Le Pathé Parnasse (Paris 14è) vient de rouvrir ses portes dans une version grand confort à 18,50 € le billet. Un prix exorbitant qui renforce l'idée que les salles obscures seraient inabordables. Or, la réalité est plus nuancée, y compris dans la capitale, qui offre encore une grande diversité de tarifs.
Les accoudoirs neufs brillent encore dans l'obscurité de la salle. Au bout des sièges, les repose-pieds en cuir nous invitent à la détente. L'espace le permet il faut dire, alors on déplie les jambes, on se laisse aller. Dans ces sièges 100% inclinables, il ne manquerait qu'un plaid pour s'endormir. Mais on se le jure : Morphée ne nous aura pas.
Voilà "l’expérience cinéma réinventée" du Pathé Parnasse (Paris 14è). Une ambiance "résolument contemporaine" avec, sur l'écran, des détails "saisissants" et des images "spectaculaires". L'exploitant ne manque pas de formules depuis la réouverture du lieu le 14 décembre dernier, l'établissement est maintenant "premium", et le lifting fut conséquent. À l'extérieur : nouveau nom, nouvelle devanture ; à l'intérieur : 1200 places de moins pour des fauteuils plus grands, plus larges, au design "exclusif" et au confort "inédit". Seulement voilà, la grille tarifaire aussi a été remodelée, et là-dessus la communication est laconique : "Tarif normal : 18,50€". Le message est simple, pas besoin de bavardage : le confort se paie.
Événementialiser la sortie cinéma
Dans le contexte de double crise, de l'inflation et de la fréquentation des salles, la stratégie du Pathé Parnasse surprend. Celle-ci semble toutefois claire : l'enjeu est de faire revenir les spectateurs en rendant grandiose la sortie ciné. "C'est l'ancien monde qui s'accroche", bougonne Stéphane Goudet, le directeur artistique du cinéma d’art et d’essai Le Méliès de Montreuil. "Besson a déjà tenté ça il y a dix ans et ça a fait pschitt, son ciné à Aéroville proposait même du pop-corn à la truffe...". Ce genre d'initiative impacterait de surcroît la programmation de ces salles, "on a pas forcément envie de voir La liste de Schindler sur un sofa en cuir... quels films seront alors programmés là-dedans ?"
Si une reprise de la fréquentation des salles semble se dessiner depuis octobre (28 millions de billets vendus ces deux derniers mois, des chiffres peu ou prou équivalents à 2019), la pandémie a bouleversé les habitudes. Repliés chez eux, les Français semblent maintenant attachés aux "plates formes", dixit Agnès Jaoui. Les alertes se sont enchaînées cet automne : réclamation d'une tenue d’États généraux du cinéma, campagne du ministère pour le retour des Français en salles, et expressions dans les médias de toutes sortes de personnalités plus ou moins bien informées sur les solutions à apporter, les films à faire, ceux à ne pas faire, et le prix à payer. C'est ainsi que le sujet du tarif du ticket a été relancé. Et l'initiative aujourd'hui deluxe du Pathé Parnasse ne va rien y arranger.
La place à 7,57€ en moyenne à Paris
18,50 € est évidemment une somme hors-sol pour voir un film, mais la proposition est pour le moment unique dans le paysage parisien. Il n'y a qu'à Beaugrenelle (15ème arrondissement) où Pathé (encore eux) fait presque pire. Le lieu affiche un tarif plein à 15,50€ mais sans cuir ni repose-pieds.
Avec 75 cinémas (un au minimum par arrondissement), Paris est en tout cas, la ville au monde la mieux dotée en écrans. Et si la diversité des établissements est moins riche que dans les années 70 ou 80 (moins d'indépendants, plus de franchises), la capitale reste un parc d'attraction pour cinéphiles. Chaque années, 27 millions d'entrées sont comptabilisées intra-muros sur plus de 800.000 séances.
En 2021, le tarif moyen par entrée y était de 7,57€. Un chiffre étonnamment moins élevé que dans d'autres villes, à Marseille par exemple, il est de 8,01€. Mais il faut être prudent avec ces calculs au vu du nombre de facteurs à prendre en compte. La carte illimitée UGC, par exemple, n'existe pas dans le sud. Celle-ci baisse forcément les statistiques dans la capitale car, avec elle, des milliers de Parisiens voient des films à volonté pour 21,90€ par mois (17,90€ pour les moins de 26 ans) dans treize UGC et quarante-sept cinémas partenaires. La cherté du ticket concerne donc les spectateurs occasionnels, ces actifs ni jeunes, ni vieux, qui n'ont pas le droit aux tarifs réduits et paient plein pot.
Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français, synthétise la situation : selon lui, 70% des billets sont vendus à moins de 8 euros dans l'Hexagone, 13% au-dessus de 10. "Ça reste la sortie culturelle la moins chère, surtout qu'il y a depuis les années 90 une palette incroyable de tarifs". Selon le CNC, le prix du ticket augmenterait en outre moins vite que l'inflation, 47% de hausse sur trente ans, contre 58% d'augmentation globale des prix sur cette période. Proportionnellement, aller au cinéma est donc moins cher aujourd'hui qu'à l'époque de Ghost et Pretty Woman.
"On en a vu d'autres"
Mais Stéphane Goudet insiste au bout du fil : "les prix réduits ne suffisent plus lorsque tout augmente et que le cinéma cesse d'être une priorité". Avec un tarif plein à 6 euros seulement, Le Méliès suit pourtant une politique tarifaire impressionnante pour la région parisienne. Le directeur décrit alors "ces jeunes qui ont le sourire devant Avatar 2 à 5 euros", et ces prix qui lui paraissent justes au vu de la "concurrence directe" de Netflix à 5,99 euros.
Le symptôme d'une "époque canapé", place le théoricien du cinéma Marc Cerisuelo. Selon une récente étude IFOP, deux tiers des Français sont maintenant abonnés à ces offres audiovisuelles payantes, et 41% d'entre eux délaissent les salles obscures pour leur consacrer leur soirée."Des expériences attractives qui se révèlent in fine aussi vaines et déprimantes qu’une nuit passée à scroller des vidéos de chats", écrit amèrement le critique Nicolas Marcadé dans son morose bilan annuel des Fiches du cinéma, la plus vieille revue française sur le 7è art.
Mais on reste optimiste côté FNCF, "des crises, on en a vu d'autres", tempère Marc-Olivier Sebbag. "L'important est de garder une large gamme de prix et de films, comme à Montparnasse où il y a aussi six autres cinémas près de ce nouveau Pathé". Car Paris ne se défausse pas malgré la raréfaction des salles, Marc Cerisuelo le confirme d'ailleurs, "c'est toujours elle qui mène, quantitativement et qualitativement". L'universitaire nuance toutefois, rectifie même car "New York lui taille des croupières". Mais outre-Atlantique, une sortie ciné est devenue quasi aussi événementielle qu'une soirée opéra, avec des prix qui varient même à la caisse selon le budget du film. "On voit des séances à cinquante dollars si ce n'est plus...", raconte l'universitaire, "heureusement, la France est encore résistante face à ces évolutions". Oui, mais jusqu'à quand ?