En 2025, Cedric Jubillar sera renvoyé devant la cour d'assises du Tarn pour homicide volontaire sur son épouse Delphine disparue en décembre 2020 de son domicile à Cagnac-les-mines dans le Tarn. Quatre ans que leurs deux enfants Louis et Elyah attendent des réponses. 4 ans qu'ils vivent avec cette souffrance. Rencontre avec leur avocat, Maitre Laurent Boguet.
Cédric Jubillar sera bien renvoyé devant la Cour d'assises du Tarn en 2025 pour homicide volontaire sur son épouse. La Cour d'appel de Toulouse a rendu sa décision le 26 septembre dernier. L'infirmière de 33 ans avait disparu de son domicile dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 à Cagnac-les-mines dans le Tarn.
Son mari est très vite devenu le principal suspect. Il est en prison depuis 3 ans à Seysses. Maître Laurent Boguet est l'avocat des deux enfants du couple, Elyah et Louis âgés aujourd'hui de 5 et 9 ans. À quelques mois de ce procès hors norme, nos deux journalistes, Aziza Poittevin et Pierre-Jean Vergnes ont rencontré l'avocat toulousain.
France 3 Occitanie : La difficulté de l'affaire Jubillar, c'est la présence de deux enfants au cœur de ce drame. C'est vous qui portez leur voix.
Maître Laurent Boguet : J'avais pu employer le terme effectivement de tragédie racinienne, c’est-à-dire que vous avez deux enfants dont la vie a complètement basculé dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Ils étaient respectivement âgés de six et 18 mois. Et le temps du procès arrive. Mais effectivement, depuis cette date, c'est le centre de toutes les préoccupations des gens qui essaient de protéger ces deux petits enfants.
France 3 Occitanie : Comment cette affaire se distingue-t-elle par sa complexité émotionnelle, entre la quête pour découvrir le sort de Delphine et l'attente silencieuse de deux jeunes enfants, dont le monde et la perspective sont façonnés par cette absence ?
Maître Laurent Boguet : Absolument. C’est-à-dire que la difficulté à laquelle on est confronté, c'est qu’eux ont déjà dû subir l'absence, la souffrance d'une séparation brutale d'avec une mère aimante. Donc, voilà quatre ans que les choses se sont inscrites ainsi et ils attendent ce procès avec l'impatience effectivement des adultes, mais parce qu'ils ont tout simplement besoin de réponses pour pouvoir continuer à se construire. La première d'entre elles, et la plus évidente, est-ce que je dois regarder mon père comme étant le bourreau de ma mère disparue ? C'est tout bête, mais c'est ainsi qu'effectivement les choses ont vocation à se construire. Et à supposer même que le père soit reconnu coupable du drame dans lequel dans lequel ils sont immergés, il faudra composer avec cette paternité et apprendre à vivre avec ce père.
France 3 Occitanie : Comment les autorités et les proches gèrent-ils la délicate mission de protéger ces enfants ?
Maître Laurent Boguet : C'est un état d'esprit. Moi j'adhère effectivement à l'idée selon laquelle un enfant, par définition, mérite toute notre attention et toute notre protection. La difficulté dans ce dossier, c'est qu'il était plus facile sans doute de protéger Elyah compte tenu de son jeune âge, au moment de la survenance du drame, plutôt que Louis qui était déjà plus mature bien que jeune, mais qui était de surcroît avec cette double qualité d'être à la fois la victime directe de ce qui a pu se produire, mais surtout le dernier témoin à avoir vu sa maman vivante. Donc le problème de Louis, c'est qu'il a fallu le protéger à la fois dans sa qualité de victime qui doit se construire dans l'absence de ses parents, mais surtout dans le cadre de quelqu'un dont la parole, la voix a été sollicitée au niveau de l'institution judiciaire, ce qui est très rare dans la tranche d'âge de Louis. C'est même quelque chose que je n'avais jamais rencontré à titre personnel et il a bien fallu effectivement s'organiser.
France 3 Occitanie : Est-ce difficile ?
Maître Laurent Boguet : C'est très difficile parce que vous êtes toujours saisi par le côté très adulte des interrogations de la justice. Et l'enfant qui est face à vous, à qui on demande de s'adapter à un univers qui lui est complètement étranger et dont chaque attitude, chaque mot est scruté attentivement. Or, je revendique, moi, pour mon client, mon jeune client, le droit, je dirais, à la distraction, le droit, en dépit du côté extrêmement important de ce qu'il a à nous livrer. Il a le droit de se tromper et il a le droit de dire les choses à sa manière. Et c'est au monde adulte de faire l'effort effectivement, de s'adapter à la fois à sa parole et à sa posture.
France 3 Occitanie : Comment vont les enfants ?
