avec amertume :
Le drame de cette programmation et de ces fonds-là, c'est qu'on se retrouve à ne financer que ceux qui peuvent avancer les fonds. Il y a des porteurs de projets à qui l'on a fortement déconseillé de s'engager dans la démarche, parce qu'on a estimé qu'ils n'étaient pas en capacité d'attendre le versement de la subvention.
En Occitanie, des mesures d'urgence
Or, si les projets manquent, en 2021 l'Europe reprendra son enveloppe. Face à l'urgence, la région a finalement décidé de réagir, en votant des mesures exceptionnelles lors de la commission permanente du 19 avril 2019. Au programme : le recrutement de contractuels et une avance de fonds à hauteur de 4 millions d'euros, comme l'explique Aurélie Maillols, Vice-présidente de la Région Occitanie chargée de la Montagne et de la Ruralité :
On va renforcer les équipes de la Région pour pouvoir gérer plus de dossiers et plus vite, et on va aussi mettre des moyens financiers puisque nous avons décidé de mettre en place un dispositif d'avances pour que les porteurs de projets les plus en difficulté bénéficient très bientôt, dans les semaines qui viennent, de fonds Région qui vont venir pallier les fonds européens et on se fera rembourser ensuite par l'Europe.
Seuls 6% des sommes payées en Occitanie
Objectif : affecter rapidement les quelque 111 millions d'euros attribués à l'Occitanie. Pour l'heure, on est loin du compte :
- seuls 38,4 millions d'euros ont été programmés, soit 34% du total,
- seuls 6% (6,24 millions d'euros) ont été payés.
Fin du programme en 2021
Pour espérer bénéficier de ces aides au développement rural, les derniers dossiers devront avoir été déposés début 2020. Voici le reportage de Valérie Cohen-Luxey et Cédric Métairon.