Depuis 45 ans, des barrages facilitent la pêche aux embouchures de l'étang de Leucate. Une vieille tradition néanmoins illégale et jugée néfaste pour la biodiversité. Samedi 2 décembre à Barcarès, L'ONG Sea Shepherd appelle à manifester contre cette pratique, réautorisée chaque année par la préfecture.
"Tous les ans, on nous met devant le fait accompli", souffle Bruno Hélas, coordinateur de Sea Sheperd à Montpellier. Depuis plusieurs années, L'ONG de défense des océans milite contre la mise en place des barrages de Leucate et de Barcarès, deux communes de l'Aude et des Pyrénées-Orientales.
Concédée aux pêcheurs locaux depuis les années 70, cette pratique coince les poissons aux embouchures de l'étang de Leucate chaque automne, lorsque les espèces migrent vers le large pour se reproduire.
Illégaux au regard des codes de la pêche et de la navigation, les barrages bénéficient tous les ans d'un sursis octroyé par les autorités. Pour la dernière fois en 2023, assure la préfecture des Pyrénées-orientales à France 3 Occitanie.
Première autorisation en 1977
Cette année, Sea Shepherd décide de marquer le coup. Pour la première fois depuis le début de son combat dans la zone, l'ONG appelle les citoyens à manifester samedi 2 décembre. Rendez-vous 14h, avenue de la Coudalère à Barcarès, là où un barrage est en place depuis le début du mois d'octobre.
C'est en 1977 qu'un arrêté préfectoral autorise l'installation des premiers barrages à poissons de Leucate. À l’époque, la côte d'améthyste se bétonise au détriment des pêcheurs. Les barrages sont alors concédés pour leur assurer de bonnes prises avant les fêtes de fin d'année.
L'autorisation devait durer dix ans ; elle est encore renouvelée, 45 ans plus tard. Sauf que la réglementation et les considérations environnementales, elles, ont évolué depuis les années 70. Selon la dernière version du Code rural et de la pêche maritime, "Il est interdit de former, dans les étangs et les anses des eaux intérieures et des eaux territoriales, des barrages qui occupent plus des deux tiers de la largeur mouillée du plan d'eau." C'est le cas des barrages de Leucate et Barcarès.
Les pêcheurs en difficulté financière
D'autant que l'étang est un site classé Natura 2000, reconnu pour la richesse de sa biodiversité. Or avec les barrages, c'est l'ensemble des espèces qui serait impacté. Selon Sea Shepherd, les poissons qui passent entre les mailles des filets restent empêchés de se rendre au large pour se reproduire.
Une étude de l'Ifremer (l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) de 2022 nuance cette affirmation. Selon les chercheurs, les barrages n'entravent pas totalement les migrations : le taux d'échappement des daurades et des loups en mer reste par exemple élevé.
C'est en partie sur ces résultats que les préfectures s'appuient pour prolonger l'autorisation. En 2020, les autorités annoncent une ultime installation des barrages. Rebelote en 2021, en 2022 puis en 2023. Autre raison avancée : les difficultés financières croissantes des pêcheurs, dans le contexte du Covid, puis celui de la hausse des carburants.
Braconnage aux abords des barrages
"Chaque année, ça se fait en catimini. On n'a jamais pu constater d'affichage en mairie", déplore Bruno Helas de Sea Shepherd. Généralement, ce sont des plaisanciers qui passent le message à la population. Au mois de septembre, ces derniers sont avertis de l'interdiction de circuler dans l'étang car l'installation des barrages est imminente. Une pratique contraire au principe de liberté de navigation.
Dernier argument offensif pour Sea Shepherd : les barrages encouragent le braconnage et la vente de poissons au marché noir. Selon un communiqué de l'association, "De nombreux individus se regroupent ainsi de jour comme de nuit le long des grilles" et "les braconniers utilisent des techniques de pêche illégales" : "Un spectacle scandaleux et irréel qui laisse songeur tant il est pratiqué au vu et au su de tous".
Contactée par France 3, la préfecture de l'Aude, qui a autorité sur le barrage de Leucate, n'a pas donné suite à notre proposition d'interview. Du côté du barrage de Barcarès, la préfecture des Pyrénées-orientales répond par écrit : "La fin de l'installation des barrages à poissons est actée pour 2024 avec les organisations représentatives des pêcheurs". Cette fois-ci, pour de bon ?