ENQUETE - La justice enquête sur un vaste réseau présumé de blanchiment d'argent dans le sud de la France. Dans le Tarn, à Castres et Mazamet, une quarantaine de sociétés civiles immobilières ont été créées entre 2010 et 2014 par des individus roumains. Deux notaires tarnais ont été mis en examen.
«Tout le monde savait » mais jusqu’à présent l’affaire n’a pas été rendue publique. « Ah ! Sebastian Celea ! C’est sensible et compliqué d’en parler. » souffle un avocat au téléphone. Au pied de la Montagne Noire, on n’aime pas évoquer les sujets qui fâchent, surtout lorsqu’il y a de l’argent en jeu.
La dizaine de personnes de nationalité roumaine et leurs biens immobiliers. L’enquête judiciaire pour blanchiment d’argent. La mise en examen de notaires et la suspension de l’un d’entre eux. Tous ces sujets alimentent depuis plusieurs mois les discussions dans les milieux feutrés des agences immobilières, notariales et les cabinets d’avocats de Castres et Mazamet.
L’explosion des sociétés civiles immobilières dans le Sud du Tarn
C'est peut-être grace à cette discrétion que tout a commencé entre 2010 et 2014 dans le sud du Tarn. Durant cette période, les deux communes voient fleurir comme par enchantement des dizaines de sociétés civiles immobilières (SCI) : Thalia, Cyrus, Titan, Vesta, Sphinx, Sigma 2010, Minerva 2011, Alpha 2010, Omega 2010, Gamma 2010, Kolt, Brick, Briol… la liste est longue.
Castres et Mazamet ne sont pas devenues du jour au lendemain le nouvel eldorado de l’immobilier français mais la scène d’un vaste réseau présumé d’escroquerie et de blanchiment d’argent.
Durant quatre années, une quarantaine de sociétés civiles, permettant la détention d'un bien immobilier par plusieurs personnes et facilitant leur transmission, ont été créées. Leurs sièges sociaux sont enregistrés sur une vingtaine d’adresses de Castres et Mazamet, toutes gérées par des personnes de nationalité roumaine.
Sebastian Celea et consorts
Derrière cette vingtaine de prête-noms se cache en réalité un seul et même homme, lui aussi roumain : Sebastian Celea, né le 3 février 1981, résidant à Castres.
De nationalité roumaine et originaires des villes de Brasov et Constanta, tous ont soit un lien de famille avec lui ou sont passés par l’armée, au sein notamment du 2ème Régiment étranger de parachutistes, basé à Calvi en Corse.
Dans le Tarn, le jeune roumain apparaît, actuellement, à la tête d’une quinzaine d’entreprises du secteur de l’immobilier. Mais ce chiffre est probablement plus important.
Le procédé, bien rodé, est souvent le même : une société civile immobilière est montée pour acheter, par exemple, un immeuble ou des appartements. Restaurés à la va-vite, ils sont ensuite mis en vente ou loués. Au fil des mois, les gérants se succèdent mais au final c’est toujours le nom de Sebastian Celea qui réapparaît.
Des sociétés offshore basées dans des paradis fiscaux
L’une de ces sociétés immobilières apporte un éclairage intéressant sur la provenance de l’argent de ce réseau. La SCI Minerva 2011 est inscrite au début de l’année 2012 au registre du commerce de Castres. Ses actionnaires sont deux sociétés offshores. La société Hildoor Management Ltd enregistrée au 1er étage, Dekk house, Provincial Industrial Estate, à Mahe aux Seychelles. Son représentant se nomme Paul Celea, 61 ans, et détient, par l’intermédiaire de cette société écran, 99% des parts de la SCI Minerva 2011.
La deuxième se nomme Rendor Services Limited. Cette fois-ci, elle est basée à Gibraltar, suite 31 Don House, 30-38 Main Street. Son représentant est un homme de paille philippin du nom de Tomas II Ganiron. Elle ne détient que 1% de la SCI.
Ces deux adresses se retrouvent dans les listings du consortium de journaliste ICIJ ayant révélés les affaires des Panama Papers et des OffShore Leaks.
Rien d’illégal, mais une excellente façon de cacher l’identité du propriétaire des deux entreprises, l’origine des fonds et parfois aussi d’échapper à l’impôt français.
Aujourd’hui, les deux sociétés-écrans ont disparu. La SCI Minerva 2011 n’a désormais qu’un seul gérant, détenant l’ensemble du capital : Sebastian Celea.
Une information judiciaire menée par la juridiction inter-régionale spécialisée de Marseille
Les juges semblent aujourd’hui persuadés que cet argent provient d’activités criminelles. L’ensemble des opérations immobilières menées par le réseau roumain n’aurait eu comme seul et unique but : le blanchiment. Une information judiciaire a été ouverte et confiée, selon nos informations, à la juridiction inter-régionale spécialisée de Marseille.
Même si le parquet de Marseille n'a pas répondu à nos sollicitations et qu'il est aujourd'hui impossible d'évoquer le montant de ce présumé blanchiment et de cette présumée escroquerie, sur lesquels enquête la justice, l’existence de sociétés civiles immobilières à Monaco et Nice semblerait démontrer que les affaires de Sebastian Celea et consorts auraient commencé sur la Côte d’Azur avant d’être transférées dans le sud du Tarn. L’enquête est actuellement menée par la section de recherche de gendarmerie de Montpellier. Leurs investigations démontreraient que grâce à ses multiples SCI et prête-noms, Sebastian Celea aurait mis en place des effets de cavalerie sur ses acquisitions immobilières, créant des plus values artificielles, tout en blanchissant son argent provenant de sociétés écran basées dans des paradis fiscaux.
D’après nos recherches, plusieurs ramifications de ce dossier mèneraient également à Montpellier, Béziers, Carcassonne et Castelnaudary. Sebastian Celea a lui été interpellé et placé en détention.
Un notaire interdit d’exercer durant cinq ans
Sebastian Celea et ses proches ne sont pas les seules personnes inquiétées dans cette affaire. Deux notaires tarnais ont été mis en examen et placés sous contrôle judiciaire en 2014 à Marseille pour blanchiment et escroquerie en bande organisée : Maître David Brennac, d’Aussillon, et Maître Celine Bories, de Soual.
Pour les magistrats, plusieurs indices et éléments prouveraient que les deux notaires auraient facilité la justification mensongère de l’origine des biens de Sebastian Celea pour souscrire des crédits. Ces sommes lui auraient servi à obtenir ainsi de nouveaux prêts et dégager des bénéfices conséquents sur des acquisitions immobilières.
EN VIDEO / le reportage de France 3 Tarn
Ces mises en examen ne préjugent en rien de la culpabilité des protagonistes de ce dossier mais le 13 mai 2016 Madame Céline Bories a également été condamnée par le tribunal de grande instance de Castres à une année d’interdiction d’exercice. La conséquence d’une procédure disciplinaire engagée par la Chambre interdépartementale des notaires de la Cour d’appel de Toulouse. Suite à des inspections menées par la Chambre, plusieurs irrégularités ont été constatées au sein de l’office de Maître Bories. Cette dernière a fait appel de cette décision, comme le procureur de Castres pour qui la peine est bien trop légère.
En mars 2017, Le TGI de Toulouse a alourdi en appel la condamnation de Maître Céline Bories. Interdite d'exercer, dans un premier temps, durant un an en raison de son implication dans l'"affaire Celea", la notaire du Tarn ne pourra pas finalement reprendre son activité avant 2021.