À Rennes, le 1988 Club est plus qu’une boîte de nuit : c’est un territoire conquis et mis en sécurité par Le Jarl. Sur les réseaux sociaux, il expose les visages de la délinquance. Dans la vie réelle, il la combat avec des méthodes parfois décriées. Portrait d’un homme de la nuit qui aime la lumière, et qui divise.
Il est minuit à Rennes. Sur la dalle autour du 1988 Club, aux pieds des immeubles, des groupes se forment, des rires fusent, des regards se croisent. L’air semble léger, mais derrière cette sérénité de façade se cache un travail de l’ombre mené par un homme : Le Jarl.
Codirecteur de cette boîte de nuit incontournable, il garde pour lui son identité. Mais Le jarl n’est pas qu’un simple responsable de sécurité. Depuis son arrivée à la tête de l’établissement en 2021, cet ancien de Saint-Malo a transformé la dalle en un champ de bataille, un château fort. Au "88", la fête ne se gagne pas sans une lutte acharnée contre la délinquance. "Quand je suis arrivé ici, c’était l’apocalypse. Trois points de deal, des MNA (mineurs non accompagnés) ultra-violents, des jeunes qui se faisaient démonter pour leurs portables avant même d’entrer. Il fallait agir." Et il a agi à sa manière.
La dalle, le chaos et lui : une guerre en trois actes
Au départ, Le Jarl a tenté l’option classique : appel à la police, remise des délinquants aux autorités, vidéos à l’appui. Mais il découvre vite les limites d’un système saturé. "On les livrait, ils ressortaient trois heures plus tard avec juste un pansement sur le nez. C’était ridicule."
Il passe alors à l’étape suivante : l’alliance. Plutôt que de s’opposer frontalement aux dealers, il leur propose un pacte. "Vous restez, mais vous vendez proprement. Pas de violence, pas de racket, et vous virez les MNA." Pendant quelques mois, l’accord fonctionne. Les clients du "88" respirent. Mais les choses dégénèrent rapidement lorsque les dealers commencent à se battre entre eux pour le territoire.
"C’est devenu ingérable. Il y avait des blessés toutes les semaines. J’ai dû tout reprendre en main." La troisième phase est alors lancée : l’expulsion pure et simple de tous ceux qui troublent l’ordre. Avec son équipe de sécurité, Le Jarl mène une guerre ouverte contre les intrus. Interventions physiques, chasses nocturnes, tout est bon pour sécuriser les lieux. "Oui, j’ai dépassé les limites. Mais quand l’alternative, c’est de voir des gamines se faire embarquer de force par des tarés, tu fais ce que tu dois faire."
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Le justicier connecté
Ce qui distingue Le Jarl, ce n’est pas seulement sa manière musclée de gérer son club. Ce sont ses vidéos. Filmées par les caméras de surveillance du 1988 Club ou enregistrées sur son téléphone, elles capturent des scènes d’agressions, des interpellations, des visages qu’il n’hésite pas à afficher publiquement. "Tu déconnes ? Je t’affiche." Un mantra qui a fait mouche sur les réseaux sociaux.
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Avec près de 10 millions de vues par mois, ses contenus sont devenus viraux. Sa communauté, mélange hétéroclite de supporters, de curieux et de détracteurs, le regarde dénoncer ce qu’il appelle les "délinquants invisibles". "Je montre ce que personne ne veut voir. C’est pour ça que ça marche."
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Mais cette célébrité lui pèse. "Je suis devenu un homme-sandwich. Je ne peux plus marcher dans Rennes sans qu’on me reconnaisse." Le Jarl explique déménager tous les ans, changer de voiture régulièrement, et éviter les lieux publics.
Une voix qui divise
Son franc-parler et ses méthodes directes lui ont attiré autant de fans que d’ennemis. Dans une ville historiquement ancrée à gauche, ses prises de position tranchées font grincer des dents. À cela s’ajoute un engagement en politique qu'il n'assume pas vraiment : sa présence éphémère sur une liste liée à Éric Zemmour. "Une erreur de jugement. Je n’avais pas mesuré les conséquences. Si c’était à refaire, jamais je n’irai. C’est ma plus grande erreur."
