C'est la dernière trouvaille de l'écrivain et historien, Simon Louvet. Après plus de deux ans de recherches sur les traces de son arrière-grand-père, maquisard à Vabre dans le Tarn, il a découvert l'existence d'une chanson propre à ce groupe de la Résistance.
Isidore Adato, intendant trésorier au service du maquis, tenait un petit carnet. Il y consignait les allocations familiales versées aux maquisards de la compagnie ou encore les kilos de patates disponibles. Mais sur les trois premières pages, l'arrière-grand-père de Simon Louvet a griffonné, écrit au crayon à papier, les paroles de trois chansons chantées au maquis à l'été 44. L'un de ces chants s'intitule Les Camarades.
"Ce chant, je me suis arrêté dessus parce que je l'ai trouvé, rien qu'à sa lecture, très entraînant. Pour moi, cela illustrait très bien les rapports que j'imaginais au maquis. Et il m'a permis de faire une page de vie dans mon livre où on ne parle pas de parachutage et de mitraillette. Une page de la vie commune qu'il pouvait y avoir au maquis."
Une chanson écrite dans une maison pour enfants
Simon Louvet voulait savoir l'histoire de cette chanson. Il passe de longues heures sur internet, mais ne trouve rien. "Visiblement, ce n'était pas un air populaire." Fin août 2022, L'étudiant en Master d'histoire à la Sorbonne lance même un appel à l'aide sur les réseaux sociaux.
Au maquis, Isidore avait un petit carnet bleu. Sur les premières pages, les paroles de chansons : Le Chant des Déportés, Les Papous et Les Camarades. Je ne trouve aucune occurrence ou information sur la dernière. Twitter, pourrais-tu m'aider ? pic.twitter.com/sIwXNzisBl
— Isidore et Simone, Juifs en Résistance (@isidoreaumaquis) August 29, 2022
"De fil en aiguille, je suis tombé sur un site d'anciens membres d'auberges de jeunesse sur lequel il y avait un enregistrement de cette chanson."
Les Camarades figurent dans une liste des cinq cents chants les plus chantés par les Ajistes (les membres du mouvement des auberges de jeunesse) entre 1936 et 1950. "On en est arrivé à les Ajistes connaissaient, les maquisards connaissaient, mais on ne sait pas comment c'est arrivé."
Puis, une nouvelle donnée intervient dans l'équation, raconte Simon Louvet. Lors de ses recherches pour son mémoire de Master d'histoire, il tombe sur le témoignage d'un maquisard qui explique ce chant a été écrit par Isaac Pougatch qui est vraiment un grand pédagogue, une figure très importante du monde juif, à la fois avant, pendant et après la guerre.
"C'est lui qui l'a écrit dans une maison pour enfants qui était cogérée par l'organisation de secours aux enfants et les éclaireurs israélites de France. Elle était basée à Charry, dans le Tarn-et-Garonne. Je pense qu'ils l'ont chanté entre eux. Après, les occupants de Charry, comme dans d'autres lieux, ont été dispersés quand la menace est devenue trop grande. Et certains vont rejoindre le maquis comme Jean-Paul Nathan.
"Un chant d'union" repris au maquis
Ce chant des Camarades va ensuite être repris au sein du maquis de Vabre. "Jean-Paul Nathan explique qu'il y a eu de grandes marches rythmées par cette chanson-là", raconte Simon Louvet qui a retrouvé ce témoignage. Écrite par Isaac Pougatch à Charry, la chanson n'est pas un témoignage direct de la vie au maquis. Mais le descendant de résistants juifs ne peut s'empêcher de faire des parallèles.
"Il y a, à mon sens, un message très fort de comment ils pouvaient se percevoir entre eux. Pour moi, c'est vraiment un chant d'union. Il faut garder à l'esprit que c'était une compagnie composée majoritairement de juifs."
Et puis, il y a ce couplet, un quatrain. "Passants, sachez que nous sommes des gens qui n'ont pas le cafard. Nous voulons devenir des hommes, des humains et non des traînards." Simon Louvet y voit un esprit de formation et d'élévation de jeunes scouts à qui l'on inculque un code moral et un esprit d'entraide très puissant. Il y a là "une détermination à être considéré comme un être humain. Ce qui n'était pas la manière dont ils étaient traités à ce moment-là."
Dix, cent, mille et puis dix mille camarades
Le chant des Camarades s'appuie sur un refrain qui évolue. Premier refrain, "nous sommes dix camarades". Le second, "nous sommes cent". Le troisième, "nous sommes mille" et le quatrième, "nous sommes dix mille". Et Simon Louvet est prêt à pousser la comparaison avec l'évolution de la Résistance. "Le premier maquis de Vabre en décembre 43, ils sont huit. Cent camarades, on est à l'été 44... Il y a cet élan qui fait que les rangs grossissent."
Ce chant-là, c'est une marche. On marche en faible nombre au début et les gens se rallient en cours de route. Il y a toute une symbolique que j'aime beaucoup.
Simon Louvet, arrière-petit-fils de juifs résistants
Les deux autres chants consignés sur le petit carnet bleu d'Isidore, l'un est allemand, l'autre est le chant des déportés, né dans les premiers camps nazis en 1933 et qui est aujourd'hui très connu. Compte tenu des minces indices retrouvés lors de ses recherches, Simon Louvet pense que "Les Camarades", que ce chant est resté confidentiel. Propre au maquis de Vabre.
Selon le CHRD, le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation, chaque maquis va développer ses propres chants, inspirés des marches militaires, mais aussi d'anciennes chansons révolutionnaires. Des chansons visant à souder les hommes, à leur donner du courage, voire les aider à marcher en rythme.