Le pipeline sous-marin entre Barcelone et Marseille (BarMar) que veulent construire la France, l'Espagne et le Portugal pourrait nécessiter jusqu'à sept ans de travaux selon la ministre espagnole de la Transition Ecologique. Des experts s'interrogent, eux, sur les difficultés techniques du projet et son intérêt économique.
"Nous devrons analyser s'il faudra 5, 6 ou 7 ans" de travaux avant sa mise en service", c'est la décalaration faite par Teresa Ribera, la ministre espagnole de la Transition écologique vendredi 21 octobre 2022 sur la radio Catalunya Radio. Cela prendra "logiquement plus de temps" que pour le MidCat, qui visait à relier les réseaux gaziers français et espagnol via un pipeline de 190 kilomètres, allant d'Hostalric, au nord de Barcelone, à Barbaira, à l'est de Carcassonne, en passant par les Pyrénées. La ministre espagnole l'a répété plus tard dans la journée lors d'une conférence de presse à Paris. "C'est techniquement complexe car c'est un projet sous-marin pour lequel il n'existe pas encore de tracé parfaitement identifié".
En raison des problèmes d'approvisionnement en gaz liés au conflit en Ukraine, le projet MidCat avait refait surface il y a quelques mois, porté par Madrid et Lisbonne, soutenu par Berlin. Emmanuel Macron avait clairement dit qu'il ne souhaitait pas relancer ce projet. Lancé en 2003, il avait été en effet abandonné une première fois en 2019 en raison de son impact environnemental. Son intérêt économique était également jugé limité.
"Corridor d'énergie verte"
La France, l'Espagne et le Portugal ont finalement annoncé jeudi 20 octobre 2022 à Bruxelles son abandon définitif au profit d'un pipeline sous-marin acheminant du gaz puis, à terme, de l'hydrogène vert entre Barcelone et Marseille. Un "Corridor d'énergie verte" comme l'a baptise Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol, dont le financement, le calendrier et le fonctionnement restent cependant à déterminer.
Le projet "est conçu pour l'hydrogène. Selon le moment où il sera mis en service, il est possible qu'à un moment donné, au début, il y ait encore une capacité de transport de gaz parce que ce besoin existe encore", a expliqué Teresa Ribera. "Il reste désormais le plus compliqué, c'est à dire travailler avec les équipes techniques des différents pays et des entreprises capables de concevoir un projet ayant ces caractéristiques".
Il reste désormais le plus compliqué, c'est à dire travailler avec les équipes techniques des différents pays et des entreprises capables de concevoir un projet ayant ces caractéristiques.
Teresa Ribera, ministre espagnole de la Transition Ecologique.
La ministre espagnole a indiqué que les trois pays comptaient sur des fonds européens pour financer cette infrastructure, étant donné son "caractère européen" et "l'intérêt commun" d'un tel projet, qui permettra de relier les réseaux de la péninsule ibérique à ceux de l'Europe centrale.
Des experts circonspects
Certains experts soulignent néanmoins les difficultés techniques du projet et les incertitudes sur son intérêt économique. "J'ai l'impression que c'est de l'affichage", réagit Thierry Bros, un spécialiste du gaz enseignant à Sciences-Po Paris.
Est-ce pour faire remonter de l'hydrogène produit par électrolyse avec le solaire espagnol? Mais Marseille et Barcelone disposent à peu près du même ensoleillement. Est-ce pour remonter de l'hydrogène produit en Afrique? Quant à utiliser un même terminal pour GNL et hydrogène : bonne chance !
Thierry Bros, professeur à Science Po Paris, spécialiste des questions énergétiques.
"MidCat devait être construit en 4 ans, cela prendra plus de temps: un "hydrogenoduc" sous-marin à cette profondeur, à cette distance, cela n'a jamais été fait", explique de son côté Gonzalo Escribano, expert sur l'énergie du centre d'études espagnol Real Instituto Elcano. "Et l'on ignore quand le marché de l'hydrogène prendra son essor, quand on sera en mesure d'en produire suffisamment en Espagne pour l'exporter par ce pipeline en France. On parle de très long terme!"
Rendez-vous à Alicante le 8 décembre
Le président français Emmanuel Macron, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez et le Premier ministre portugais Antonio Costa doivent se retrouver les 8 et 9 décembre à Alicante, en Espagne, en marge du sommet des pays du sud de l'UE, pour avancer sur les détails de ce projet désormais appelé "BarMar".
Cette interconnexion Barcelone-Marseille reste l'"option la plus directe et la plus efficace pour relier la péninsule ibérique à l'Europe centrale", ont assuré les dirigeants dans un communiqué commun.
Pour Emmanuel Macron, l'initiative, qui devrait bénéficier de financements européens, répond aussi bien à l'objectif de désenclaver l'Espagne et le Portugal qu'à la "stratégie climatique et énergétique" défendue par la France.
Ecrit avec AFP.