Dans notre rubrique "Tribunes", ce salarié du groupe qui ferme son usine de Castres s'adresse à la presse.
La rubrique "Tribunes" publie des textes émanant d'auteurs extérieurs à la rédaction de France 3 Midi-Pyrénées. Acteurs de l'actualité régionale, ils livrent ici un point de vue personnel."Je suis un salarié écoeuré, triste et en colère" par Jean-Philippe Ramade, de Weir Minerals à Castres (Tarn)
Madame La Presse,
Ceci sera mon dernier écrit hormis les communiqués officiels.
18h00 : une salariée qui à passé 30 ans de sa vie dans l’entreprise (Schabaver puis Weir)*, rentre dans le bureau du Comité d’entreprise en pleurs : « ça y est, les lettres de licenciements sont parties… »
Depuis huit mois, j’essaie avec mes lettres ouvertes de vous sensibiliser à notre sort, à notre lutte, afin que vous vous portiez notre message à Paris. Que vous disiez au gouvernement français que cinquante salariés, victimes de licenciements boursiers, attendent désespérément dans le Tarn la mobilisation de nos élus.
Notre histoire n’est pas unique hélas. Il suffit de vous regarder, de vous lire, de vous écouter pour voir combien notre cas est noyé parmi tant d’autres. Mais il y a aussi des cas plus médiatiques que d’autres et qui arrivent à trouver des issues positives. Je pense notamment à Fralib (Gémenos - 13)* ou à Pilpa (Carcassonne - 09)* qui ont réussi à trouver une solution même si je ne suis pas convaincu que la seule exposition médiatique soit le déclencheur de la reprise industrielle.Notre histoire n'est pas unique, hélas !"
Je suis un salarié écœuré, triste, en colère, qui ne comprend pas comment l’Etat français peut laisser faire ça alors que des lois ont été votées. Florange est passé par là avec cette promesse : en France il n’y aurait plus de licenciements boursiers. Les gens, les salariés y ont cru et ils ont félicité nos dirigeants pour cette loi qui allait dans le bon sens.
Comment peut-on dire non à une offre de reprise jugée crédible ?
Ce matin (8 juin 2015)* nous avons été reçu par le commissaire au redressement productif de Midi-Pyrénées, Mr Castagnac. Nous lui avons fait part des dernières avancées. Nous lui avons prouvé la mauvaise foi (du groupe Weir)*. Nous ne comprenons pas comment on peut dire NON à une offre de reprise jugée crédible par le commissaire lui-même. Comment le groupe Weir peut dire NON alors que ses dirigeants ont refusé toutes les réunions avec le futur repreneur. Pourtant, la loi Florange impose aux dirigeants (qui souhaitent quitter un site industriel)* de mettre en œuvre tous les moyens pour retrouver un repreneur sans obligation de résultat.
Le résultat est là… Pourquoi ne pas aller bout ? Tous les feux sont au vert pour une reprise : Le projet déposé fournirait de l’activité à notre usine, les candidats à la reprise* sont des entrepreneurs locaux avec une vraie logique industrielle, ce ne sont pas des financiers, ce sont des « pragmatiques » conscients que notre bassin d’emploi dispose de vraies opportunités dans la sous-traitance aéronautique.Nous avons un repreneur ! Alors, pourquoi ça bloque ?"
Le contrat de sous-traitance d’un an initialement proposé par le groupe Weir permettrait de faire un « départ lancé » et de disposer d’une charge de commandes en attendant la mise en place d’activités nouvelles générées par un gros donneur d’ordre local : la Comau. Les dirigeants de cette entreprise débordée de commandes à l’heure actuelle cherchent à faire fabriquer en sous-traitance* des pièces à forte valeur ajoutée. Ils s’engagent à amener un chiffre d’affaire croissant.
Mais NON. Le groupe Weir estime que cela n’est pas assez. Pire, ils font preuve de mauvaise foi en accusant à demi-mot le repreneur d’avoir copié des logos sur Internet pour ses documents de présentation du projet. Que dire aussi de leur incroyable retour en arrière : retirer la sous-traitance qu’ils avaient eux-mêmes initialement proposés pour la fabrication des pompes. Ces pompes et ce savoir-faire nous appartiennent légitimement malgré le rachat de l’usine. Ces pompes fabriquées dans l’usine (de Castres)* depuis 1802 sont intervenues à Tchernobyl ou Fukushima… Mais ils n’en veulent plus. Soi-disant.
Les dirigeants du groupe Weir se cachent derrière de beaux discours remplis de bienveillance à notre égard. Disant qu’ils sont soucieux de notre avenir et qu’ils ne veulent pas nous jeter en pâture (à des repreneurs mal intentionnés)*. Ces mêmes dirigeants nous ont annoncé début novembre (2014)* qu’il fallait fermer notre usine, devenue insuffisamment rentable en quelques mois ; Que notre produit était obsolète ; Qu’il fallait remplacer ce produit par un autre... Or ce nouveau produit n’est toujours pas au point. Au vu de ses performances techniques, les clients n’en veulent pas !
