Chirurgie de l'estomac : à Amiens, le long combat des patients contre l'obésité

Avec 22% de personnes en situation d'obésité, la région Hauts-de-France est la plus touchée de France métropolitaine. Pour certains patients, il faut passer par une opération de l’estomac. Au fil des années, la prise en charge de cette chirurgie a beaucoup évolué.

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"J’ai toujours été en surpoids, depuis toute petite. Mais là, il y a le regard de mes enfants, qui me demandent pourquoi je suis comme ça, pourquoi je ne mets pas de jupe... Je veux me sentir mieux physiquement, mieux dans ma peau", explique timidement Lucie, une Amiénoise en situation d’obésité. Son rêve ? "C’est tout bête, mais... Je voudrais pouvoir mettre une robe."

Il y a plusieurs années, elle a subi une "sleeve gastrectomy", une opération chirurgicale qui consiste à réduire l’estomac des deux tiers et qui provoque une perte de poids conséquente. Mais ce traitement s’est soldé par un échec, qu’elle estime lié à un suivi pré et post-opératoire incomplet.

Un nouveau pôle de prise en charge à Amiens

C’est justement pour éviter ce type de situation que la prise en charge de la chirurgie bariatrique a évolué ces dernières années. Toujours motivée pour traiter son obésité sur le long terme, elle a choisi de s’inscrire à un parcours d’éducation thérapeutique à la polyclinique de Picardie, à Amiens. Ce tout nouveau programme a débuté à l’été 2021 et a été élaboré par une diététicienne, une psychologue et une médecin nutritionniste.

Cela commence d’abord par une rééducation alimentaire : lors d’ateliers collectifs, les patients apprennent les fondamentaux de la nutrition, les besoins journaliers, la composition des aliments et leur intérêt pour le corps. "L’important, c’est de comprendre l’histoire du poids de chaque personne, pour pouvoir cibler ses besoins en accord avec lui, explique le Docteur Dacheux-Goffart, médecin nutritionniste et coordinatrice du parcours. Mettre les patients au régime dans des systèmes de frustration et de restriction, non seulement ça ne marche pas, mais ça aggrave leurs cas."

"Le poids n’est pas qu’alimentaire, c’est aussi émotionnel"

Car si l’on évoque souvent des mauvaises habitudes alimentaires et un manque d’exercice physique, on sait aujourd’hui que des facteurs comme la génétique, le métabolisme, l’environnement ou l’état psychologique participent aussi au développement de l’obésité. C’est pour cela qu’une prise en charge pluridisciplinaire est aujourd’hui privilégiée.

En parallèle de ces ateliers collectifs, dispersés sur plusieurs mois, les patients sont suivis individuellement à la fois sur le plan diététique et sur le plan psychologique. "Le poids n’est pas qu’alimentaire, c’est aussi émotionnel. Lors des consultations individuelles, c’est ça qu’on arrive à recadrer, le pourquoi de la prise de poids, et on peut recentrer beaucoup sur l’émotion", confirme Marie Samier, diététicienne en libérale.

Après six à douze mois d’éducation thérapeutique, l’ensemble de l’équipe se réunit pour décider collectivement d’opérer ou non le patient. "Si on estime que le patient a les critères mais qu’il n’est pas prêt psychologiquement, ou qu’il y a des contre-indications formelles comme des troubles du comportement alimentaire ou l’alcoolisme chronique, on peut décider qu’il ne sera pas opéré", précise le docteur Émilie Dumange, chirurgienne bariatrique à la polyclinique.

Limiter les risques d'échec

Elle insiste par ailleurs sur le fait que l’opération ne se suffit pas à elle-même. "C’est une aide, mais si on ne respecte pas le suivi, l’échec est possible, parce qu’en grignotant ou en mangeant en grande quantité, on va finir par redistendre l’estomac. Cette technique, elle marche, c’est une aide, mais ce n’est pas une fin en soi. Le suivi, il est à vie. La sécurité sociale demande d’ailleurs à ce qu’on fasse signer aux patients un engagement de suivi à vie."

