Dans les Pyrénées-Orientales, l'eau est une ressource qui se raréfie depuis des années. Premiers touchés : les viticulteurs, dont les récoltes s'amenuisent. Pour remédier à cela, certains expérimentent une autre ressource, le biochar. Un amendement du sol quasi miraculeux. Explication avec Jean-Marc Lafage, gérant d'un domaine catalan, pionner dans cette expérimentation.
Dans les décennies à venir, c'est une ressource qui pourrait (qui devrait ?) être un complément primordial à l'eau pour la culture. Et notamment pour les viticulteurs. Son nom : le biochar, un charbon d'origine végétal élaboré à base de biomasse, brûlé au travers d'une pyrolyse et qui n'émet pas de gaz à effet de serre. Le biochar est la contraction de "bio-charcoal".
Depuis trois ans, le domaine Lafage basé dans le Roussillon, qui s'étend sur près de 350 hectares, expérimente l'utilisation de ce biochar sur une cinquantaine d'hectares dédiée à ce genre de test. Son cogérant Jean-Marc Lafage explique son utilisation, ses résultats et ses perspectives d'avenir.
"Le biochar joue le rôle d'une éponge pour retenir l'eau"
France 3 Occitanie : Pourquoi avoir décidé d'expérimenter le biochar ?
Jean-Marc Lafage : "Depuis une dizaine d’années, notre territoire est le laboratoire du changement climatique. Depuis 2021, il tombe en moyenne entre 220 et 350 millimètres d’eau par an. On est donc dans une région semi-aride et on touche à la limite de la viticulture. On a donc établi une expérimentation sur l’irrigation de conservation".
Comment l'utilisation du biochar fonctionne-t-elle et quels sont ses bienfaits ?
"Déjà, c'est une ressource 100% naturelle. En le couplant avec du compost, il est capable de retenir une partie de l'eau déjà présente dans le sol. Il joue le rôle d'une éponge pour retenir cette eau et peut la redistribuer quand les conditions ne sont pas favorables.
C'est aussi un outil qui peut redéclencher la vie des sols avec une humidité qui lui permet de s’épanouir. Si les sols sont acides, ça va bien marcher et le développement de la faune sera meilleur.
Sur nos expérimentations, il y a des parties où l'on constate de très bons résultats. Sans biochar, on utilise 3 000 litres d'eau par hectare. Avec, c'est environ 2 000 litres. Et les rendements sont meilleurs : sur certaines parties, on a doublé nos récoltes avec le biochar. Maintenant, on essaie surtout de trouver le bon biochar qui retient le plus d’eau possible, sachant qu'il peut retenir jusqu'à 400 fois le poids de l'eau.".
"Ce n'est pas de la magie mais le biochar est vertueux"
Cette ressource peut-elle remplacer l'eau dans les prochaines années ?
"Non : sans eau, il n'y a pas de vie. Ce n'est pas de la magie. Mais on est convaincu que le biochar bien raisonné est une démarche vertueuse pour la culture viticole méditerranéenne.
Depuis 2023, on étudie les différentes qualités de cette ressource, en observant le tandem entre différents biochars et la réaction dans différents sols, et les meilleures combinaisons possibles. Il faut s'adapter à chaque situation.".
Avec le biochar, on améliore son empreinte carbone. Cela permet d'avoir un meilleur développement des couverts végétaux. Et au final, c'est mieux pour le vigneron, qui peut assurer sa quantité et sa qualité.".
1 000 € la tonne, soit 4 000 € par hectare... pour 10 ans
Dans quelles proportions et dans quelle durabilité le biochar peut-il être durable ?
"Ici, on le teste à quatre tonnes par hectare : pour un coût de 1 000 € la tonne, cela fait 4 000 € par hectare. On peut monter jusqu'à 8 tonnes par hectare mais après ça fait beaucoup. On regarde avec des doses qui semblent logiques économiquement.
L'idée est de ne plus toucher au biochar pendant 10 ans après la pose. Ce temps correspond à celle d'une fumure de fond. Normalement, s'il est posé proche des racines, il ne doit pas migrer. On a même bon espoir qu'il dure 20 ans, ce qui permettrait d'amortir davantage son coût dans la durée. Mais on n'a pas encore assez de recul pour le dire avec certitude.".
Pourquoi le biochar n'est-il pas encore développé en France ?
"Car sa production n'est pas encore suffisante. Il faut réfléchir à comment faire pour mettre en place une filière biochar à grande échelle. Il faut arriver à avoir des machines vertueuses, élaborées, pour arriver à récupérer toute cette énergie qui en découle et qui peut être réutilisée.
Ici, un acteur local gère des dizaines des milliers de tonnes. Cette économie pourrait être circulaire sans besoin de chercher du biochar à des centaines de kilomètres. Mais, encore une fois, on n'a pas encore assez de recul pour la meilleure modalité.".