DECOUVERTE. Catalogne : un jardin extraordinaire près de Barcelone attribué à l'architecte catalan de génie, Antoni Gaudí

Les jardins de l'ancien hôpital psychiatrique Sant Joan de Déu, près de Barcelone, abritent un trésor architectural extraordinaire et jusqu'alors inconnu. Selon l'hypothèse avancée par l'architecte catalan David Agulló, les éléments architecturaux de ce jardin seraient l'œuvre d'Antoni Gaudí. Une sorte de "banc d'essai" avant de réaliser le Parc Güell. Découverte.

Discret, intimiste et mystérieux. Loin du tumulte de Barcelone et des milliers de visiteurs qui se pressent au Parc Güell, malgré des températures caniculaires, dans le Parc Sant Joan de Déu à Sant Boi de Llobregat, règne un calme olympien. Ce jardin, c'est celui de l'ancien hôpital psychiatrique de Sant Boi.

Un ancien hôpital psychiatrique

L'ensemble du complexe a un air nordique, à la fois austère et convivial. La faible hauteur des bâtiments qui le composent et l'abondance des espaces verts renforcent la sensation de confort. Au milieu de tout ce blanc, la vieille buanderie en brique, toujours en activité.

Il faut ensuite s'avancer pour être définitivement ébloui à la vue d'un jardin chinois, qui comprend une série de structures spectaculaires, autrefois remplies d'eau. Un ensemble moderniste, conservé au cœur du complexe que l'architecte David Agulló Galilea attribue à Antoni Gaudí et Josep Maria Jujol.

Josep Maria Jujol, disciple de Gaudí

Jujol fut le collaborateur de Gaudí de 1904 jusqu'à son décès en 1926. C'est à cet architecte, disciple Gaudí, que l'on doit les céramiques du Parc Güell, de la Casa Batlló. Josep Maria Jujol participera également très largement à l'édification de la Sagrada Família en y apportant tout son sens de la couleur, du modelage et sa créativité dans l'assemblage d'éléments de récupération.

"Banc d'essai" du Parc Güell

Le complexe comprend une grotte rocheuse spectaculaire et une montagne couronnée par une voûte, une autre grotte également faite de roche en forme de dragon et qui contenait une chapelle dédiée à Notre-Dame de Lourdes. Et pour profiter du spectacle une demi-douzaine de bancs décorés de mosaïques inspirent à la flânerie.

Pour la petite histoire, il paraît que les patients de l'hôpital psychiatrique auraient eux-mêmes contribué à décorer ces bancs dont chacun possède une forme et une ornementation différentes. Des couleurs en cascade et un univers qui n'est pas sans rappeler le visuel du Parc Güell.

"Le jardin a été oublié par l'historiographie. Il est resté caché pendant cent ans", explique David Agulló. Architecte lui-même, il a consacré sa thèse à ce jardin énigmatique. Un trésor enfoui qu'il attribue à Antoni Gaudí pour qui ce complexe aurait été une sorte de "banc d'essai" pour certaines des grandes œuvres du maître catalan : la Sagrada Família, la crypte de Colònia Güell et du Parc Güell.

La réalisation du jardin a eu lieu entre 1903 et 1912. Elle a été documentée dans la Revue Frenopática Española, mais selon Agulló, "délibérément" il n'y avait aucune trace de l'auteur qui a cette époque entame en parallèle les travaux du Parc Güell. Serait-ce le lieu qui inquiéta l'architecte ?

Le jardin d'un hôpital psychiatrique n'était peut-être pas une assez belle vitrine. Où au contraire est-ce tout simplement l'identité du lieu qui n'a guère permis son ouverture sur le monde.

À cette époque, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ne sont que peu considérées, des laissés-pour-compte que l'on enferme dans des asiles dans des conditions souvent peu glorieuses. Alors peut-être que ce chantier aurait été un acte social engagé de la part de Gaudí ? Difficile à dire aujourd'hui. D'autant que pendant la guerre civile, la plupart des documents ont été détruits et parmi eux les carnets de commandes où étaient enregistrées les informations sur les travaux.

Un site exceptionnel

La grotte de la cascade est si exceptionnelle que l'architecte David Agulló est formel, seul Gaudí a pu la concevoir.

Les structures de Gaudi étaient sans précédent dans l'histoire de l'architecture, personne ne les avait réalisées auparavant. La structure est composée de sept piliers qui, sur leur périmètre extérieur, sont des hyperboloïdes semi-convexes, comme des trompettes s'ouvrant vers le ciel, et à l'intérieur se trouvent des formes organiques qui marquent un demi-hyperboloïde concave, comme une demi-trompette s'ouvrant vers le bas.

David Agulló, architecte.

"J'ai parcouru toutes les rocailles de Catalogne et de France - ajoute-t-il - et je n'ai trouvé ce projet qu'ici et dans la Sagrada Família. C'est un système architectural sans précédent dans l'histoire de l'architecture. Cette structure remonte à 1906, neuf ans avant qu'il commence à y penser pour la Sagrada Família".

Quant aux bancs, ils ont une section très similaire à celle du Parc Güell et certains sièges présentent les éléments caractéristiques en forme de carapace de tortue pour ne pas être mouillés par l'eau qui passe par la gouttière entre le dossier et siège.

Et dans les mosaïques, on constate une graduation, des petits morceaux aux plus gros. Il y a aussi des tuiles trouvées dans le Parc Güell, et quelques pierres qui pourraient avoir été collées par des patients ou des enfants. "Lluís Parés, le premier constructeur du Parc Güell, était originaire de Sant Boi, tout comme ses maçons. Il existe une hypothèse selon laquelle certains patients avaient travaillé au Parc Güell, mais pour le moment ce n'est qu'une hypothèse", explique Agulló. 

Cela fait maintenant plus de vingt ans, que David Agulló a commencé à dérouler l'histoire du Jardin de Sant Boi et à établir son lien avec Gaudí. D'autres architectes renommés, comme le catalan Oriol Bohigas et le japonais Toshiaki Tange, abondent également dans ce sens.

Des travaux de restauration

La relation de David Agulló avec le Jardin de Sant Boi ne se limite pas seulement à des activités académiques. En 2012, c'est aussi lui qui a réalisé une restauration archéologique des bancs. C'est à cette époque que l'attribution à Gaudí et Jujol est devenue publique.

Elle demeure cependant toujours méconnue bien que le site soit ouvert au public depuis la fermeture de l'hôpital.

Aujourd'hui, le jardin de Sant Boi revient dans l'actualité grâce à un groupe d'architectes portés par la passion d'Agulló. Ensemble, ils ont entrepris la restauration des éléments modernistes du jardin. Des travaux qui seront répartis en huit phases et dont le coût total devrait avoisiner 2,5 millions d'euros. Des démarches devraient également être entamées pour demander le classement de ce jardin extraordinaire en tant que Bien Culturel d'Intérêt National (BCIN).