Mercredi dernier (3 juin2015)* nous avons posé la question sur la « marche des affaires pour l’année 2015 » en Comité d’Entreprise. Quelle surprise d’apprendre que nous étions en ligne avec nos objectifs ! La baisse de fin d’année est due en grande partie à la fermeture annoncée mais sans pour autant mettre en danger les comptes de l’entreprise. Le chiffre d’affaires devrait accuser une légère baisse en 2015 mais sans qu’elle justifie pour autant une action aussi radicale que la fermeture. Mais cela nous le savions déjà.
Nous sommes deux fois victimes !
Nous sommes deux fois victimes, c’est insensé. Nous fermons pour des raisons boursières et lorsque nous trouvons un repreneur avec un vrai projet… les dirigeants du groupe Weir nous disent « NON, C’EST PAS POSSIBLE ».
Y en a assez ! Ça suffit ! Vous, messieurs les bien pensants, messieurs les financiers, arrêtez de gérer nos vies et laissez nous travailler. Il y a du boulot pour tout le monde, à condition que vous renonciez un peu à vous gaver sur le dos des salariés. Arrêtez de détruire, de jeter des dizaines de familles dans un futur sombre. Oui, votre PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) est généreux, vous répétez à qui veut l’entendre que vous avez pris soin de vos salariés en leur faisant un gros chèque. Merci mes seigneurs vous êtes trop bons, trop généreux… et tellement riches !
Notre voyage à Glasgow a scellé notre sort. Vous nous attendiez sur ce terrain là. Nous amenant, au fil de la discussion, sur ce terrain de la finance et de la réparation du préjudice subit. Vous avez mis le prix, ça nous sommes tous d’accord ; Nous n’avons d’ailleurs pas beaucoup bataillé pour en arriver là. Vous vous êtes acheté une conduite et la garantie que vous seriez tranquille au cas où vous ne montreriez pas une réelle volonté de céder l’usine. Bravo, vous avez réussi.
Avec nous, à aucun moment vous n’avez parlé d’emploi, de solution industrielle. Tout ça vous dépasse malgré nos nombreuses remarques à ce sujet. Même notre projet de SCOP (Société coopérative de production), vous l’avez balayé d’un revers de la main.
Alors vous pouvez vous gargariser autant que vous voulez dans la presse locale concernant ce PSE « so generous », mais vous ne faîtes plaisir qu’à vous-même. Si vous avez donné autant c’est que votre groupe le peut mais - surtout - sachez bien que cet argent ne nous redonnera pas un emploi et qu’un chèque est si vite dépensé. Alors, arrêtez avec ça ! C’est insupportable !
Pourquoi ne pas parler plutôt de votre présence à nos côtés durant ces huit mois. Vous étiez où pendant que les salariés vivaient des moments difficiles ? Vous êtes venus cinq fois sur le site, peut être six. Vous qui disiez lors de l’annonce de la fermeture que vous prendriez soin de nous. Vous qui avez mis en place des commissions de « bien être au travail ». Vous étiez où ? Alors, stop. Arrêtez avec vos belles paroles, on aimerait des actes.
Pour finir, le salarié que je suis aimerait avoir la garantie que l’Etat soit vraiment présent à nos côtés. Le groupe Weir est en train d’envoyer un message négatif sans provoquer de réaction. Ce groupe a bénéficié des nombreux avantages et aides mis en place par le gouvernement. Le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi)* par exemple, pour ne citer que celui là. Ce groupe multinational bénéficie aussi des marchés passés avec de grandes entreprises françaises (EDF, VEOLIA)* sans qu’il n’ait pour autant l’obligation de conserver quelques dizaines d’emplois en France. Ben voyons, allez-y ! Servez-vous… c’est l’Etat qui régale !
Comment tout ça est-il possible ? Je lis la presse et je sais très bien dans quel monde on vit. Il n’empêche que l’on peut quand même dénoncer l’inacceptable. Oui, je suis triste. En colère. Comme des centaines de salariés qui vivent exactement la même chose dans l’indifférence générale. Mais écrire fait du bien et ces bouteilles jetées à la mer trouveront peut être quelqu’un qui aura encore du courage pour dénoncer ces pratiques.
Comment avoir confiance en l’avenir ? En la politique gauche/droite qui mène toujours à la même chose ? Comment accepter que l’on tape toujours sur les mêmes : chômeurs, étrangers… Sans jamais parler de ces gens qui détruisent les fondements de la société. Avoir du travail et une vie sociale, c’est tout ce que l’on demande.
Fin Juin tout sera logiquement fini et je retournerai à une vie normale et anonyme.
Voilà je crois que j’en ai fini et que ma thérapie s’arrête ici.
Fin Juin tout sera logiquement fini et je retournerai à une vie normale et anonyme.
Merci madame la Presse nationale d’avoir pris le temps de me lire. Merci d’avoir été… ou pas ! À nos côtés durant ces huit mois.
Un grand merci a la presse locale, tous supports confondus, qui a fait un vrai travail d’information.
Et soyez indulgent sur la forme, je ne suis pas journaliste, cela ne vous aura pas échappé !
Jean-Philippe Ramade,
Salarié de Weir Minérals
(*) : Rajouts de la rédaction