Elle parachève l'axe historique de Paris, mais ne s'intègre paradoxalement pas dans son axe. Alors, pourquoi la Grande Arche du quartier d'affaires de La Défense, inaugurée en 1989, en est-elle décalée de 6,3 degrés ? Le documentaire La Malédiction de la Grande Arche de Jean-Marie Montangerand nous révèle ce choix plus technique qu'esthétique.
Vous vous promenez sur les Champs-Élysées, près de l'Arc de Triomphe, et vous apercevez, non loin, la fameuse "Grande Arche" perdue au milieu de ces hautes tours des XXe et XXIe siècles. La stupeur vous gagne, le monument n'est pas dans la droite ligne de l'axe historique de Paris.
Si l'on peut penser que l'arche de l'architecte danois Johan Otto von Spreckelsen serait désaxé principalement pour l'esthétique, il n'en est rien... du moins initialement. "Une fantaisie de l'architecte ? Au contraire, il ne pouvait pas faire autrement", indiquait le présentateur Jamy Gourmaud dans son émission C'est pas sorcier sur France 3.
Le quartier d'affaires de la Défense regorge de surprises qui se révèlent être des obstacles pour Spreckelsen. Si les 31 hectares de la dalle de La Défense sont essentiellement piétons en surface, elle rassemble en sous-sol l'essentiel des circulations automobiles, ferroviaires et les parkings du quartier d'affaires.
RER, métro, autoroute... un décalage inéluctable
"Le sous-sol est traversé par le RER, et bientôt une nouvelle ligne de métro y sera ajoutée", évoque l'architecte de la Grande Arche lors d'une conférence filmée par le documentariste Dan Tschernia dans les années 1980. Il ajoute : "en dessous passe une autoroute... il y a aussi une voie ferrée transerversale... et une ligne de fret ici !", provoquant ainsi des éclats de rire dans la salle.
Le sous-sol est traversé par le RER, et bientôt une nouvelle ligne de métro. [...] En dessous passe une autoroute... et il y a aussi une voie ferrée transerversale !
Johan Otto von Spreckelsenarchitecte danois dans "La Malédiction de la Grande Arche" sur France 3
Imaginez, cet architecte doit ainsi bâtir les fondations d'un monument d'environ 110 mètres de hauteur et de largeur sur un sol ou s'enchevêtrent des dizaines de kilomètres de galeries techniques, le RER A, ou encore le prolongement de la ligne 1 du métro.
À cela, s'ajoute également un échangeur autoroutier (A14) ainsi que la ligne ferroviaire de Paris-Saint-Lazare à Versailles – aujourd'hui empruntée par les lignes L et U du Transilien. Depuis 2016, le RER E et le chantier de sa gare sous le CNIT s'est également ajouté à ces infrastructures.
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"La surface constructible est limitée... Il reste un morceau ici, un autre ici et quelques petits là", indique-t-il à son audience lorsqu'il évoque les emplacements des futurs pilliers.
Une contrainte technique devenue "rêve" esthétique
"Il est vrai que si l'arche était pile dans l'axe, qui est quand même la vue qu'on continue de regarder aujourd'hui, elle n'aurait aucune épaisseur. Elle serait plate", remarque Loïse Lenne, architecte et enseignante-chercheuse à l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne dans le documentaire La Malédiction de la Grande Arche de Jean-Marie Montangerand.
Quel rêve de pouvoir tourner le cube de six degrés et demi !
Johan Otto von Spreckelsenarchitecte danois dans "La Malédiction de la Grande Arche" sur France 3
Il s'agit finalement de l'ingénieur-concepteur danois Erik Reitzel, auquel il est associé, qui lui indiquera de désaxer le cube de l'axe historique de 6,3 degrés afin de respecter les infrastructures souterraines du quartier d'affaires. "Quel rêve de pouvoir tourner le cube de six degrés et demi !", répond alors Johan Otto von Spreckelsen.
"Cela donne une dynamique à cette place. Cela lui donne une légère direction, et donc du volume", note Loïse Lenne. Pour le journaliste et critique d'architecture François Chaslin, Spreckelsen a été conquis par cette idée issue d'une contrainte car cela lui permettait d'éviter un caractère "trop affirmatif" d'un nouvel arc de Triomphe, "répondant à l'autre en face".
Cela donne une dynamique, [...] une légère direction, et donc du volume
Loïse Lennearchitecte et enseignante-chercheuse dans "La Malédiction de la Grande Arche" sur France 3
Coïncidence, Johan Otto von Spreckelsen ne s'est aperçu que bien plus tard que la Cour carrée du Louvre est elle aussi désaxée d'un peu plus de 6 degrés. Dans son projet, il écrivait que l'arche permettait "de scruter l'avenir".
→ Le documentaire La Malédiction de la Grande Arche, réalisé par Jean-Marie Montangerand et produit par Blanche Tivolle, est diffusé dans la case La France en Vrai ce jeudi 14 décembre sur France 3 Paris Île-de-France et sur la plateforme france.tv/idf.