Une étude israélienne estime à 38% le taux d’échec après une sleeve gastrectomy, qui est la technique de chirurgie bariatrique la plus pratiquée en France depuis quelques années. Cela signifie que plus d’un tiers des patients ont repris beaucoup de poids cinq ans après leur opération. Et tous les spécialistes s’accordent à dire que le manque de suivi pré et post-opératoire augmente considérablement les risques d’échec.

Pour traiter l’obésité, il faut donc s’armer de patience. La maladie est complexe et évolutive. Dans l’hôpital public, le modèle de prise en charge sur le long terme existe depuis longtemps et continue d’évoluer. Dans les Hauts-de-France, il existe cinq centres spécialisés dans l’obésité (CSO), dont seulement un est situé en Picardie, à Amiens.


Depuis 2006, le pôle de prévention et d’éducation du patient s’occupe du suivi des patients en situation d’obésité. Là aussi, on alterne entre ateliers collectifs et séances individuelles avec plusieurs professionnels de santé.

Un suivi post-opératoire primordial

Alexandre Lemonnier, le psychologue, les accompagne par exemple après leur opération pour s’assurer qu’ils acceptent bien leur nouveau corps, qu’ils s’y habituent et qu’ils le voient tel qu’il est réellement.

L’un des ateliers consiste à choisir parmi plusieurs cercles de différents diamètres lequel correspond à leur tour de taille. "La plupart du temps, ils se trompent, ils vont dans un cercle plus large que celui qui leur correspond réellement, explique-t-il. Au fil de la séance, ils évoluent, ils réalisent un peu mieux. Le fait d’être en groupe leur permet aussi de mieux se situer en se comparant."

Ces exercices qui peuvent paraître anodins sont une étape importante dans le suivi psychologique. "Souvent, du fait de l’obésité, il y a une grande difficulté pour ces personnes à se connecter à leur propre corps", précise-t-il. Il travaille également sur les émotions, les sentiments, les traumatismes parfois venus de l’enfance et qui peuvent participer à la prise de poids. Un travail qui commence avant la chirurgie et qui se poursuit longtemps après... À condition que le patient s’implique dans ce suivi à long terme.

"Il n’y a pas d’obligation de voir un psychologue ou un psychiatre, on ne peut pas forcer les gens à voir un psychologue, ça paraîtrait contre-intuitif. Alors parfois certaines personnes sont dans l’évitement, elles ne vont pas voir le psy, et ça peut provoquer des grignotages ou des compulsions alimentaires, qui vont un peu paralyser la vie de la personne. Car on a beau faire une chirurgie de l’estomac, on ne fait pas une chirurgie du cerveau", explique le psychologue.

"Il faut appliquer le mode d'emploi à vie"

Armelle Legrand, qui est suivie au pôle de prévention, confirme que même neuf mois après son opération, le travail est loin d’être fini. Elle a déjà perdu 36 kilos et perd encore un kilo par semaine. "Je me sens mieux, je suis moins fatiguée, je l’ai ressenti dès les trois premiers mois. J’ai repris le sport, et puis mes journées de travail en tant qu’aide-soignante se passent mieux, et je suis plus motivée pour faire des choses avec ma fille de 6 ans", raconte-t-elle. Mais elle reste extrêmement vigilante et applique les conseils de ses soignants à la lettre. "Ce n’est qu’une étape l’opération. Ce n’est pas une baguette magique, on peut reprendre du poids, alors il faut appliquer le mode d’emploi à vie. Je n’ai pas fait ça pour que ça recommence dans 5 ans. J’ai fait ça pour mieux vivre toutes les années qu’il me reste à vivre, pour être bien."

Aujourd’hui, Armelle Legrand participe à des groupes de paroles au pôle de prévention pour témoigner auprès des patients qui vont subir à leur tour une opération chirurgicale. Des échanges qui existent depuis longtemps dans les CSO, mais qui se développent également de plus en plus sur les réseaux sociaux. Petit à petit le tabou de l’obésité se lève et la prise en charge pluridisciplinaire remplace les "régimes miracles" restrictifs et inefficaces.

Mais il reste encore du chemin à faire. Selon certains soignants, on opère encore trop et trop vite, notamment par manque de moyens. D’après le ministère de la Santé, le coût pour l’assurance maladie de la prise en charge de l'obésité s’élèverait à 2,8 milliards d’euros en soins de ville et 3,7 milliards d’euros à l’hôpital.

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