Comment apprendre à mieux vivre avec un proche souffrant de troubles borderline ?

Le temps d'un week-end ou bien au fil d'un trimestre, des parents, des frères et des sœurs se forment pour mieux comprendre la maladie dont souffre leur proche. Les Troubles de la Personnalité Limite (TPL) ou Borderline touchent 1 à 5% des Français. Et c'est la maladie la moins bien connue de la santé mentale.

Tout commence dans une petite salle de formation, près de la place d'Aligre à Paris 12e. Pendant deux jours se déroule un stage intense, co-animé par une femme médecin généraliste et un ancien dirigeant d'une école de commerce. Un couple à la ville et un duo complice de formateurs. Ils sont eux-mêmes parents d'une jeune femme qui a maintenant 35 ans. Pour cette dernière, le diagnostic de troubles Borderline a été posé tard, après des années d'errance.

Sans fard, ces deux formateurs, parents de quatre enfants, décrivent cette spirale qui s'est mise en place au sein de leur famille. Ils commencent en effet par décrire une "journée presque ordinaire" de leur fille : elle "pouvait passer une journée joyeuse en famille et s’alcooliser le soir jusqu’au coma ".

Ils enchainent alors avec la présentation de l’association Connexions Familiales, qui vise à mieux faire connaître le trouble borderline. comme beaucoup, ils ont très souvent entendu : "Ah bon, parce que borderline, c’est une maladie ? Ce n’est pas juste quelqu’un d’un peu sur les bords, un peu limite ? D’ailleurs on est tous un peu limite quelque part, vous ne trouvez pas ?"

Connexions familiales est une association qui a été créée il y a 4 ans par des proches aidants et par trois médecins psychiatres à Versailles, dans les Yvelines. Une formation de psychoéducation qui s'adresse aux familles souvent désemparées par leur enfant diagnostiqué borderline.

Ce jour-là une quinzaine de participants se sont réunis. La majorité vient d'Ile-de-France mais certains viennent de loin, du sud-ouest et même de Suisse. Car des formations comme celle-ci sont très rares. La plupart sont venus en couple ; certains sont séparés mais ils restent soudés pour comprendre ce qui fait que chaque jour leur enfant passe d'un profond sentiment d'abandon à une tentative de suicide.

Laurence*, elle, était au fond d’un puit. Elle avait beau essayer, elle n’arrivait pas à en sortir : "Je ne connaissais pas la maladie, et je vivais au rythme des hospitalisations, avec des hauts et des bas. J’étais complètement déprimée."

Samia*, comédienne, et son ex-compagnon ont, quant à eux, retrouvé un jour leur fille âgée de 20 ans sur le rebord de la fenêtre de leur appartement au dernier étage d'un immeuble du centre de Paris. Ses rêves de fac de cinéma sont empêchés par la maladie, diagnostiquée un an auparavant.

Chacun raconte des histoires qui se ressemblent, faites de petits bonheurs balayés par des phases de turbulences. Tous expliquent pourquoi ils sont ici présents et évoquent tous les espoirs qu'ils mettent dans cette formation importée des Etats-Unis. Au fil des slides projetés sur l'écran géant, les participants découvrent que leur situation est loin d'être unique. Entre 1 et 5% de la population en France serait touchée, soit l'équivalent des malades schizophrènes et bipolaires réunis. Pourtant cette maladie s'avère bien moins connue.

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Imaginez ce dialogue entre copains : "Je me suis cassé la jambe au ski. Je ne peux pas venir courir dimanche. Il faut faire sans moi pendant quelque temps". Voilà une justification qui passe bien. "J’ai été diagnostiqué avec un trouble borderline. C’est pourquoi j’ai du mal à venir à tes soirées. Je vais suivre une thérapie pendant quelque temps". Là, l'info passe beaucoup moins bien auprès des copains.

La stigmatisation des troubles psychiques agit en effet comme une double peine. Aux troubles eux-mêmes s’ajoutent le regard des autres, les remarques blessantes, même quand elles ne sont que maladroites. Sans parler de la peur que l’on génère, des silences, des évitements et de l’abandon. Outre que ce rejet est très dur à vivre, il tend à renforcer les dys-régulations inhérentes au trouble de la personnalité limite. C’est comme si les copains venaient taper avec un marteau sur la jambe cassée.

