Alors que la France attend toujours la nomination du futur premier ministre, plusieurs noms circulent dans les médias, Xavier Bertrand, Thierry Beaudet ou encore Bernard Cazeneuve. L'ancien ministre de l'Intérieur de François Hollande a laissé de mauvais souvenirs en Occitanie. Il était aux commandes, au moment de la mort de Rémi Fraisse. Entretien avec l'avocate de la famille.
Les discussions sur la nomination du futur premier ministre se poursuivent. Emmanuel Macron a toujours plusieurs noms en tête. Et si Xavier Bertrand semble désormais avoir les faveurs du Président, le chef de l'État n'écarte pas Bernard Cazeneuve. Ce mardi matin, il a pris la température auprès des partis politiques pour tenter d'obtenir une majorité relative, qui ne censurerait pas son candidat. À Toulouse, une femme suit la situation avec détachement. Car pour elle, aucun de ces hommes politiques n’est à la hauteur de la tâche.
Claire Dujardin, ancienne candidate LFI dans la 1ʳᵉ circonscription de la Haute-Garonne en 2017 est aussi l'avocate de la famille de Rémi Fraisse, ce jeune militant écologiste, tué le 26 octobre 2014, par l'explosion d'une grenade offensive, lors d'affrontements en marge de la mobilisation contre le projet de barrage de Sivens dans le Tarn.
Cette femme de gauche a toujours pointé du doigt la responsabilité de l'État dans la mort de Rémi Fraisse et donc celle du ministre de l'Intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve, pourtant socialiste. Il avait d'ailleurs exprimé des regrets sur France Info quelques années plus tard : "Pour un ministre de l'Intérieur qui a vu monter les tensions, qui a donné des instructions pour qu'on n'arrive pas à cette tragédie qu'il a sentie venir et qu'il n'a pas réussi à l'éviter, oui, c'est un échec", avait-il affirmé.
France 3 Occitanie : Claire Dujardin, comment verriez-vous la nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon ?
Claire Dujardin : Une telle nomination serait une sorte de bras d'honneur fait à la famille de Rémi Fraisse et totalement indigne, par rapport à l'histoire et la douleur que ressentent encore ses proches aujourd'hui. Bernard Cazeneuve était ministre de l'Intérieur au moment des événements de Sivens et de la mort de Rémi. L'ordre de tirer cette grenade, celle qui l'a tué, avait été donné en haut lieu. Donc lui en tant que ministre de l'Intérieur. Il est donc responsable civilement de sa mort. D'ailleurs le tribunal avait reconnu la responsabilité de l'État dans cette affaire.
Alors que nous allons bientôt rendre hommage à #RémiFraisse tué il y a 10 ans par une grenade lancée sur ordre des autorités civiles et de #Cazeneuve, le nommer à Matignon est un énorme bras d'honneur à la famille et aux proches, et d'une indignité insupportable. pic.twitter.com/mcvxWTka7Y
— Claire Dujardin (@DujardinClaire) September 1, 2024
Bernard Cazeneuve a beau éprouver des regrets, il n'a jamais adressé des excuses à la famille. L'État a toujours maintenu sa position, qui consistait à dire, que c'était un accident et que Rémi Fraisse n'avait pas à être là, au moment des événements tragiques. D'ailleurs nous sommes toujours dans l'attente d'une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. Nous avons déposé une requête contre l'État français il y a deux ans, et sa réponse pourrait tomber dans les semaines qui viennent.
France 3 Occitanie : Avez-vous le sentiment que des choses ont changé depuis ces événements ?
Claire Dujardin : Il n'y a clairement pas eu de remise en cause de l'État. On n'a pas tiré les leçons de ce drame. Alors c'est vrai que les grenades offensives ont été immédiatement suspendues, puis retirées et interdites. Mais elles ont été remplacées par d'autres, qui sont tout aussi dangereuses et qui peuvent encore tuer quelqu'un. On l'a vu à Sainte-Soline ou plus récemment dans les manifestations autour du projet de l'A69. Il y a des blessés graves et ça ne tient qu'à un fil.
Ni oubli,
— Wcrt L (@L_Wcrdt) September 1, 2024
Ni pardon.
Cazeneuve à Matignon, c'est toujours non ! pic.twitter.com/CgrtvexwE6
Ici, en Occitanie, beaucoup de militants écologistes gardent en mémoire la mort de Rémi Fraisse. Ils ont vécu cela comme un acte symbolique de la violence de l'État et ils en veulent encore beaucoup au pouvoir, en place à l'époque. Et ce signal violent a persisté vis-à-vis des militants écologistes. Regardez ce qui se passe avec ceux, qui s'opposent à l'abattage des arbres, sur le tracé de la future autoroute A69 entre Castres et Toulouse.
France 3 Occitanie : Au-delà de ces événements, pourquoi vous, la femme de gauche, verriez-vous d'un mauvais œil la nomination d'un ancien socialiste à Matignon ?
Claire Dujardin : Bernard Cazeneuve représente la mandature de François Hollande entre 2012 et 2017. Il a été ministre de l'Intérieur puis premier ministre. Il représente l'échec de la gauche pendant cette mandature, qui a été marquée par de nombreuses mesures de répression et antisociales. On se souvient de la loi El Komri, la gestion des manifestations ou encore de la loi, qui a accordé la légitime défense aux policiers. Sans parler du projet de loi sur la déchéance de nationalité. Quant à l'état d'urgence mis en place au moment des attentats, il devait rester une mesure d'exception, mais on voit bien aujourd'hui que tout cela est devenu permanent au fil des années.
Puisqu’on continue de parler de #Cazeneuve à #Matignon, je me permets de partager cette #illustration que j’avais réalisé pour le Media Reporterre, et qui présente la chaîne de responsabilité dans le décès de
Bernard Cazeneuve, il représente l'échec de cette mandature dite "de gauche". D'ailleurs, il a fallu beaucoup de temps à la gauche pour s'en remettre. Il a fallu ramasser les morceaux et reconstruire une union de la gauche. Et maintenant, c'est fait. Donc, je ne veux pas d'un Bernard Cazeneuve à Matignon.
Je soupçonne d'ailleurs Emmanuel Macron d'avoir pensé à lui avec cette idée en tête : casser l'union de la gauche, qui est arrivée en tête au second tour des élections législatives en juillet dernier.