Une agence gouvernementale libyenne a fait valoir ses droits devant le tribunal d'instance de Perpignan sur l'ancien avion personnel du dictateur libyen Mouammar Kadhafi stationné à proximité, qu'un créancier koweïtien souhaite vendre aux enchères. Le tribunal rendra sa décision le 23 novembre.
De longues plaidoiries se sont tenues lundi après-midi, à quelques kilomètres de l'aéroport de Perpignan où l'Airbus A340 de l'ancien leader libyen a été transféré en 2012, juste après la chute du régime. L'appareil luxueusement aménagé avait fait l'objet d'un contrat de réparation et de maintenance signé entre le gouvernement libyen de transition et Air France, qui en a confié l'exécution à l'un de ses sous-traitants, la société EAS.
Un avion convoité
Mais l'avion, qui fut alors érigé en symbole de l'outrance du dictateur par les rebelles, est aujourd'hui âprement disputé. L'un des plus gros conglomérats du Moyen-Orient, la société Al-Kharafi, s'en est saisi et compte le vendre aux enchères, pour une mise à prix de 60 millions d'euros.
Reportage à Perpignan.
Un contrat avec le régime de Kadhafi
En 2006, le groupe avait en effet signé un contrat avec le régime de Kadhafi pour la construction d'une station balnéaire aux bords de la Méditerranée, qu'elle devait exploiter pendant 90 ans, a rappelé lundi lors de l'audience Me Rémi Bérousse, avocat de la société.
Mais en 2010, le régime a unilatéralement résilié la concession. Al-Kharafi a alors utilisé une clause du contrat pour saisir, par l'intermédiaire de la Ligue Arabe, un tribunal arbitral du Caire, qui a tranché en son sens en 2013 en lui accordant une créance de 935 millions d'euros, additionnée de 4% d'intérêts à compter du prononcé.
Fort de cette sentence, le groupe koweïtien s'est saisi de l'avion en juin 2015.
Droit souverain de la Libye sur l'avion ?
Mais l'Executive Authority for Special Flights (EASF) - qui dépend du gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale - a demandé la nullité de cette saisie lors d'une audience le 8 octobre.
Lundi, l'avocate de cette agence gouvernementale, Me Carole Sportes, a basé son argumentaire sur l'"immunité d'exécution" de l'Etat libyen, c'est-à-dire son droit souverain sur cet avion, qui est selon elle utilisé pour le "service public de l'Etat".
L'aéronef est exclusivement utilisé pour des fonctions de représentation du gouvernement de Libye", a-t-elle plaidé, citant un déplacement de l'ancien Premier ministre Ali Zeidan aux Nations unies, ainsi que de "multiples voyages" de l'actuel chef du gouvernement, Abdallah el-Theni.
Me Sportes a aussi soulevé que le procès-verbal de saisie n'avait pas été rédigé correctement.
Facture d'entretien de 3 millions
Pour la partie adverse, Me Berousse a répliqué que l'EASF n'était pas habilitée à représenter la Libye, et soutenu que l'Etat libyen avait renoncé implicitement à son "immunité d'exécution" en acceptant le recours à un jugement arbitral en 2013.
La société Air France est aussi représentée dans ce procès. Le compagnie aérienne française s'oppose à la saisie en faisant valoir un droit de rétention de l'appareil : le groupe n'a jamais été payé pour les réparations et la maintenance effectuées sur l'avion, et la facture s'élève à un peu moins de 3 millions d'euros.
2 gouvernements s'opposent en Libye
En octobre 2011, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion lancée en février, avait proclamé la "libération" du pays trois jours après la mort de Kadhafi.
Aujourd'hui, deux gouvernements rivaux s'opposent en Libye : l'un, dominé par la coalition de milices - pour partie islamistes - Fajr Libya, siège à Tripoli, et l'autre, qui est reconnu par la communauté internationale, est basé dans l'est.