Neuf critères pour un diagnostic

Qu'elle soit appelée Borderline ou Trouble de la Personnalité Limite (TPL), des études estiment que cela représente 15% des patients qui consultent un thérapeute et plus de 25% de ceux qui sont hospitalisés. Et plus précisément ils constitueraient jusqu'à 30 % des urgences psychiatriques des 15-25 ans.

Si c'est difficile pour les parents, c'est bien aussi souvent le cas pour les soignants, comme le souligne Jean Petrucci, neuropsychologue à Villejuif et clinicien au GHU Chenevier-Mondor. Ce dernier explique que la thérapie analytique s'est révélée inadaptée pour les personnes TPL car elle pouvait accroître l'angoisse des patients : "Historiquement cela se passait mal pour ce type de patient. On a alors défini l'état limite." Des thérapeutes ont alors changé de postures et ont proposé aux personnes concernées d'acquérir des compétences en pratiquant des exercices.

Les frontières sont poreuses entre les troubles de l'humeur ; il existe une parenté de symptômes. C'est pourquoi le trouble Borderline est souvent confondu avec les troubles bipolaires. Mais les différences sont là. Jean Petrucci précise : "Dans les troubles bipolaires, l'humeur est fluctuante dans le temps, alors que pour une personne borderline cela peut être plusieurs fois dans la même journée avec des modifications souvent imprévisibles."

Une caractéristique revient souvent, des relations intenses instables : "Je te quitte avant que tu ne me quittes." Au total il a été défini 9 critères ; et il faut qu'au moins 5 d'entre eux soient présents pour confirmer le diagnostic. Cela peut être par exemple comme le présente le site de Connexions familiales avec des situations vécues :

  • des efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés : "Je passais de plus en plus souvent mes soirées à l’aéroport, isolé et seul au milieu de la foule. L’intense activité qui régnait m’évitait de sombrer."
  • des répétitions de comportements, de gestes ou menaces suicidaires, ou d’automutilations : "J’utilisais des couteaux, des lames de rasoir, des tessons de verre. (…) Je le faisais pour me punir (…). Je le faisais (…) pour sentir que j’étais là, que j’existais, peut-être comme la personne qui se pince le bras pour s’assurer qu’elle est bien réveillée."

"Seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin", selon un proverbe africain

Avec son épouse, Bernard Le Mercier, un ancien chef d'entreprise en retraite et père d'une jeune trentenaire borderline, a participé à la création de Connexions Familiales en 2019. À leurs côtés, des parents mais aussi des soignants, comme le Pr Mario Spéranza, chef du service de psychiatrie enfants/ado du CHU Mignot à Versailles. Lui aussi constate des progrès dans la prise en charge de cette maladie psychique. Les troubles sont mieux connus qu'il y a 15 ans et l'âge moyen des personnes concernées a diminué car le diagnostic est mieux posé et surtout plus tôt. Auparavant c'était plutôt vers 26 ans ; aujourd'hui, c'est vers 18/19 ans.

La fille de Bernard Le Mercier, président de l'association, a été diagnostiquée réellement à 27 ans, mais ses premiers symptômes sont apparus très jeunes, vers 13 ans. La famille a traversé "une longue période d'incompréhension et de nombreuses galères pour trouver des thérapeutes qui proposent les TCD, la thérapie recommandée."

Et quand il a commencé la formation, "deux mois après, notre fille s'est détendue dans la relation familiale car elle a senti que nous comprenions enfin ce qui lui arrivait. Mais elle a elle-même aussi mûri."

Depuis la création de l'association il y a 4 ans, 450 personnes ont été formées. Une centaine sont actuellement en liste d'attente et ne pourront pas participer avant fin 2023 ou début 2024. En dehors des week-ends exceptionnels, la formation s'étale sur un trimestre, à raison de 12 séances hebdomadaires de deux heures. L'attente est longue parce qu'ils sont moins d'une dizaine de formateurs, même si quatre personnes formées récemment sont prêtes à se lancer pour devenir formatrices elles-mêmes. En plus de celle de Versailles, ces formations sont dispensées en milieu hospitalier à Montpellier, à Genève en Suisse et plus récemment à Lyon, Nîmes, Clermont dans l'Oise et Grenoble. Au total 6 à 700 personnes ont déjà suivi ce programme en France.

