Témoignage. Excision, "j'ai osé dire ce que j'avais subi" : les mots d'Halimata Fofana pour survivre et combattre une tradition barbare

Publié le Écrit par Bénédicte Mingot

A l'âge de 5 ans, Halimata Fofana subit la pire des mutilations féminines, une excision. Née à Longjumeau dans l'Essonne, l'autrice franco-sénégalaise raconte l'indicible dans un roman inspiré de son histoire, "A l'ombre de la cité Rimbaud". Depuis presque dix ans, elle lutte contre cette pratique interdite en France et milite pour une meilleure prévention.

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Cheveux ras, elle arbore de grandes boucles d'oreilles dorées qui illuminent son visage, ses yeux en amande laissent poindre un regard affirmé. Halimata Fofana est aujourd'hui une femme apaisée, qui a pardonné, même si le traumatisme reste présent. La reconstruction est longue, son fort caractère lui a servi de bouclier.

Elle se remémore ses années collège à Longjumeau : "des filles de ma classe partaient en vacances en juin, mais ne revenaient pas à la rentrée de septembre, parce qu'on les avait mariées au pays. Cela ne choquait personne que des jeunes filles disparaissent". Cette pratique perdure encore aujourd'hui.

"Mettre des mots sur l'indicible"

Dans son second livre, Halimata Fofana utilise le roman pour aller jusqu'au bout d'un processus qu'elle n'a pas connu elle-même : le mariage forcé. Elle veut que les lecteurs comprennent : "Quand on excise, c'est pour préparer au mariage". Quant au chapitre dans lequel Halimata décrit crûment l'acte rituel, "ce passage de l'excision, c'est moi, c'est mon histoire. Je voulais la raconter de manière précise, mettre des mots sur l'indicible."

L'écriture de ce roman était indispensable pour Halimata, qui reçoit beaucoup de messages de jeunes femmes qui ont vécu la même chose qu'elle. Elle est aussi souvent sollicitée par des psychiatres pour comprendre cette problématique, des sages-femmes, des médecins, des professeurs des écoles. Ce roman mi-fiction, mi-autobiographique, elle l'a voulu plus littéraire pour livrer un message universel et pour que chaque victime puisse se reconnaître derrière le personnage de Maya.

Une bonne épouse et une bonne mère

"J'ai le sentiment d'être passée sans transition du stade de bébé à celui d'adulte", écrit Halimata dans son roman. L'autrice n'a pas eu d'enfance, une période de sa vie rythmée par des interdits et une éducation tournée autour de l'imaginaire du mariage : "Il fallait qu'on grandisse très vite pour assumer les tâches de mère de famille." Dans ses jeunes années, pas de place pour l'insouciance, "elle peut même être dangereuse. Il faut toujours être en état d'alerte", assène-t-elle.

Pour Halimata, grandir entre un mode de vie traditionnel à la maison et une culture moderne en dehors du foyer est paradoxal : "Dans nos familles comme à l'extérieur, on doit se battre, car on veut nous faire entrer dans des cases qui ne sont pas les nôtres".  Sa transformation physique, elle la vit aussi dans la douleur. "Adolescente, je refusais mon corps, je le trouvais terrible, honteux", regrette-t-elle. Devenir une femme fut un énième combat.

Cours de SVT, l'appareil génital féminin : "Moi, j'ai pas ça"

Lors d'un cours de sciences et vie de la Terre au collège, un schéma montre l'appareil génital féminin sur le rétroprojecteur. Le professeur explique les différentes parties de cette région de l'anatomie, mais pour Halimata, il y a un problème : "Moi, j'ai pas ça". L'enseignant en profite pour évoquer la pratique de l'excision à travers le monde, sans se douter qu'une de ses élèves en a été victime dans sa classe. "Je comprends alors ce qu'on m'a enlevé, de quoi on m'a amputée", se souvient-elle, sans savoir encore le pourquoi.

Cet acte perpétué par les mères de génération en génération, Halimata le mesure quand elle est étudiante à Paris : "Derrière l'excision, il y a une sacralisation de la virginité, et tout un imaginaire lié à des méconnaissances." résume-t-elle.  Le plus dur à admettre pour elle, "ce sont les raisons qui poussent une mère à faire subir ça à son enfant". J'ai mis de nombreuses années à comprendre que les mères pensaient agir pour le bien de leur fille, et pour l'honneur de leur famille.

La littérature, sa bouée de sauvetage

"L'école, on y apprend avant tout à penser, pour et contre soi". Halimata a trouvé sur ces bancs les clés qui lui ont permis une remise en cause de l'éducation de sa mère qui n'a pas eu accès à l'école. "On m'a donné les outils pour ne plus répéter sans me poser de question". Sa chance, elle la doit au fait que ses parents ne l'ont jamais empêchée de faire des études. "Je savais que c'était le seul moyen de m'en sortir, même si je n'étais pas bonne élève" affirme-t-elle, chérissant ses années studieuses à la Sorbonne.

