Les données de l'Insee permettent de retracer les patronymes attribués à la naissance, décennie par décennie. Dans les Pyrénées-Orientales, se pencher sur cette liste permet d'entrevoir "l'histoire des populations".
En France, les Martin, Bernard et Thomas trônent en tête des noms de famille les plus souvent entendus. Dans les Pyrénées-Orientales, les voilà dépassés par Vidal, Garcia et Martinez. Patronymes aux origines catalanes, espagnoles, occitanes jalonnent la liste des noms les plus attribués dans le département pendant plus de 100 ans. Les données des registres d'états civils, publics, permettent en effet de déterminer le classement des noms les plus courants, département par département.
Comment est établi ce classement?
Nous nous sommes servis de la base de données établie par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), consultable en ligne. Elle couvre la période allant de 1891 à 2000, à l’exception des personnes nées avant 1946 et qui sont décédées avant 1972.
Ces chiffres ne comprennent, pour chaque département, que les noms qui ont été donnés au moins trente fois durant ce laps de temps. Chaque entrée correspond à une naissance inscrite au répertoire ou dans les registres d’état civil: aucune occurrence pendant une décennie ne signifie donc pas que personne ne vivait dans le département avec ce nom durant cette période, mais que personne n’est né à ce moment-là sous ce patronyme.
Quels sont les noms les plus courants dans le département ?
La tête de liste se distingue tout de suite des tendances nationales. En premier viennent les Vidal (2072 naissances enregistrées entre 1891 et 2000), suivis par les Garcia et les Martinez (respectement 1848 et 2830 occurences. Le top 5 est ensuite complété par les Marty et les Sanchez. Il faut attendre la 17e position pour trouver l'un des patronymes parmi les plus populaires en France : ce sont les Durand, au nombre 743 dans le département, 99 614 sur l'ensemble du pays.
Nombre d'entrées sont typiques du Sud-Ouest de la France, de familles catalanes ou portent les traces d'une immigration espagnole. L'origine de ces noms répond à des règles communes : il peut s'agir de formes dérivées d'un prénom (Vidal, Marty), d'une fonction (Pagès désignerait un propriétaire terrien, Batlle un représentant du seigneur) ou d'un lieu (la colline des Puig, le verger des Vergès...).
Certains noms sont présents sous plusieurs variantes, comme les Coste, Costes, Costa. Cette variété s'explique par la maléabilité de leur orthographe jusqu'à une période récente. "Les gens prononçaient les noms en catalan, souligne René Blanc, président de l'Association catalane de généalogie. Le scribe pouvait transcrire de manière phonétique. [...] L'orthographe n'était pas aussi fixée qu'aujourd'hui. C'est vrai pour l'origine des noms de lieux aussi."
Ce classement évolue-t-il ?
Si on considère les naissances sur une période plus récente, de quarante ou même seulement vingt ans, on s'aperçoit que certains patronymes connaissent un développement important. L'évolution la plus flagrante est la montée des noms hispanophones. Entre 1961 et 2000, ils prennent les sept premières places du classement. Ce chiffre passe à neuf si on commence en 1981.
A l'inverse, en fond de tableau, des noms n'enregistrent plus aucune naissance. "Au fil du temps, il y a un phénomène de disparition des patronymes, explique René Blanc. Maintenant, ils sont fixés. Il ne s'en crée plus et il s'en détruit." Ainsi des Saris, que la base de données de son association localise dans les siècles précédents autour de Céret ou Amélie-les-Bains, ou des Mayneris, présents dès le XVIe sècle dans le Vallespir.
Qu'est-ce que ça dit de l'histoire du département ?
S'intéresser aux patronymes, "c'est expliquer l'histoire des populations", insiste Joan Peytavi, professeur à l'université de Perpignan (UPVD). Dans les Pyrénées-Orientales, ils seraient le reflet des migrations depuis l'Espagne. "Contrairement à ce qu’on n’a pu dire, le département n’était pas qu’une voie de passage", ajoute-t-il.
Au fil des décennies, les Pyrénées ont ainsi été traversées par des Catalans du sud, des Espagnols, souvent Andalous, des Portugais... Les chiffres de l'Insee sont donnés par décennies. Malgré ce manque de précision, on peut s'apercevoir que la présence croissante des noms espagnols correspond à des périodes bien identifiables.
Un premier pic est à cheval entre les années 1910 et 1920. Christian Lagarde, professeur honoraire à l'UPVD, y voit les répercussions de la Première Guerre mondiale : "Dans tous les départements méridionaux, il y a un appel en main-d’œuvre. Il y a déjà une tradition d’immigration temporaire pour la vigne. […] Quand la guerre de 14 mobilise sur le front, on fait appel."
L'accroissement se poursuit dans les années 30, marquées d'abord par le contre-coup de la crise de 1929. Puis à l'immigration économique s'ajoute l'exil lié à la guerre civile espagnole. Lors de la Retirada, environ 450.000 personnes passent ainsi la frontière jusqu'à sa fermeture qui ne prendra fin qu'en 1948.
Mais "après la guerre civile, l’Espagne est totalement ruinée, rappelle Christian Lagarde. […] Ce sont des années de misère noire." Les noms espagnols connaissent ainsi un reccord de naissance dans les années 1960. "Le pouvoir franquiste organise une émigration. L’Institut espagnol d’émigration traite avec les gouvernements de plusieurs pays européens." Frappés de plein fouet par la crise pétrolière, ces pays, dont la France, auront tendance à freiner ce flux dans la décennie suivante.
Et qu’est-ce que ça ne dit pas ?
L'analyse de ce classement a plusieurs limites. L'une des plus importantes, c'est qu'il rend invisible l'immigration, importante, des Catalans du Sud dans le département, dont les noms se confondent avec les patronymes locaux. "Dans les années 10-20, lors de la crise des années 30 et à l’exil républicain, on a une dominante d’émigration catalane", rappelle Christian Lagarde.
Les pieds noirs sont un second angle mort. L'Algérie française comportait, dans la région oranaise notamment, une importante communauté orginaire des provinces d'Alicante ou d'Almería. "Ceux qui avaient pris la nationalité française sont venus en France. Ceux gens-là ont des noms espagnols."
Dernière précaution à prendre : gare à l'effet de loupe. L'augmentation des naissances dans les noms hispaniques n'est pas que le fait des migrations. « En Espagnol, les 30 noms de famille les plus portés prennent 70% de la population, explique Joan Peytavi. C’est un corpus très réduit. Il y a une variété plus importante en France." Au fil des ans et des naissances, ils prennent donc naturellement une place de plus en plus importante.
► Pour savoir combien de personnes sont nées avec votre nom de famille dans les Pyrénées-Orientales, vous pouvez vous reporter au tableau ci-dessous. Entrez le patronyme dans la barre de recherche à gauche. Chaque colonne correspond à une décennie. Les trois dernières donnent le total de naissances entre les années 1961 et 2000, 1981 et 2000 ou sur l’ensemble de la période considérée.