Chaque patient est différent

Ce que confirme Marie*, une participante du week-end, belle-mère d'un jeune homme sans emploi et resté vivre sous leur toit : "Parfois il est déprimé, sous substances et quelques jours plus tard hyperactif. Par moments, cela fuse et c'est une autoroute. Et à d'autres moments, c'est une sensation de vide abyssal, proche de la dépression, avec une grande difficulté à se projeter dans l'avenir."

Jean Petrucci suit de nombreux patients souffrants de troubles borderline. S'il participe en tant qu'invité à ces formations, c'est aussi pour entendre les parents et connaître leur vécu. Et il n'hésite pas à donner quelques conseils, issus de sa pratique : "Il est important pour les proches d'apprendre à faire baisser la tension chez soi pour que cela ne monte pas en effet miroir chez le proche malade."

Lui revient en mémoire un couple, Samir* et Aurélie*, parents de 4 enfants dont l'aînée, la vingtaine, vient d'être diagnostiquée par un jeune psychiatre du CMP d'Etampes : "Elle a demandé pour son vingtième anniversaire un chien. Nous n'étions pas pour avoir des animaux à la maison. Et en fait cela l'a transformée pour ses études comme dans notre vie de famille. Le jour et la nuit."

Jean Petrucci rassure également les participants : "Le cerveau finit de se construire vers 25-30 ans. Plus la personne malade avance en âge, mieux elle saura se contrôler avec moins d'impulsivités, sauf cas particulier."

Ce que confirme une étude auprès des thérapeutes formés au GPM (Good Psychiatrie Management), un ensemble de règles de bonnes pratiques issues des différentes thérapies validées. "La perspective de rémission du trouble est constatée pour 10% des patients dans les 6 mois de traitement, 25% au bout d’une année, 45 % après deux ans, et 85% à 10 ans, avec en toute hypothèse une atténuation des symptômes lorsque le jeune avance dans l’âge adulte." Ce modèle a montré une efficacité comparable à la TCD, Thérapie Comportementale Dialectique, qui est la thérapie la plus validée du trouble limite.

Le service public pour la santé irlandais a créé 7 modules vidéos afin de mieux comprendre la méthode proposée par Connexions familiales afin de mieux comprendre son proche TPL. (Les vidéos sont en anglais avec des sous-titres à activer.)

L'acceptation radicale

Radical Acceptance - ou l'acceptation radicale - a été développée par une Américaine, Marsha M. Lineham : "Accepter les choses comme elles se présentent dans l'instant sans les juger, les nier, les rejeter ou chercher à les contrôler."

Diagnostiquée TPL tardivement, Marsha Linehan a longtemps été confrontée à des soignants qui ne comprenaient pas son inclination à se faire du mal. Après avoir obtenu son doctorat en psychologie, elle a mis au point son propre modèle thérapeutique : la thérapie comportementale dialectique (TCD).

C'est le principe fondamental développé pendant ces deux jours de formation par Connexions Familiales. Janet*, une participante anglo-saxonne, venue spécialement de Genève pour sa fille en rupture, qui vit désormais dans un squat confirme : "Cela a été dur pour moi à accepter car ce n'est pas ma culture. Mais un jour, un mois, une année, je sais que nous renouerons".

Le formateur abonde et glace l'auditoire en relatant le conseil d'une psy qu'il consultait à une époque afin d'apaiser les angoisses liées aux risques de passage à l'acte de sa fille :

"Si elle se suicide, dites-vous : Hélas, mais je n'y suis pour rien."

Le conseil de totale acceptance d'une psychologue

L'acceptation totale : un objectif qui paraît pour beaucoup encore difficilement atteignable. Mais à la fin de la formation, lors d'un dernier tour de table, la plupart des participants savent qu'ils repartent avec une boîte à outils thérapeutiques utile pour mieux accompagner leur proche malade.

Madeleine*, une mère qui a suivi la formation pendant un trimestre, le confirme : "Lorsque nous avons expliqué à notre fille notre expérience au sein de Connexions Familiales, ses yeux se sont remplis de larmes et elle nous a dit : 'Merci. Maintenant vous pourrez comprendre mes souffrances et m’aider à trouver des moyens pour me faciliter la vie'".

Dans cet article, les prénoms* ont été modifiés

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