Maître Laurent Boguet : Ils vont. Je vais vous faire une réponse de Normand. Je m'autorise cette expression. Ils vont comme ils peuvent. Alors, ils ont la chance d'être très, très entourés. Je dirais la famille qui est donc le prolongement de la famille que proposait effectivement la maman, n’est-ce pas, puisque c'est de ce côté qu'ils ont été hébergés et qu'ils sont considérés, je dirais, presque familialement, par les personnes qui chaque jour leur apportent effectivement de l'attention et de l'amour. Le problème, c'est que par définition, Delphine n'est plus là. On peut considérer qu'elle ne reviendra pas pour apporter de l'affection à ses enfants. Et quand je dirais à la posture des enfants et du père, les choses sont un peu évanescentes. Cédric Jubillar, n'ayant jamais été porté sur une communication effrénée à l'égard de ses enfants. Ça sera débattu dans le cadre d'ailleurs du procès, parce que je crois que ce qui est important, c'est de savoir effectivement quel mari il pouvait être et quel père il avait été.
France 3 Occitanie : Parce qu'en fait, entre ce qu'il dit et ce qu'on peut comprendre, on est loin de la vérité. Peut-être que la manière dont il parle de Delphine, de ses enfants et un père soi-disant humain. Ce n'est pas la certitude que ça le soit ?
Maître Laurent Boguet : Cédric Jubillar semble avoir une perception de la réalité quelque peu déformée. Cette enquête, il faut le souligner, représente près de quatre ans d'instruction et plus de 15 000 actes de procédure. Les services d'enquête ont accompli un travail minutieux et approfondi. On constate fréquemment un décalage entre les déclarations de principe de Cédric Jubillar et les faits établis par l'enquête, basés sur des témoignages, des vérifications objectives et parfois même des analyses scientifiques. Son auto-proclamation comme bon mari, travailleur honnête et père aimant et bienveillant envers ses enfants fera très probablement l'objet d'un examen critique rigoureux lors du procès.
France 3 Occitanie : Est-ce que, comme dans malheureusement beaucoup d'histoires de ce genre, Cédric Jubillar est un homme blessé qui craignait de tout perdre ?
Maître Laurent Boguet : Cédric Jubillar a eu un parcours de vie difficile, marqué par une enfance loin d'être idéale. Cela a probablement affecté sa perception de la réalité. Les experts psychologiques et psychiatriques qui l'ont examiné soulignent qu'il souffre d'un syndrome d'abandon, résultant de ses expériences précoces. Si sa culpabilité était établie, l'un des facteurs psychologiques ayant pu le pousser à commettre l'irréparable envers sa femme pourrait être résumé par "plutôt mort que sans moi". Il semble qu'il ne pouvait envisager la vie sans Delphine, non pas uniquement par amour, mais par un mélange complexe de sentiments, incluant une forte possessivité. Il considérait peut-être sa femme comme sa propriété, refusant l'idée qu'elle puisse appartenir à quelqu'un d'autre. Des considérations plus pragmatiques, comme les conséquences financières d'une séparation, ont pu également jouer un rôle. Ces éléments seront cruciaux pour la cour d'assises afin de comprendre les nuances de ce procès particulier. L'annonce d'une rupture peut être vécue de manière traumatisante par certains individus. Idéalement, chacun devrait pouvoir choisir librement son chemin lorsque les destins se séparent, mais malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. Les statistiques alarmantes des féminicides en France en sont un témoignage douloureux.
France 3 Occitanie : Ce dossier est hors norme. Il est compliqué. Il n'y a pas de scène de crime. Il n'y a pas de corps et pas d'aveux. Voyez-vous arriver ce procès comme un soulagement ?
Maître Boguet : Non, je ne le vois pas comme un soulagement. En réalité, deux quêtes se sont déroulées en parallèle. D'une part, j'aurais sincèrement préféré pouvoir annoncer aux enfants que, grâce au travail acharné des services d'enquête et des juges d'instruction, nous avions pu établir des charges suffisantes pour renvoyer quelqu'un d'autre que leur père devant la cour d'assises. Malheureusement, les preuves recueillies désignent leur père comme devant répondre des charges retenues contre lui. C'est la première réalité à laquelle nous sommes confrontés. Parallèlement, il a fallu soutenir ces enfants tout au long de l'enquête. Les services d'enquête, les magistrats instructeurs et le parquet ont été obsédés non seulement par la recherche de preuves pour incriminer un suspect, mais aussi et surtout par le désir de retrouver le corps de Delphine, pour permettre à ses enfants de faire leur deuil. J'ai personnellement encouragé ces efforts. La particularité de ce dossier réside dans cette double quête, qui va au-delà des attentes habituelles de la justice. L'ampleur des moyens déployés pour retrouver la dépouille de Delphine Jubillar témoigne de deux choses : d'abord, de l'attention portée aux besoins émotionnels des enfants, et ensuite, de la difficulté inhérente à ce type d'affaire où le corps a été volontairement dissimulé. Mon expérience professionnelle m'a montré que lorsqu'un auteur refuse de parler et s'enferme dans le silence, il devient parfois impossible non seulement de reconstituer précisément les événements, mais aussi de retrouver le corps disparu. C'est ce qui rend ce dossier particulièrement complexe et douloureux pour toutes les parties impliquées.