Halimata remercie encore ses professeurs d'avoir cru en elle, et de l'avoir aidée à apprécier la beauté des grands textes de la littérature française : "Quand vous vivez dans une cité, il y a une laideur, une noirceur, qui vous force à chercher la beauté."  Dans les œuvres d'Hugo, de Baudelaire, de Flaubert, "j'ai découvert cette beauté, cela n'était pas inné chez moi. Il n'y avait pas de livre à la maison, mes parents ne savaient ni lire, ni écrire." Collégienne, elle reste des heures à la bibliothèque municipale pour dévorer des autobiographies. Jamais sans ma fille la bouleverse, l'autrice Betty Mahmoody l'inspire.

Elle les appelle ses "puits de lumière", la littérature, mais aussi la danse. "Quand je dansais, c'était le seul moment où je trouvais que mon corps n'était pas laid." Elle danse sur les chansons de Céline Dion, qu'elle rêve de rencontrer. Elle en est convaincue, "Dieu m'a envoyé sa voix pour que je crois que tout est possible". Pour survivre, Halimata a longtemps dissocié sa tête et son corps, "ma tête était à moi, mon corps était à eux". Elle avoue l'avoir maltraité, "jusqu'à vomir pour en extirper la douleur".

Réparation, réexposition, puis reconstruction

A 28 ans, Halimata s'envole pour le Canada. Loin de la cité Rimbaud,"j'arrive à en parler". Halimata fréquente alors une maison des femmes qui organise des groupes de parole. "Un jour, j'ai osé dire ce que j'avais subi", se rappelle-t-elle. Les témoignages de compassion ont soulagé les sentiments de dégoût et de culpabilité ancrés dans sa mémoire.

De retour à Paris, Halimata se sent prête à faire la paix avec son corps. L'acte chirurgical est une réparation, plus précisément une réexposition des parties internes du clitoris. La reconstruction, elle, est psychologique. L'aspect psychique est le plus important selon Halimata, "c'est un vrai travail de se réapproprier son corps, par des petits gestes du quotidien, pour ne plus le considérer comme sale."

Se reconstruire, c'est réussir à apprivoiser son corps et sa sexualité. C'est une kinésithérapeute pelvienne qui l'accompagne dans cette quête. "Elle aide à travailler sur les tissus pour qu'ils se détendent, à se regarder telle que l'on est, et à prendre soin de cette partie de son corps, pour prendre conscience qu'elle existe", détaille-t-elle avec beaucoup de douceur.

Le temps du combat et de la libération de la parole

Halimata a pardonné : "Je ne pense pas qu'on puisse vivre avec de la colère et de la haine, elle peut être un moteur à un moment donné, mais avec le temps elle peut devenir auto destructrice." Aujourd'hui, elle vit une très belle relation avec ses parents. Elle estime désormais qu'ils ont fait comme ils ont pu avec une culture dans laquelle le groupe prime sur l'individu.

Aujourd'hui, Halimata donne des conférences dans des universités, des écoles de sage-femme, des plannings familiaux, des associations qui prennent en charge des femmes migrantes. Elle est intervenue à deux reprises à la Maison des femmes de Saint-Denis fondée par Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne à l'hôpital Delafontaine.

Une sensibilisation, mais pas assez de prévention

La sensibilisation est une chose, la prévention en est une autre pour la militante qu'Halimata est devenue. Elle condamne un manque de formation pour les assistantes maternelles, les assistantes sociales, les sages-femmes qui, selon elle "ne sont pas suffisamment préparées pour faire face et communiquer lors des accouchements". Ghada Hatem tempère : "On ne peut pas dire brutalement à une maman qu'une excision a causé son accouchement douloureux. Il faut agir avec délicatesse, anticiper le traumatisme."

Pour Halimata, "le tabou n'existe pas que chez les victimes, il existe aussi dans le corps médical et dans les médias". Elle s'interroge : "Avant les vacances scolaires, pourquoi ne voit-on pas de campagne télévisée pour alerter ?" Elle s'étonne aussi d'un manque de prévention directe. "En Guinée, l'excision se pratique à 98 %. Pour s'y rendre il faut faire le vaccin contre la fièvre jaune. Pourquoi les médecins ou infirmières n'informent-ils pas les familles qui viennent faire vacciner leur enfant ?", clame-t-elle.

Halimata Fofana vient d'écrire un deuxième documentaire "Françaises et excisées", qui fait suite à celui diffusé en 2022 sur Arte, "A nos corps excisés". Elle y aborde la problématique de la mémoire corporelle, du traumatisme chez certaines femmes qui ne s'en souviennent pas. Cette suite met en exergue le fait que l'excision est toujours d'actualité, touchant des jeunes femmes françaises. D'après les estimations de la Fédération Nationale GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles), la France compte 125 000 femmes mutilées sexuellement, de première et seconde générations. La moitié réside dans la région Île-de-France.

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