Témoignages. Obèses, ils tentent de se réapproprier leur corps : "derrière la prise de poids, se cachent des souffrances liées à des choses de la vie"

Publié le Écrit par Sophie Picard

Si perdre du poids est l'obsession des personnes en surpoids, les complications engendrées par l'obésité sont nombreuses, sans compter le mal de vivre et l'isolement. Un long parcours qui va les emmener vers les consultations, les centres de prévention, de rééducation et les associations.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Elle a toujours vécu avec un corps visible. Née dans une famille où l'on est gros ou fort ou en surpoids, dit-on avec tact. Les aléas de la vie, les bas surtout, l'ont rendu obèse. "J'ai eu surtout un gros problème de burn out, hypothyroïdie, et donc tout ça, ça a été caché par les médicaments et je suis monté à un poids assez conséquent. J'ai pris quasiment 70 à 80 kilos en moins de six mois, raconte Lydie Boury. J'ai connu le harcèlement à l'école. J'ai connu les insultes dans la rue, toutes ces choses-là, donc oui, ça a été un problème. Aujourd'hui, mon statut à l'association me donne un peu comme une légitimité et du coup, c'est plus facile à vivre aujourd'hui." 

Lydie, ancienne aide-soignante, est présidente de l'association Les Petits Poids. Un drôle de nom, choisi pour lutter contre la grossophobie ambiante. "Le nom complet, c'est : 'les petits poids, ça bascule terrible'. Ce n'est pas parce qu'on est en obésité qu'on ne bouge pas. Souvent, on a l'image avec un burger d'un côté, les frites de l'autre et puis dans le canapé devant la télé. Donc 'ça bascule terrible' parce que ce n'est pas parce qu'on est en obésité qu'on ne fait rien."

Retrouver un équilibre

Le maître mot : bouger. Activité physique adaptée à la carte, renforcement musculaire, cardio, pour passer de trois chiffres à deux sur la balance. "Là, je suis à 150 et mon objectif, c'est d'atteindre 80 kilos, confie Jennifer Bertrand.

Le poids, je l'ai pris à cause de l'alcool. Quand j'ai vu que je ne pouvais plus marcher, quand il fallait prendre le bus alors que depuis chez ma sœur, il y a 150 mètres, je me suis dit : il faut que je fasse quelque chose.

Jennifer Bertrand, membre de l'association Les Petits Poids

Opérés ou passés par les centres de rééducation, venir ici est une petite victoire. S'obliger à sortir de chez soi, de cette obésité qui isole. "Pourquoi tu aimerais perdre du poids, c'est quoi la vraie raison finalement ?", demande Rémi Cozette, animateur en activités physiques et adaptées. "Là, c'est vraiment question boulot parce qu'on est beaucoup recalés par rapport au poids", répond Jennifer.

"On n'est pas là pour dire : en deux mois, il faut perdre tant de kilos, ce n'est pas le but. Et je pense que c'est ça aussi que les gens viennent chercher au final : c'est d'une part le rapport au physique et au psychique, on essaye de se vider la tête, mais aussi retrouver du contact social. Pour beaucoup, c'est vraiment ça qu'ils viennent chercher", constate l'animateur.

C'est un endroit très convivial. C'est ce qui me motive à venir. Je ne me suis rien fixé, c'est vraiment me réapproprier mon corps : on reprend des muscles, de l'énergie, au niveau des gestes du quotidien cela aide.

Céline Bosselet, membre de l'association Les Petits Poids

L'endroit a beau être convivial, quand le poids fait du yoyo, le moral fait son Sisyphe. "Derrière la prise de poids, il se cache des souffrances qui sont liées à des choses de la vie qui ne sont pas forcément liées à l'alimentation", souligne Lydie.

C'est pour cela que l'association est aussi un lieu d'écoute, le bureau de Lydie est toujours ouvert. "C'est quoi ta motivation aujourd'hui, qu'est-ce qui va faire que tu vas arriver à tenir ?" demande-t-elle à Jennifer. "C'est vraiment la perte de poids, pour faire changer le regard des autres. Il y a des gens qui me disent : tu as fait une cure, tu crois que cela t'a servi à quelque chose ? Parce que tu es toujours pareil. Ce n'est vraiment pas encourageant", répond-elle.

"C'est de la méchanceté tout simplement, rétorque Lydie. On ne choisit pas s'il y a un terrain génétique, on ne choisit pas d'être blond, on ne choisit pas d'avoir les yeux verts, on ne choisit pas non plus d'être gros ou d'être maigre. Toi, il y a l'alcoolisme, la génétique, il y a aussi les antidépresseurs. Mine de rien, ce sont des médicaments qui amènent à manger plus. Et si tu ne prends pas le traitement, tu fais des tentatives de suicide et si tu prends le traitement, tu grossis. Alors bénéfice risque, il vaut mieux prendre un peu de poids plutôt que de se suicider. Ce serait bête d'en finir. Déjà, je trouve que là, tu es super forte parce que c'est difficile de tenir le cap, donc soit fière de toi, parce que c'est vraiment un beau parcours."

