Durant plus de dix ans, Lu Guang a traversé la Chine pour en dresser un portrait terrible. Au festival Visa pour l’image, le photographe aux trois World Press Photo expose sa série « Développement et pollution », consacrée aux conséquences désastreuses de l’essor de son pays. 

Pour en arriver là, rien n’a été simple. Lu Guang 56 ans a été victime de représailles, menaces et censure. Le reportage de Marc Tamon et Frédéric Savineau:

Au festival Visa pour l’image, à Perpignan, Lu Guang, le photographe aux trois World Press Photo expose sa série « Développement et pollution », consacrée aux conséquences désastreuses de l’essor de son pays.

Dylan Dusart, étudiant à l'ESJ de Montpellier, a pu rencontrer Lu Guang

Lu Guang, après votre série de photos sur des paysans du Henan contaminés par le VIH, vous revenez avec une exposition « Développement et pollution ». Est-ce du militantisme ?

Je ne me considère pas comme un militant mais plutôt un volontaire, un travailleur pour la cause de l’écologie. Mon but n’est pas de provoquer ou de critiquer quoique ce soit. Je veux surtout attirer l’attention des autorités sur la gravité de l’état de la pollution dans cet endroit-là. Je suis très content de participer et contribuer à ça, ici, au festival Visa pour l’image.

Quand avez-vous décidé de lancer ce projet sur la pollution industrielle ?

Au début des années 2000, déjà, j’allais enquêter dans la cité de Wuhai, en Mongolie intérieure, pour informer sur les exploitations de mines de charbon. J’avais déjà visité cette ville dans les années 1990. Dix ans après, j’ai découvert qu’elle s’était peuplée de milliers d’usines. Tout autour de Wuhai, il y a des gisements de charbon. Leur exploitation sert à alimenter en énergie et électricité toutes ces industries qui produisent des produits chimiques, plastiques… Lorsque j’ai découvert la gravité de la situation, j’ai décidé de focaliser ma mission sur cette localité.



Mais vos photographies vont bien plus loin que les simples environs de Wuhai, finalement.
Après un an de reportage dans les environs de Wuhai, je me suis rendu compte que ce n’était pas simplement limité à cette localité. C’est toute la Chine qui est atteinte par une épidémie de pollution. A partir de là, j’ai parcouru les sept plus grands cours d’eau de Chine et j’ai observé la pollution des eaux. Elle est très différente selon les régions, car les industries ne sont pas les mêmes. Sur le fleuve Yangzi Jiang, c’est principalement l’industrie chimique et ça va jusqu’à la zone côtière. Dans la province de Guangdong, au sud de la Chine, c’est plutôt une très grosse production de textile, avec la pollution des jeans par exemple. La teinture et les produits qui servent à la coloration sont déversées dans l’eau…

Quelles sont les pires choses que vous avez vues ? Vous parlez beaucoup des « villages cancer ».

Il y a des villages où 50 habitants sur 2000 étaient atteints par le cancer (il nous montre une image de ces 50 habitants, en rang, qui posent comme pour une photo de classe, ndlr). Je suis retourné là-bas après. Ils étaient tous morts. Après la publication de ces photos, les autorités locales leur ont alloué 30 000 euros de dommages multiples et ont creusé un puits encore plus profond pour avoir un peu d’eau propre… Mon travail est de continuer inlassablement à photographier et retourner dans les endroits pour mesurer les progrès et voir s’il y a des changements.



Comment avez-vous réussi à obtenir autant d’informations sur place ?

Je ne peux pas réaliser ça seul. J’ai besoin du soutien des habitants locaux, pour savoir où la pollution existe et pourquoi. Par exemple, je fais un reportage le long des zones côtières, je vais acheter une boisson dans une petite boutique, je demande comment ça va ici, s’il y a un peu de pollution. C’est comme ça que ça commence. Je me lie d’amitié avec les locaux. Ces commerçants m’amènent voir des endroits où les industries enterrent les évacuations des eaux usées sous le sol, qui vont finalement jusque dans la mer. Quand certaines personnes ont découvert que je faisais un reportage, elles sont venues me frapper pour prendre mon appareil. Je leur ai dit : « Frappez-moi, mais jamais je ne laisserai mon appareil photo ». J’ai plein d’histoires comme ça. C’est comme dans les films finalement, je prends mes jambes à mon cou et on me court après (sourires).

Vous avez souvent fait l’objet de menaces. Est-ce que cela ne vous a pas donné envie de tout arrêter ?

Pendant toutes ces années, je photographie, je publie, je médiatise l’affaire. J’ai souvent été arrêté et frappé. Ce sont eux qui ont peur de moi. Je n’ai pas peur des menaces et des attaques des grands groupes industriels. Je suis du côté des justes. Ce sont eux les fraudeurs. Ces industries veulent que j’évite de révéler certaines choses mais c’est ma mission, ma foi. Je persévère.

Avez-vous été confronté à la censure ?

Les photos que je publie sur Internet sont très vite supprimées. Il y a une vraie censure. Elle est de pire en pire au fil des années. Le web est très contrôlé. Des « surveillants » pensent que ce genre d’images ne sont pas dans l’intérêt de l’Etat.

Votre travail a-t-il un impact direct sur l’évolution des mentalités en Chine ?

Forcément, mes reportages ont attiré l’attention des autorités centrales. Elles ont demandé aux autorités locales de résoudre les problèmes. Surtout après le 18e congrès du Parti communiste chinois (en 2012, ndlr).La décision était très claire : frapper un grand coup sur les problèmes de pollution. En 2017, une « tempête » de protection de l’environnement a même débuté avec des arrestations, des contrôles, des vérifications sur le terrain, des inspections… Avant, le gouvernement protégeait ces industries, il y avait très peu d’amendes contre les fraudeurs, ou elles étaient risibles. Dans la première moitié de cette année, il y a eu 1 170 arrestations grâce à une patrouille du ministère. Plus de 11 000 dirigeants locaux ont été convoqués à des entretiens. Depuis le 25 août, une nouvelle tournée d’inspecteurs du ministère de l’environnement a débuté. J’ai bon espoir que la situation s’améliore.

Lien vers le blog de l'ESJ Montpellier à Visa pour l'image 

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