Alors que la préfecture de police a annoncé la mise à disposition d’une friche industrielle située dans le XIIe arrondissement pour permettre de déplacer les consommateurs de crack aujourd’hui présents dans le nord-est de la capitale, la mairie de Paris dénonce "une décision solitaire sans concertation qui ne fonctionnera pas".
La consommation de crack dans la capitale suscite de nouvelles tensions entre la préfecture de police de Paris et la Ville. Dans un communiqué publié mardi soir, la PP annonce que la SNCF a donné son accord, "à la demande du ministre de l’Intérieur", pour mettre à disposition un terrain "susceptible d’accueillir" les toxicomanes "afin de les éloigner des quartiers résidentiels".
D’après la préfecture de police, "il est nécessaire d’envisager le déplacement des usagers du crack" - dont la présence dans le XIXe arrondissement "pénalise des riverains, des commerçants et des usagers des transports de Paris, de Pantin et d’Aubervilliers" - vers un lieu qui "ne soit pas sur la voie publique ou un square". A la demande du ministère de l’Intérieur, la PP explique ainsi avoir cherché un site "éloigné des quartiers résidentiels, commerçants ou des nœuds de transports", mais aussi "accessible aux services sanitaires et sociaux, de façon à ce que l'accompagnement social et médical déjà mis en place puisse y être déployé".
La PP raconte s’être tournée vers une parcelle de la SNCF, située à l’intersection des deux faisceaux ferroviaires et du boulevard Poniatowski dans le XIIe arrondissement. Le groupe a ensuite donné son accord pour prêter et mettre à disposition le terrain, "vers lequel les usagers du crack pourront être orientés après la réalisation de travaux de pose d’une clôture sécurisée".
Déplacer les usagers de drogue ne permet pas de résoudre définitivement la problématique du crack, mais c’est un devoir vis-à-vis des riverains du XIXe et du XVIIIe
La préfecture de police de Paris
"Déplacer les usagers de drogue ne permet pas de résoudre définitivement la problématique du crack, mais c’est un devoir vis-à-vis des riverains du XIXe et du XVIIIe qui ont trop longtemps été éprouvés par la présence des usagers de drogue", estime la préfecture de police. Le terrain sélectionné est une friche industrielle destinée à accueillir dans quelques années un nouveau quartier intégrant notamment des bureaux, des logements et des commerces.
"Il faut une prise en charge pérenne dans des structures hospitalières"
De son côté, la mairie de Paris, qui demande de favoriser une meilleure prise en charge sociale et sanitaire des toxicomanes, s’oppose à l’organisation d’un nouveau déplacement des consommateurs. Emmanuel Grégoire (PS), premier adjoint d’Anne Hidalgo et élu du XIIe arrondissement, critique l’annonce de la PP. "C'est une décision solitaire sans concertation qui ne fonctionnera pas, explique-t-il sur Twitter. Il faut une prise en charge pérenne dans des structures hospitalières pour les consommateurs de crack."
Emmanuel Grégoire demande une réunion en urgence du plan crack avec la PP, la préfecture d'Île-de-France et l’Agence Régionale de Santé.
Autre réaction de la Ville : Anne Souyris (EELV), adjointe à la santé, a qualifié l’annonce d’"obscène". "Je suis effondrée devant une telle incurie qui se répète de mois en mois sans que jamais le préfet de police ne propose autre chose que des transferts indignes pour tous.tes, laissant les usager.es de crack dans une voie sans issue, sans soins, sans hébergements", déplore l’adjointe sur Twitter.
Emmanuelle Pierre-Marie, la maire écologiste du XIIe arrondissement, dénonce également l’annonce. “Le transfert forcé de populations fragilisées dans un environnement inconnu derrière une "clôture sécurisée” est inhumain et ne saurait répondre à la “crise du crack” parisienne", déplore l’édile sur Twitter.
"Si la majorité municipale est favorable au principe de la réduction des risques, elle s’insurge contre cette décision unilatérale et brutale qui acte la création d’un campement clôturé, affirme la mairie du XIIe dans un communiqué. Elle demande à la Préfecture de Police de renoncer à son projet et de garantir la prise en charge de la détresse psychique, sociale et physique dans laquelle se trouvent les usager·ères de drogues."
"Cette décision a été prise de manière unilatérale par la préfecture de police, sans concertation ni même information préalable, confirme Emmanuelle Pierre-Marie. Déplacer un camp sur le site de la Zone d'Aménagement Concerté (ZAC) de Bercy-Charenton, sur lequel nous avons d’autres projets d’inclusion et d’occupation temporaire de ce site… La décision nous a glacés. J’avoue mon étonnement."
"Ils vont nous refaire un îlot Chalon"
La docteure Elisabeth Avril, directrice de l’association Gaïa Paris, déplore "une escalade délirante et pitoyable". "Ils vont mettre les consommateurs loin de tout le monde, derrière des barrières. Le plus loin possible des yeux, pour qu’on n’en parle plus. Je ne sais pas où vont s’arrêter les pouvoirs publics, ça ne solutionnera pas le problème. Ils n’ont plus d’idées, ils sont complètement dépassés par la situation, ça fait des années que ça dure. Ils vont nous refaire un îlot Chalon", déclare-t-elle, en référence au quartier à proximité de la gare de Lyon, associé au trafic et à la consommation de drogue dans ses rues au cours des années 1980.
L’association Gaïa gère la salle de consommation de drogues à moindre risque dans le quartier de la gare du Nord. "Je ne dis pas que les salles de consommation sont la solution miracle, ça ne va pas faire disparaître les usagers de drogues, avance Elisabeth Avril. Ça ne suffit pas, il faut d’autres prises en charge en parallèle. Mais les salles sont des dispositifs plus humanistes et plus concertés, qui respectent les riverains et les usagers. Les discours sont toujours hyper réducteurs et caricaturaux, mais avec un accueil les choses sont beaucoup plus apaisées. Quoiqu’en disent certains riverains, la situation s’est améliorée dans le quartier de la gare du Nord."
Il faudrait des salles de consommation réparties sur le territoire de l’Île-de-France
Elisabeth Avril, directrice de l’association Gaïa Paris
"Il faudrait des salles de consommation réparties sur le territoire de l’Île-de-France, pas uniquement à Paris, poursuit la directrice de l’association. Ça a marché dans de nombreux pays, je ne vois pas pourquoi ça ne marcherait pas en France. Mais on a pris tellement de retard… On n’a jamais été entendu. L’Etat nous dit oui dans le discours, mais non dans la pratique, il n’y a pas de bâti." Quant au terrain de la SNCF, Elisabeth Avril s’interroge : "On va se demander quel est vraiment notre rôle là-dedans ? Éthiquement, est-ce qu’on va encore continuer à aider dans un camp ?".
En septembre dernier, la préfecture de police avait organisé - en désaccord avec la mairie - le déplacement des consommateurs des jardins d'Eole vers la porte de La Villette. Ce lundi, la PP a réquisitionné les services de la mairie pour mener une opération de nettoyage du campement qui s'est depuis installé dans le square de la Porte de la Villette. Des pelleteuses ont été utilisées pour détruire des cabanes.
Lundi soir, des riverains, des associations et des élus se sont ensuite réunis à Pantin pour protester contre la présence des toxicomanes aux portes de Pantin et d’Aubervilliers. Les habitants demandent la mise en place d’une solution pour mettre à l'abri de façon pérenne les consommateurs de crack.