Le procès de l'attentat de la rue Copernic s'ouvre ce lundi en l'absence de son principal accusé, jugé pour quatre assassinats, tentatives d’assassinats et destructions aggravées en relation avec une entreprise terroriste. Hassan Diab a décidé de rester au Canada. Retour sur une enquête hors norme qui aura duré plus de 42 ans.
Le 3 octobre 1980, il est 18h35 lorsqu’une très forte explosion retentit rue Copernic dans le 16e arrondissement de Paris. La déflagration est telle que les fenêtres de cinq immeubles ont volé en éclat, plusieurs voitures en feu ont été projetées sur la chaussée.
Au milieu du chaos, quatre corps gisent au sol, inanimés. Parmi eux, Philippe Bouissou, 22 ans. Le jeune homme passait à moto rue Copernic pour se rendre chez sa fiancée. Au mauvais endroit au mauvais moment comme la journaliste israélienne Aliza Shagrir, 42 ans. En vacances en France, elle se promenait dans ce quartier avec son fils avant de se rendre à un dîner. Jean Michel Barbé, 41 ans, chauffeur de maître, attendait devant la synagogue la famille pour laquelle il travaillait. Hilario Lopez-Fernandez, le concierge d'un hôtel voisin, est grièvement blessé. Il succombera à ses blessures deux jours plus tard.
À l’intérieur de la synagogue de l'Union Libérale Israélite de France, la scène est tout aussi dantesque. Sous l'effet de l'explosion, la coupole s’est effondrée et les morceaux de verre et de fer calciné sont tombés sur les 320 fidèles réunis en cette veille de Shabbat. 46 blessés sont à déplorer, mais le bilan aurait pu être plus lourd encore. La bombe, composée de 10 kilos de pentrite et déposée dans les sacoches d'une moto garée devant le lieu de culte, était programmée pour exploser au moment de la sortie des fidèles. Or ce soir-là, cinq bar-mitsvah sont célébrées, la cérémonie s'est prolongée.
Interrogé par un journaliste de FR3 Paris quelques minutes après le drame, et alors que l’attentat n’a pas été revendiqué, le rabbin de la rue Copernic dénonce un acte de l'extrême droite : "C’est évident, c’est une bombe plantée par nos amis antisémites et nazis de France. Que peut-on dire sauf un message pour eux, pour tout le peuple français et les juifs de France : nous n’avons pas peur et demain matin, nous allons prier dans cette synagogue rue Copernic. Et la semaine prochaine et pour toujours. Nous n’avons pas peur", déclare Michael Williams, sous le choc.
La France vient de connaître son premier attentat antisémite depuis la seconde guerre mondiale, le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) Jean-Pierre Bloch accuse également "l’internationale nazie" de l'avoir organisé.
Un groupuscule en particulier, la Fédération d’action nationaliste et européenne (FANE), semble suspect. Une piste "nazie" qui ne donnera pourtant aucun résultat comme nous le raconte Maitre Bernard Cahen, l'avocat de plusieurs familles de victimes. "Au départ, on soupçonne une petite bande d’extrême droite qui se réunissait au Trocadéro, pas très loin de la rue Copernic. Mais très rapidement, c’est-à-dire après quelques mois, on se rend compte qu’ils n’y sont pour rien et l’enquête part dans un sens complètement différent." Tout va se concentrer désormais vers le Moyen-Orient.
Le 4 décembre 1980, les enquêteurs obtiennent un renseignement confidentiel émanant des autorités allemandes : "Il est porté à notre connaissance que les auteurs de l’attentat de la rue Copernic seraient cinq Palestiniens qui auraient regagné Beyrouth immédiatement après les faits." Le 16 juillet 1982, une note de la Direction de la surveillance du territoire (DST) classée "confidentiel défense" est remise au juge instructeur. Il y est écrit que, selon les informations d'un autre service, "l’instigateur et l’exécutant de l’attentat de la rue Copernic" serait le groupe FPLP-OS (Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales). D'après cette source, les terroristes seraient arrivés de Beyrouth avec de faux passeports "de pays du golfe persique" et deux des organisateurs auraient séjourné à Paris avant l’attaque.