Apprendre à mieux manger

Au centre de rééducation de l'hôpital de Corbie, les patients sont adressés par un spécialiste ou un généraliste. Hospitalisés pendant quatre semaines pour connaître les facteurs de risque et prévenir les complications.

Christopher Clin pèse plus de 200 kg. Une obésité morbide pour laquelle il vient réapprendre endurance, force et souplesse. Il rejoint la cuisine thérapeutique. Manger, ça s'apprend. "Aujourd'hui, on fait un risotto, on épluche les carottes, tout ça, on apprend comment faire cuire, pour refaire à la maison, décrit-il. Ici, on ne parle pas de régime, on apprend à bien manger."

Chez moi, je mange beaucoup des gâteaux, des chips, des frites. J'ai même participé à un concours du plus grand mangeur de pâtes. Et puis après, j'ai pris du poids, du poids, du poids, je ne faisais plus attention.

Christopher Clin

"Il ne faut pas que ce soit une contrainte de manger des fruits et des légumes, il faut que cela reste du plaisir, affirme Amélie Vandeputte, diététicienne au centre de réadaptation nutritionnelle et physique de Corbie. Il n'y a pas de jugement, le but, c'est d'analyser comment les patients mangent et ce qu'ils sont prêts à changer pour leur retour à domicile. Ils auront droit de manger de tout, après, c'est d'apprendre à réguler les quantités. On peut encore manger des frites, du chocolat, après ce n'est pas tous les jours, ce n'est pas après chaque repas, ce n'est pas la tablette. Il n'y a pas d'aliment à diaboliser, ça c'est vraiment important."

Si l'alimentation n'est pas l'unique facteur de l'obésité, pour certains, elle agit comme une protection, voire une addiction, d'où un accompagnement psychologique pendant le séjour. "Le traumatisme est souvent en lien avec une atteinte au corps, alors on va parler d'inceste, de viol, un rapport compliqué de rejet autour du poids, du corps. Et du coup, le travail va être de la verbalisation autour de ces traumas pour éviter le refuge dans l'alimentation qui va amplifier la prise de poids, la perte de confiance et la perte de l'estime de soi", analyse Magalie Delignières, psychologue.

Libérer ses émotions

Pendant ce temps, à l'association Les Petits Poids, on pratique l'art-thérapie. Malaurie et Emilie apprennent à poser la couleur pour s'alléger. "Donc là, c'est super parce que les couleurs viennent se poser sur la feuille, dans le mouvement et donc cela permet de fluidifier les émotions internes et de pouvoir les exprimer et le fait de dépasser les bords trop rigides, cela permet de respirer et de trouver plus d'espace en interne et apaiser les douleurs du corps également", explique Hélène Lefebvre, art-thérapeute.

"Avant, je travaillais beaucoup en force, donc il y avait du poids, il fallait qu'il y ait des couleurs très lourdes et maintenant, je suis plus dans la finesse, indique Emilie Israël.

J'ose faire des choses, des mélanges de couleurs... Oser tout simplement parce que même à l'extérieur, on n'ose pas alors qu'ici, on est libre.

Emilie Israël

Membre de l'association Les Petits Poids

"On se rend compte que cela débloque l'émotion à l'intérieur du corps. Le fait de travailler sur la feuille, cela va faire un peu miroir en interne, du coup cela refluidifie et on s'allège, on se sent plus proche de soi, on se comprend mieux en interne et donc cela permet d'être dans quelque chose de plus joyeux", complète Hélène Lefebvre.

Un tour de taille en mois redonne le sourire. L'accompagnement pour retrouver l'autonomie, changer ses habitudes pour une perte de poids durable sera long. Ponctué de découragements, de détermination.

1 200 personnes sont accompagnées par l'association Les Petits Poids depuis plus de dix ans. Lydie a réussi son pari dans un climat de convivialité. "Je me sens responsable de ce qu'ils peuvent vivre ici, donc je me dis, je ne suis pas responsable de ce que les gens ont vécu, mais je peux les aider à avoir un plus beau chemin après. Je ne prends pas les histoires, parce que ce ne sont pas les miennes. Mais par contre, j'accompagne sur un bout de chemin parce que je vois que les gens sont heureux quand ils repartent et je me sens très utile."

Le goût de vivre, une confiance en soi retrouvés à en oublier le regard des autres et le diktat du poids.

Édité par Eline Erzilbengoa / FTV

Qu’avez-vous pensé de ce témoignage ?
Cela pourrait vous intéresser :
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information