Il affirme avoir demandé à être retiré de cette liste moins de quinze jours après l’avoir rejointe mais le mal est fait. Ses détracteurs le cataloguent comme un influenceur d’extrême droite. "C’est absurde. Ma clientèle, c’est 70 % de jeunes des quartiers. Je passe ma vie à discuter avec eux, à les raccompagner en taxi. Comment pourrait-on penser ça de moi ?".
Pour d’autres, le personnage suscite des interrogations plus complexes. Un étudiant de Rennes 2 confie : "Je n’aime pas du tout ces vidéos qui sont très présentes sur mon feed Instagram. Peut-être que l’appli me les propose car j’en ai regardé, mais cela m’irrite à chaque fois. Je le vois faire des catégories entre jeunes des cités ou de certaines minorités. C’est insupportable."
Certains remettent en cause son comportement. "J’ai fait du sport dans la même salle que lui des années. Beaucoup le prennent pour un raciste, ce n’est pas le cas. Mais la délinquance et certains comportements le rendent fou. Il s’est engouffré dans ce personnage de justicier sans limite qui peut être violent face à certaines personnes. Je pense que c’est un cercle négatif dans lequel il est maintenant coincé. S’il arrête ces vidéos, il aura moins de gens dans sa boîte”. L’homme apporte une nuance, “il faut se rendre compte à quoi il est constamment confronté."
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Un côté proche des jeunes
En l'observant travailler, le nombre de remerciements à son encontre est saisissant. Des ados, des jeunes adultes, garçons ou filles, de toutes origines, nombreux prennent quelques instants pour lui glisser un mot. "Merci pour l'autre soir". Ou "merci pour mon amie". Ceux là ne demande pas de selfies.
Sous ses airs de dur à cuire, Le Jarl ne cache pas un côté paternel. Père de deux enfants, il parle souvent des jeunes qu’il protège comme s’ils faisaient partie de sa famille. "Quand je vois une gamine pleurer parce qu’elle s’est fait agresser, ça me brise. Ils ont tous l’âge de mes enfants."
Il évoque avec fierté les messages de reconnaissance qu’il reçoit de certains jeunes. "Ils me disent que je les ai redressés, que je leur ai appris des règles. Parfois, je suis le père qu’ils n’ont pas eu." Ce lien fort, quasi familial, alimente sa détermination.
Le business au service de la sécurité
Diriger une boîte de nuit n’est pas seulement une mission de sécurité, c’est aussi un enjeu économique. Et de ce point de vue, Le Jarl a réussi son pari. Depuis sa prise de fonction, le chiffre d’affaires du 1988 Club a explosé, passant de 2,8 millions à 4,5 millions d’euros annuels. "Les vidéos ont fait tourner la boîte, c’est indéniable. Mais elles ont aussi montré qu’on prenait soin de notre clientèle."
Aujourd’hui, le 1988 est un des clubs les plus courus de Bretagne, avec des files d’attente qui s’étirent parfois sur plus d’une heure.
Une célébrité sous contrôle
Le Jarl le sait, sa notoriété est une arme à double tranchant. Ses vidéos attirent l’attention des médias, TPMP, M6, même des chaînes plus confidentielles comme TV Libertés, mais aussi celle des politiques. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a pris le temps de le rencontrer lors d’une visite à Rennes. "Ils veulent comprendre ce qui se passe ici. Mais ce que je leur dis, c’est que la justice est dépassée. On manque de moyens, c’est tout."
Malgré tout, il reste prudent. "Je ne veux pas devenir un pion politique. Les partis me courtisent, mais je sais que je ne suis pas fait pour ça."
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Une figure locale controversée
À Rennes, Le Jarl est devenu une figure incontournable. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il incarne une réalité : celle d’une ville en pleine mutation, confrontée à des défis sécuritaires croissants.
Certains le considèrent comme un justicier moderne, tandis que d’autres voient en lui un personnage clivant, provocateur, prisonnier de ses propres contradictions. "C’est un mélange de pragmatisme et d’idées simplistes, affirme un ancien proche. Il fait ce que beaucoup n’oseraient pas, mais à quel prix ?"
Proche des jeunes qu’il dit protéger, mais accusé de favoriser certains au détriment d’autres, Le Jarl incarne une figure complexe. Il est tour à tour admiré et décrié, dans une ville qui cherche encore à comprendre comment conjuguer sécurité et liberté. Comme il aime le rappeler : "On peut dire ce qu’on veut de moi. Mais si vous voulez une dalle sans violence, sans racket, sans peur, c’est moi qui l’ai nettoyée."