Sur les traces du poseur de bombe
À Paris justement, les enquêteurs établissent que la charge explosive a été fixée sur une motocyclette de marque Suzuki payée cash le 23 septembre 1980 dans un magasin de l’avenue de la Grande armée. L'acheteur a décliné l’identité d’Alexander Panadriyu, de nationalité chypriote et laissé son adresse : la chambre 110 de l’hôtel Celtic dans le 8e arrondissement. L'homme a lui-même rempli la fiche d’hôtel et il a passé la nuit du 22 au 23 septembre en compagnie d’une prostituée. C'est sur la base du témoignage de cette occasionnelle, mais aussi du concierge de l’hôtel et des vendeurs du magasin de motos, que deux portraits-robots sont réalisés.
Les témoins décrivent un homme mesurant entre 1m65 et 1m70, de corpulence mince, porteur d’une fine moustache, âgé de 23 à 30 ans et parlant le français avec un accent étranger. Il porterait des cheveux bruns assez courts pour les uns, des cheveux blonds assez longs pour les autres.
Ce dénommé Alexander Panadriyu n'est pas totalement inconnu. Il a déjà été arrêté le 27 septembre 1980 après avoir volé une pince-coupante puis a été rapidement relâché. Mais les références de son passeport ont été relevées : il s’agit d’un passeport chypriote délivré le 20 mai 1980 et qui supporte un cachet d’entrée en France du 15 septembre 1980.
Un rapprochement est alors effectué avec le nommé Joseph Mathias, né à Chypre. Cette personne a en effet loué un véhicule dans une agence parisienne le 25 septembre 1980 en présentant un passeport chypriote délivré lui aussi le 20 mai 1980, comme celui d’Alexander Panadriyu. Or, ces deux passeports s’avèrent être de faux documents.
Enquête relancée en 1999
Alors que l'enquête piétine, en 1999, la direction de la surveillance du territoire (DST) obtient des renseignements plus précis sur l’identité des personnes ayant participé à l’attentat. Il est notamment question d'un certain Hassan Naïm Diab, un Libano-Canadien réfugié aux États-Unis, puis au Canada, où il enseigne la sociologie à l'Université d'Ottawa. Selon ces informations, l’homme aurait confectionné et activé l’engin explosif de la rue Copernic, aidé par un couple avec lequel il serait reparti en Espagne sitôt l'attentat commis.
Des renseignements confortés par un autre élément communiqué par les services italiens. Le 8 octobre 1981, la police de l’aéroport de Rome-Fiumicino avait contrôlé un individu en provenance de Beyrouth disant se nommer Ahmed Ben Mohamed né en Algérie et porteur de plusieurs passeports. Parmi eux, un passeport libanais au nom d'Hassan Naim Diab est retrouvé. Un document authentique qui n’a fait l’objet d’aucune déclaration de perte ou de vol et qui atteste de deux passages de la frontière espagnole les 20 septembre et 7 octobre 1980.
Un élément intéressant car selon les informations des policiers, le commando de la rue Copernic serait venu depuis l’Espagne. Ultérieurement interrogé sur ce passeport saisi à Rome, le dénommé Hassan Diab indiquera l’avoir perdu en avril 1981 sans le déclarer car il était "trop occupé par ses examens". Le père d’Hassan Diab déclarera pour sa part que son fils avait quitté le Liban en septembre 1981. Avec quel passeport si celui-ci avait été volé comme il le prétendait ?
L'insaisissable Hassan Diab
Le nom d’Hassan Diab avait déjà été cité dans une autre procédure pour ses liens avec le PTSA (parti des travailleurs socialistes arabes) qualifié par plusieurs témoins de "vitrine politique de FPLP pour les Libanais". Les policiers vont donc faire réaliser des analyses graphologiques pour tenter de le confondre en utilisant la fiche de l’hôtel Celtic remplie par le mystérieux Alexander Panadriyu. Selon les trois experts requis, ces cinq mots manuscrits sont compatibles avec l'écriture d'Hassan Diab.
Le 5 novembre 2008, un mandat d’arrêt international avec ordre d’arrestation provisoire est délivré contre cet homme qui dans son pays d'accueil, le Canada, n'a jamais attiré l'attention. Après une longue bataille de procédure, le 15 novembre 2014, l'auteur présumé de l'attentat contre la synagogue de la rue Copernic est finalement extradé, mis en examen et écroué en France.
