La contôleuse des lieux de privations de liberté est sortie choquée de sa visite du centre pénitentiaire de Perpignan. Moisissures, sols arrachés, punaises... Un état de délabrement et de saleté qui est "un enfer pour les surveillants comme pour les détenus". Et une surpopulation qui engendre de la peur, de la violence et des brutalités. Entretien.
Dominique Simonnot, journaliste spécialiste des affaires judiciaires, a été nommée contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) en octobre 2020. Avec ses équipes, elle a visité le centre pénitentiaire de Perpignan. Ce qu'elle a constaté l'a choquée. La surpopulation carcérale atteint des records aujourd'hui en France.
Pouvez-vous nous décrire ce que vous avez vu dans la prison de Perpignan ?
Très concrètement, quand on entre dans une cellule, on voit des murs moisis, des sols arrachés, du lino en lambeaux et trois détenus qui disposent de 0,80 m2 chacun, on l'a calculé. Les toilettes n'ont pas de porte, alors les détenus ont tendu une sorte de drap devant. Des fils électriques dénudés sortent des murs. Et il y a des nids de punaises absolument partout, avec des traces de brûlures : pour s'en débarrasser, les détenus tentent de les brûler avec de l'eau bouillante ou avec un briquet. Les détenus me disaient : " Madame, entrez mais ne vous asseyez surtout pas, vous allez attraper des punaises". Et ils me montraient sur leurs corps les marques de piqûres. Pour moi, en métropole, c’est la pire prison que j’ai vue, sans parler des goélands et des bandes de chats errants qui se nourrissent des détritus. Il y a une odeur pestilentielle. C'est une vision apocalyptique.
Avec 403 détenus pour 196 places, le centre pénitentiaire de Perpignan n'est pourtant pas le plus surpeuplé de France...
La surpopulation carcérale atteint en France des taux records [la prison de Nîmes est le pire taux d'occupation du pays avec une densité carcérale de 226%, contre 205% pour Perpignan- NDLR]. Vous m'avez demandé ce que j'ai vu à Perpignan, mais je peux aussi vous dire ce que je n'ai pas vu : des surveillants ! Il n'y en a pas assez. À Perpignan, cela crée des zones sans surveillance. Les détenus ont peur et préfèrent se priver de promenade ou de toute sortie de leurs cellules.
Les syndicats pénitentiaires ont alerté sur cette situation
Je n'accuse pas les surveillants. Ils travaillent en enfer. Ils vous le disent : quand ils rentrent chez eux, ils se déshabillent sur le pas de la porte et mettent leurs vêtements dans un sac-poubelle au moins 48 heures au congélateur avant de s'en resservir ! ! Ces conditions insupportables créent des tensions et engendrent des violences, entre les détenus, des surveillants sur les détenus et des détenus sur les surveillants. Dans le quartier disciplinaire, on a noté des comportements déplacés et des brutalités. Des fouilles non réglementaires aussi.
Dans les enquêtes d'opinion, on se rend compte qu'améliorer la situation des détenus n'est pas du tout une priorité pour les Français.
Je comprends qu’on se dise "c'est bien fait pour eux !" Mais soyons simplement cyniques : qu’est ce qui est le mieux pour la société ? Que les personnes condamnées ressortent pires que quand elles sont entrées en prison ? Est-ce que quelqu'un pense honnêtement que la bonne façon de faire avec des gens qui ont commis des infractions, c'est de les envoyer dans un lieu qui ne respecte pas la loi, qui nous coûte très cher et qui va nous coûter encore plus cher par la suite parce que la réinsertion dans la société n'est pas préparée en prison ? Ce qui est le mieux pour la société, c'est que les détenus sortent en meilleur état que quand ils ont été condamnés. La prison, pour être efficace, doit marcher sur deux jambes : la réinsertion d’un côté, la punition de l’autre. Or la réinsertion, c'est zéro : la prison est un temps mort. Pourquoi on n’y apprend rien ? Pas même à lire, à écrire ou à passer le permis de conduire ?
Que va-t-il se passer à la prison de Perpignan maintenant ?
Le ministre de la Justice m’a répondu qu'une grande opération de désinfection avait eu lieu mais tout le monde sait combien c’est dur de s’en débarrasser, ça vit partout dans les murs ou les tuyauteries. On retournera à Perpignan pour voir ce qu'il en est. Mais, même s'il y a des efforts entrepris sur la salubrité, la vraie question reste la surpopulation carcérale, qui ne cesse d'augmenter. Alors on déplace les détenus d'une prison à l'autre, en fonction des places, sans s'attaquer au fond du problème ? Et la France est régulièrement condamnée pour son manquement au respect des droits humains fondamentaux.