La lutte contre le crack s'intensifie à Paris. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, annonce se rendre en Afrique de l'Ouest pour tenter de démenteler les filières. Un voyage qui fait réagir les associations, les chercheurs et les riverains.
Près d'un an après le déplacement des toxicomanes des jardins d'Éole vers la Porte de la Villette, le problème du crack n'est pas résolu à Paris. Plusieurs centaines de personnes consomment régulièrement ce dérivé de la cocaïne créant un problème de santé publique et de multiples difficultés avec le voisinage.
"Le crack n'a pas besoin d'être réduit mais anéanti"
Selon le ministère de l'Intérieur, entre le 20 juillet et le 20 août, 128 personnes ont été interpellées, soit trois fois plus que l'année dernière à la même période, sans que l'on ne sache s'il s'agit de dealers ou de consommateurs. Gérald Darmanin a également précisé que "le volume de crack saisi en quinze jours correspond à la totalité du volume qui a été saisi pendant l'année 2021."
Devant la maire de la capitale, Anne Hidalgo, lors de la cérémonie du 78ème anniversaire de la Libération de Paris à la Préfecture de police, M. Darmanin a insisté : "C'est bien, mais ce n'est pas suffisant, vous savez qu'il va falloir frapper beaucoup plus fort, le crack n'a pas besoin d'être réduit mais anéanti."
Depuis plusieurs années, les ministres et les préfets de police se succèdent sans réussir à mettre un terme définitif à la consommation de drogue dans le nord-est de Paris. "Ce que raconte Darmanin, c'est juste du blabla, réagit Elina Dumont, militante anti-crack, si ce n'était pas le deuxième quinquennat de M. Macron on aurait pu y croire. Il dit cela parce que les Jeux Olympiques de 2024 arrivent vite." Lana, riveraine et membre de l'association Villette Village tient le même discours : "ce sont de belles paroles. Nous attendons des actes depuis près d'un an."
Elina Dumont, elle-même ancienne consommatrice de crack, se désole du manque d'action pour tenter de soigner les toxicomanes : "Il faut des injonctions de soins et des médecins pour accompagner. Sans injonction, je serais peut-être aujourd'hui dans un caniveau. Nous devons les soigner pour les sortir de la rue et inversement. Si je n'avais pas été sans-abri je n'aurais jamais touché à la drogue." Selon la militante également habitante du XIXème arrondissement, si une solution pérenne n'est pas trouvée rapidement, "un jour un riverain excédé va faire une grosse bêtise."
Darmanin en Afrique pour lutter contre le crack à Paris
Lors de l'arrivée de Laurent Nuñez comme nouveau préfet de police de Paris le mois dernier, Gérald Darmanin lui a demandé de lui "proposer pour la rentrée des solutions pour lutter définitivement contre ce fléau" du crack. "La volonté du préfet de police est de démanteler le marché du crack à ciel ouvert et nous ne tolérerons pas qu'il se reconstitue ailleurs", a poursuivi le locataire de la place Beauvau. Une réunion entre le préfet de police, le préfet de la région Ile-de-France, Marc Guillaume, et les parties prenantes du plan crack, sera d'ailleurs organisée dans le courant du mois de septembre. Le collectif Villette Village a fait part de son souhait de participer à ce rendez-vous, "les riverains sont toujours occultés, explique Lana, nous souhaiterions parler de notre quotidien à M. Darmanin ou M. Nuñez."
Le ministre de l'Intéreur a aussi promis un voyage de l'autre côté de la méditerannée : "Je me rendrai bientôt en Afrique de l'Ouest pour avoir un dialogue franc avec les pays concernés et créer les conditions de reconduite très rapide des trafiquants dans leurs pays d'origine."
"Santé publique et justice sociale"
Selon les autorités, les filières du nord-est de Paris puiseraient leurs sources dans l'Ouest du continent africain. "Ce n'est pas parce que M. Darmanin va se rendre en Afrique que le problème du crack sera réglé. C'est très présomptueux", réagit Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l'INSERM. Egalement co-autrice d'un rapport de recherche "le crack en Ile-de-France", la chercheuse poursuit : "la réponse du ministre Darmanin est partielle et partiale. Il serait intéressant d'entendre le ministre de la Santé, M. Braun sur le problème du crack qui est une question de santé publique et de justice sociale."
Selon Mme Jauffret-Roustide, le traitement contre le crack ne sera efficace que s'il répond à un programme de prise en charge pluridisciplinaire. La sociologue souligne que la dépendance, la vie dans la rue, les troubles de la santé mentale et l'insertion doivent être tous traités conjointement pour mettre fin à l'addiction et ne pas y retomber.
De son côté, Gerald Darmanin a aussi annoncé vouloir "interpeller les consommateurs dans les rues." Pour la sociologue, cette réponse policière est inutile : "la criminalisation du trafic est nécessaire. La criminalisation des usagers est totalement contre-productive."