Constant, il nie avoir participé à l'attentat. Ses empreintes n'ont jamais été retrouvées sur les lieux. En outre, plusieurs témoins affirment qu’Hassan Diab a passé ses examens universitaires au Liban avec eux à cette période, sans donner plus de précision sur les dates. Autant d'éléments qui vont amener un juge antiterroriste à rédiger une ordonnance de non-lieu en janvier 2018. Invalidant l’enquête de ses prédécesseurs, ce juge estime que les charges pouvant être retenues contre Hassan Diab ne sont "pas suffisamment probantes" et qu’elles se heurtent à "trop d’éléments à décharge pour pouvoir justifier un renvoi devant la cour d’assises". Le parquet fait aussitôt appel mais libéré, Hassan Diab regagne le Canada.
Un procès enfin, mais avec un accusé absent
"Lorsque ce monsieur est reparti au Canada, on s’est dit, c’est terminé. On ne verra jamais l’issue en fait, reconnaît Patricia, la fille de Jean Barbé décédé rue Copernic. Avec le temps, je me suis dit surtout vue l’atrocité des attentats de 2015, tout ce qu'il s’est passé récemment, que notre histoire était presque dérisoire. Dérisoire parce que beaucoup moins de décès et parce qu’elle remonte à tant de temps… Les vieilles histoires n’intéressent plus personne, c’est triste mais c’est une réalité. Je pense quand même qu’il ne faut pas que ce soit impuni, c’est important. Un procès, quel qu’il soit, nous permettra peut-être de tourner une page."
Car 42 ans après les faits, l'un des plus vieux dossiers de l'antiterrorisme pourrait enfin connaître son épilogue. En janvier 2021, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a en effet décidé de renvoyer le Libano-Canadien devant une cour d’assises. A partir de ce lundi 3 avril et pour trois semaines, Hassan Diab doit être jugé par une cour d'assises spécialement composée, les autres suspects, dont le chef du groupe terroriste palestinien impliqué, ayant échappé à la justice.
Face aux bancs des parties civiles, forcément clairsemés, le box sera vide. L'accusé, retourné au Canada, a refusé de comparaître, il sera donc jugé par défaut. "Hassan Diab va bientôt avoir 70 ans. Il affirme son innocence. Nous pensons qu’il est innocent. Il aurait espéré qu’on en reste là, que les juges d’instruction constatent qu’il n’y avait pas suffisamment de charges et que les éléments à décharge étaient puissants. Mais il en a été autrement. Il n’entend pas se déplacer et il se remet au mandat confié à ses avocats", nous informe l'un de ses conseils, Maitre William Bourdon qui espère qu'une décision d’acquittement sera rendue.
"Je n’oublie pas un seul instant le caractère terrible de cet attentat, les souffrances éternelles que ça a fabriqué (...) Quand on a été au cœur d’une tragédie comme celle-là, je comprends qu’on ait besoin d’avoir un coupable. Mais pas à n’importe quel prix", poursuit-il.
Dans un communiqué publié il y a quelques jours, l'organisation non gouvernementale Amnesty International qui promeut la défense des droits de l'Homme, a également fait part de ses craintes. "Justice ne pourra être rendue en s’acharnant contre cet homme, sachant que la justice canadienne et la justice française ont déjà conclu à l’insuffisance de preuves crédibles à son encontre." Amnesty International engage le procureur de la République antiterroriste à abandonner les charges contre Hassan Diab et à mettre un terme à "cette injustice qui n’a que trop duré".
Nul doute que les débats devraient être âpres pendant trois semaines. Jugé pour assassinats, tentatives d’assassinats et destructions aggravées en relation avec une entreprise terroriste, Hassan Diab encourt la réclusion criminelle à perpétuité. S'il est reconnu coupable, un mandat d'arrêt sera alors émis, mais il a peu de chances d'être exécuté selon Maitre Bernard Cahen, l'avocat historique de la synagogue et de victimes. "On ne se fait guère d’illusions. Tant que Mr Trudeau est au pouvoir au Canada, il n’y aura pas d’extradition. Il y est opposé." Une possible issue qui ne décourage pas les survivants et proches de victimes de la rue Copernic, soulagés que la justice passe. Enfin.